Douze migrants, parmi un groupe de 42 personnes, ont été arrêtés dans la province d’Edirne, en Turquie, complètement nus. Une pratique choquante, pourtant régulièrement utilisée par les autorités grecques contre les exilés.
La photo est accablante. Assis à même la terre, un petit groupe de 12 migrants, certains têtes baissées, tentent, bras croisés sur la poitrine ou brins d’herbes déposés sur leurs parties génitales, de cacher leurs corps. Il fait nuit et tous sont complètement dénudés.
Arrêtés avec 30 autres personnes dans la province d’Edirne au nord-ouest de la Turquie, les 12 hommes ont été renvoyés par les autorités grecques, « de force, après avoir été battus », a déclaré le ministère turc de la Défense, cité par le quotidien Cumhuriyet.
Pris en charge par la gendarmerie d’Edirne, le groupe a affirmé avoir été privé, en Grèce, d’eau et de nourriture. Des affirmations relayées par le ministère turc dans un communiqué, qui déplore également que Athènes « continue de persécuter les immigrés ».
Des pratiques habituelles
Si ces pratiques sont choquantes, elles sont pourtant relativement courantes dans le pays. De nombreux cas similaires à celui-ci ont été rapportés aux organisations de défense des droits humains et aux ONG présentes sur place.
En mars 2020, le photographe Belal Khaled, qui travaille pour la chaîne turque TRT World, avaient relayé sur les réseaux sociaux des photos de jeunes hommes en sous-vêtements, là aussi dans la province d’Edirne, près de la ville d’Uzunköprü. Ces groupes, « qui revenaient de Grèce », étaient originaires de divers pays, « comme l’Afghanistan, le Pakistan, la Syrie, l’Irak, ou encore le Maroc », racontait-il au journal Libération.
« Déshabillage de masse »
Le procédé est également documenté dans le dernier rapport du Border Violence Monitoring Network. Selon le réseau d’organisations, en 2020, 44% des témoignages enregistrés décrivent des cas de déshabillage forcé. Des « déshabillages de masse, avec jusqu’à 120 personnes enfermées dans le même espace de détention » sont aussi monnaie courante.
Un témoin cité dans le rapport raconte qu’après avoir été arrêté à Alexandroupoli, au sud de la frontière, lui et d’autres personnes ont été emmenés dans un lieu de détention à Didymotique. À l’intérieur du bâtiment, « qui ressemblait davantage à une écurie qu’à un centre de détention », se trouvaient 70 à 80 individus. D’origine syrienne, égyptienne, pakistanaise, algérienne et marocaine, hommes, femmes et enfants étaient tous debout, complètement nus. Le lendemain, le témoin et plusieurs groupes ont été conduits au bord de la rivière Evros, où après les avoir embarqués dans des bateaux, les autorités leur ont demandé de sauter dans l’eau. « Certains ne pouvaient pas nager et nous leur avons dit, mais ils s’en fichaient ! », raconte-t-il.
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D’après le rapport, ce genre d’agissements est également récurrent en Croatie. « De nombreux témoignages révèlent que la police met régulièrement le feu aux vêtements des migrants, avant de les repousser à travers les zones frontalières, les forçant à marcher nu pendant plusieurs heures, souvent dans des conditions météorologiques extrêmes ».
Des pratiques illégales et impunies
Pour Border Violence Monitoring Network, ces pratiques « cruelles » et « équivalentes à de la torture » s’apparentent à une violation de l’article 3 de la Convention de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui interdit les fouilles à nu laissant à l’individu « des sentiments d’angoisse et d’infériorité capables de l’humilier et l’avilir ».
De leur côté, les autorités grecques ont jusqu’ici toujours nié les accusations régulières de mauvais traitements. Ce que déplore Erin Mckay, responsable migration européenne pour Oxfam. « La Grèce ne peut continuer à ignorer les souffrances et les comportements illégaux qui se produisent à ses frontières. Les gens ont le droit de demander l’asile et ces ‘pushbacks’ violent ce droit fondamental pour des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants en quête de sécurité en Europe », regrette-t-elle.
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Pour la responsable d’Oxfam, « c’est à la justice grecque d’enquêter sur les pratiques qui violent le droit national et international », mais aussi à « la Commission européenne, qui ne peut pas non plus continuer à prétendre qu’il s’agit de simples ‘allégations' ». « Des investigations doivent être menées, ajoute-t-elle, et suivies d’une action décisive pour mettre fin à toutes les pratiques illégales ».