La ville de Zouara a donné 10 jours aux migrants pour régulariser leur situation sous peine d’expulsion de la ville. La municipalité libyenne justifie sa décision par un « taux de criminalité élevé ». Les arrivées de migrants, candidats au départ vers l’Europe, se multiplient dans cette ville côtière de l’ouest de la Libye.
Les affiches sont apparues au début du mois de juillet sur les devantures des bâtiments fréquentés par les migrants subsahariens, à Zouara, ville côtière de l’ouest libyen. « La municipalité de Zouara annonce à tous les résidents de la ville de corriger leurs procédures légales (sic) à compter de la date de cette annonce dans un délai de 10 jours ou de partir volontairement », peut-on lire sur le document que s’est procuré InfoMigrants. Édité le 1er juillet 2021, il exhorte les migrants à quitter la ville au plus tard le 10 juillet.
Passée cette date, un « vaste plan de sécurité » sera mis en place par le Conseil municipal pour faire respecter la mesure, indique encore la note. En quoi ce « plan » consiste-t-il ? Quelle seront les conséquences pour les migrants qui ne quittent pas la municipalité ? Difficile de savoir. Contactée par InfoMigrants, la mairie de Zouara n’a pas répondu à nos sollicitations.
Une régularisation quasi-impossible
Cette décision de la ville de Zouara interpelle Ahmad Hamza, président du Comité national des droits de l’Homme en Libye, qui rappelle que la sécurité est une compétence du ministère de l’Intérieur et non des municipalités. « Les autorités locales devraient arrêter les passeurs, qui sont des citoyens de Zouara, plutôt que de menacer les migrants », déplore-t-il.
La régularisation des migrants est une gageure en Libye et la plupart des personnes originaires d’Afrique subsaharienne n’ont pas l’intention de s’établir dans le pays. Tous ou presque cherchent à traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe.
C’est le cas d’Ibrahima*. Ce Guinéen de 17 ans vit depuis plus d’un an à Zouara et a déjà tenté plusieurs fois de passer en Europe. En attendant de pouvoir rassembler la somme nécessaire à un nouveau départ, il travaille sur des chantiers de la ville.
L’adolescent a été surpris de voir apparaître les affiches de la municipalité. D’autant plus que, selon lui, les quelques personnes qui ont tenté de se faire enregistrer auprès d’une administration officielle en ont été empêchées. « Des amis ont payé 100 dinars pour obtenir un rendez-vous mais ils ne l’ont jamais eu », affirme-t-il. « On se dit qu’ils [les Libyens] font tout ça uniquement pour prendre notre argent. »
Afflux de migrants à Zouara
Les autorités de la ville assurent que la directive annoncée au début du mois est motivée par « un nombre croissant d’arrivées [de migrants] dans la ville (…), au taux de criminalité élevé au sein de leurs quartiers (…) et à l’apparition de corps sur les rives de la ville ».
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La ville de Zouara est connue pour être un lieu de départ d’embarcations de migrants vers l’Europe. Depuis quelques semaines, les migrants sont de plus en plus nombreux à arriver dans la région, dans l’espoir de monter dans un canot et fuir la Libye. « Chaque jour des nouvelles personnes arrivent à Zouara car les passeurs ont la réputation de bien travailler ici », raconte Ibrahima.
Cette « bonne réputation » vient du fait que les passeurs de la ville utiliseraient des embarcations en bois, réputées moins risquées que les pneumatiques.
Mais la sécurité des embarcations est bien relative car, dans les faits, toute tentative de traversée de la Méditerranée reste extrêmement risquée. Le 3 juillet, au moins 43 personnes ont disparu au large de la Tunisie, dans le naufrage d’une embarcation partie de Zouara.
« Les Noirs sont régulièrement agressés par la police »
Les tentatives de départs de migrants depuis la Libye ont considérablement augmenté en 2021. Cela s’explique par une dégradation des conditions de vie, déjà compliquées, des migrants dans le pays. Depuis plusieurs semaines, les exilés sont la cible des milices et des policiers à travers le pays. Plusieurs personnes ont raconté à InfoMigrants s’être fait tirer dessus en pleine rue, « sans raison ».
La ville de Zouara n’échappe pas à cette tendance. Dans l’un des quartiers de la ville, « les Noirs sont régulièrement agressés par la police », rapporte Ibrahima. « Quand tu rentres chez toi, on te met dans un véhicule, on te tabasse et on t’envoie dans le désert près de Sabratha », continue l’adolescent.
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D’autres sources rapportent à InfoMigrants de multiples incidents survenus mi-juin au cours desquels des migrants ont été agressés par la population locale de Zouara. Plusieurs d’entre eux ont été hospitalisés suite à ces violences.
Un climat délétère qui préoccupe les migrants. Certains ont exprimé leur volonté de quitter la zone mais n’ont pas les moyens de le faire. Partir de Zouara sans destination précise, c’est aussi s’exposer aux risques d’enlèvements, d’arrestations arbitraires.
Ibrahima et ses amis, eux aussi s’inquiètent pour leur sécurité. « On a très peur, tout le monde est paniqué. »
*Le prénom a été modifié.
Infomigrants