Dans un nouveau rapport sur la situation des migrants en Libye, Amnesty international accuse l’Union européenne de « complicité ». Les États membres « continuent honteusement d’aider les garde-côtes libyens (…) alors qu’ils ont parfaitement connaissance des horreurs » que les migrants interceptés en mer subissent une fois renvoyés dans les prisons libyennes, assure l’ONG.
C’est un document au vitriol. Dans son nouveau rapport publié jeudi 15 juillet, Amnesty international déplore que le soutien de l’Union européenne (UE) aux garde-côtes libyens – qui les forment et les équipent – contribue aux « terribles violations » commises « depuis une décennie » sur les personnes interceptées en mer Méditerranée et renvoyées dans les centres de détention libyens.
L’ONG va encore plus loin et accuse l’UE de « complicité ». Les États membres « continuent honteusement d’aider les garde-côtes libyens (…) alors qu’ils ont parfaitement connaissance des horreurs » que les migrants subissent dans les prisons, après leur interception en mer, déclare dans un communiqué Diana Eltahawy, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Malgré les engagements répétés à y mettre un terme », ces violences se sont poursuivies « sans relâche » durant les six premiers de l’année, signale encore Amnesty International.
Un système de détention « pourri jusqu’à la moelle »
Comme le rappelle l’ONG, la Direction de la lutte contre la migration illégale (DCIM), qui relève du ministère de l’Intérieur, s’était pourtant engagée l’an dernier à fermer les centres où « les atteintes aux droits humains étaient monnaie courante ». Mais, les autorités ont à l’inverse ouvert deux nouvelles prisons à Tripoli – celle d’Al-Mabani et de Sharah Zawiya – où des centaines de migrants avaient été soumis les années précédentes à des disparitions forcées aux mains des milices. Or, « des violences similaires » ont été commises dans ces mêmes centres cette année.
Dans sept prisons officielles, des détenus ont raconté à Amnesty avoir été victimes de torture et d’autres mauvais traitements, de viols, de travaux forcés, d’extorsion de rançons, de tirs à balles réelles ou encore de restriction de nourriture. Des témoignages que recueille très souvent InfoMigrants. Le dernier en date est celui d’Amadi qui assurait début juillet que dans les prisons « les gardiens frappent (les migrants) sans raison ».
Dans le centre de Sharah Zawiya à Tripoli, des femmes enfermées ayant subies des violences sexuelles de la part des gardiens ont même tenté de se suicider, rappelle Amnesty faisant suite aux révélations début juin du Haut-commissariat des Nations unies pour les droits humains. Certaines ont été contraintes à des rapports sexuels en échange de leur libération ou des biens de première nécessité, comme de l’eau potable, ajoute l’ONG.
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Pour protester contre les conditions de vie des exilés dans les centres d’Al-Mabani et d’Abu Salim, dans la capitale libyenne, Médecins sans frontières avait annoncé son retrait le 22 juin dernier. L’ONG médicale avait fait état d’au moins « trois incidents violents » en l’espace d’une semaine allant du passage à tabac à l’utilisation d’armes à feu contre des détenus.
« L’ensemble du réseau libyen de centres de détention liée à l’immigration est pourri jusqu’à la moelle et doit être démantelé », insiste Diana Eltahawy d’Amnesty. D’autant que les autorités libyennes ont « récompensé des personnes raisonnablement soupçonnées d’avoir commis ce type de violations en leur offrant des postes de pouvoir ou une promotion, ce qui signifie que nous risquons de voir les mêmes horreurs se reproduire encore et encore », continue-t-elle.
Des garde-côtes qui endommagent « délibérément » les embarcations de migrants
Amnesty international rappelle également que les interceptions des migrants en mer sont généralement émaillées de violences. Plusieurs migrants ont raconté que les garde-côtes libyens avaient « délibérément endommagé leurs embarcations, les faisant chavirer », provoquant la noyade des naufragés.
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L’ONG Sea-Watch a publié le 30 juin une vidéo tournée depuis son avion de surveillance Seabird. Sur les images, on voit un navire des garde-côtes libyens tirer des coups de feu en direction d’un canot de migrants, au large de Lampedusa, afin de stopper leur route. La Sicile a, sur ce dossier, demandé le 2 juillet au ministère italien de la Justice d’ouvrir une enquête pour « tentative de naufrage ».
Par ailleurs, selon plusieurs exilés en contact avec InfoMigrants, les garde-côtes libyens sont complices des trafiquants. « Quand nous sommes interceptés, il arrive souvent qu’on retrouve à bord de leur navire un ou deux ‘Arabes’ qui nous avaient lancés quelques jours plus tôt. Cela m’est arrivé deux fois. Si on leur dit qu’on les reconnait, ils nous frappent », rapportait en mai Salif, un Guinéen de 19 ans.
Malgré ces accusations, « les navires européens ont largement déserté la Méditerranée centrale pour éviter d’avoir à secourir des bateaux de migrants en détresse », déplore Amnesty dans son rapport. Pire, Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, « exerce une surveillance aérienne au-dessus de la Méditerranée pour repérer les embarcations » sans leur offrir d’assistance avant l’arrivée des autorités libyennes.
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Depuis le début de l’année, plus de 15 000 personnes ont été interceptées en mer, contre 12 000 pour l’ensemble de l’année 2020.
« Les partenaires européens continuent d’aider les garde-côtes libyens à renvoyer de force des personnes vers les atteintes aux droits humains qu’elles tentaient de fuir en Libye », affirme Diana Eltahawy.
Parallèlement à la publication de ce rapport, le Parlement italien débat cette semaine de la poursuite de son aide militaire et matérielle aux garde-côtes libyens. Depuis des années, l’Italie et d’autres membres de l’UE fournissent notamment des vedettes rapides aux autorités libyennes et « oeuvrent à la mise en place d’un centre de coordination maritime dans le port de Tripoli, principalement financé par le Fonds d’affectation spéciale de l’UE pour l’Afrique », regrette Amnesty.
L’ONG, comme le font régulièrement l’Organisation internationale des migrations (OIM) et le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), exhorte les États membres à « suspendre leur coopération sur les migrations et les contrôles des frontières avec la Libye ».