D’ici 2050, l’Europe comptera 95 millions de travailleurs en mois qu’en 2015. Pour combler ce vide, et endiguer un ralentissement économique certain, le Center for Global Development appelle le continent à accueillir davantage de migrants.
Le préjugé tenace qui prétend que les migrants volent le travail des locaux a du plomb dans l’aile. Car l’Europe devra au plus vite s’appuyer sur l’immigration pour pallier le manque de main-d’œuvre à venir, selon un rapport publié par le Center for Global Development, basé à Washington.
D’ici 2050, le Vieux Continent comptera en effet 95 millions de travailleurs de moins qu’en 2015. Synonyme de baisse de croissance et de productivité à l’instar du modèle japonais, cette carence représentera entre 11 et 14 millions de personnes en Allemagne, et 5 à 8 millions de postes en France.
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Si le prolongement de l’âge de la retraite, l’automatisation des tâches et l’externalisation des postes sont des pistes de solutions, pour Charles Kenny, l’auteur du rapport, « ce ne sera vraiment pas suffisant ». « Rien de tout ça ne sauvera l’Europe du défi du vieillissement de la population », explique-t-il à InfoMigrants. Pour l’économiste, c’est clair : « la migration est la seule réponse à ce déséquilibre ».
Des besoins dans la santé, et dans les zones rurales
« Il y aura un réel besoin de migrants dans les secteurs touchés par le vieillissement des populations, comme les services de santé et de soins, précise-t-il. Mais cette année nous a également montré que d’autres domaines d’activités subissaient des pénuries de travailleurs, notamment à cause de la baisse des arrivées de migrants. Dans plusieurs pays européens, l’agriculture, l’agroalimentaire, la restauration, l’hôtellerie, les transports et les services de nettoyage ont subi de plein fouet cette situation ».
Illustration d’une situation déjà bien réelle au Royaume-Uni, le National Health Service, système de la santé publique national qui fournit l’essentiel des soins, dispose de 100 000 postes vacants d’infirmiers, de médecins généralistes et de personnels hospitaliers. « Les directeurs d’hôpitaux sont incroyablement frustrés parce qu’ils ont du personnel étranger qui veut venir travailler dans leurs services, mais le gouvernement ne les laisse pas entrer », avait déclaré quelques mois avant la pandémie le Secrétaire d’État à la Santé britannique Jonathan Ashworth, au journal The Guardian.
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« Cette fois, ce n’est pas dans les usines, comme lors des premières vagues de migrations maghrébines que le besoin se fait sentir, mais plutôt dans la santé et dans les zones rurales, qui ont du mal à recruter au sein des communautés locales, confirme à InfoMigrants Krikou Diarra, chercheur à l’université de Strasbourg, spécialiste des migrations. Aujourd’hui, on voit même des boulangers ou des mécaniciens qui peinent à avoir des apprentis. C’est un besoin que les migrants peuvent combler ».
La solution africaine
Et pour attirer plus de migrants, c’est vers l’Afrique que l’Europe doit se tourner. « Sa proximité et ses locuteurs anglophones et francophones sont des atouts non négligeables », assure Charles Kenny. Sa population jeune – en 2019, la moyenne d’âge y était de 19 ans selon les chiffres des Nations unies – qui peine à trouver un emploi en dehors du secteur informel en fait également « le partenaire évident avec lequel l’Europe doit coopérer ».
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Mais de l’autre côté de la Méditerranée, l’Europe séduit-elle encore ? Car selon l’Office International des Migrations (OIM), plus de 80% des migrants africains préfèrent s’installer dans un autre pays subsaharien qu’ailleurs dans le monde.
« Les migrations intra-africaines constituent des tremplins, mais ce ne sont ausi des phases transitoires avant d’atteindre l’Occident, nuance le chercheur Krikou Diarra. Le besoin de partir n’est pas toujours liée aux contraintes économiques, mais plutôt [à une forme de promotion sociale]. Ceux qui voyagent ne sont pas les plus pauvres. En Côte d’Ivoire par exemple, la croissance a atteint un record presque inégalé ces trois dernières décennies. Et c’est pourtant à cette période que le pays a engendré le plus grand nombre de migrants irréguliers vers les côtes européennes ».
« Repenser sa stratégie »
Malgré tout, combler le déficit de main-d’œuvre par la migration africaine restera un vœu pieu, si la politique migratoire européenne reste en l’état actuel. D’après l’ONU, si rien ne change, les travailleurs immigrés ne combleront qu’entre 23 et 30% – dont un quart d’Africains – du manque total de travailleurs en Europe en 2050.
« L’Union européenne doit repenser sa stratégie sur la question, et offrir aux candidats à la migration bien plus de moyens légaux pour venir sur son territoire, soutient Ehsan Vallizadeh, chercheur spécialiste de la migration à l’Institut allemand de recherche sur l’emploi et le marché du travail (IAB), interrogé par InfoMigrants. Au lieu de ça, on assiste à une sorte de compétition entre les pays européens sur l’accueil des migrants« .
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Pour sa part, le Center for Global Development préconise d’ouvrir les universités à davantage d’étudiants étrangers, de développer des partenariats de formation les émigrants potentiels, ou encore d’accepter un plus grand nombre de réfugiés dans le but de créer des réseaux, afin d’attirer plus tard, davantage de migrants.
Avec infomigrants