Après 60 jours de lutte, la grève de la faim des 450 sans-papiers en Belgique a été suspendue. Sur place, la résignation et une certaine lassitude ont gagné nombre d’entre eux.
Assise sur un matelas posé à même les pavés, Wafa allume une cigarette, la première de la journée. En guise de petit-déjeuner, la jeune femme de 31 ans trempe les lèvres dans un verre fumant de café soluble. « C’est la seule chose que je peux avaler », déplore-t-elle, les sourcils froncés par la douleur. La veille, Wafa a suspendu sa grève de la faim, comme les 250 autres sans-papiers de l’église du Béguinage du centre de Bruxelles, après que « des propositions » du cabinet Mahdi [secrétaire d’État belge à l’Asile et à la Migration, ndlr] ont été annoncées aux grévistes.
Entamé le 23 mai dernier, le mouvement a mis en lumière la précarité vécue au quotidien par les sans-papiers en Belgique.
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Partie de Tanger, au Maroc, pour rejoindre son père et ses quatre frères et sœurs installés à Bruxelles, Wafa enchaîne les « petits boulots » depuis cinq ans. Coiffeuse le jour, femme de ménage la nuit, elle travaille dur pour payer ses 520 euros de loyer mensuel. La mort de son père, il y a deux ans, des suites d’un cancer, a compliqué encore davantage sa situation, elle qui « fait tout dans les règles pour obtenir des papiers ». En vain. Sa demande, déposée à son arrivée dans le pays, « n’a jamais obtenue de réponse », affirme-t-elle.
Comme elle, une cinquantaine de Marocaines, Algériennes et Pakistanaises âgées de 20 à 65 ans, occupent cet espace réservé aux femmes d’environ 300 m², au fond à droite de l’église. Des affiches placardées au-dessus de chaque matelas indiquent les professions exercées par les grévistes. « Aide-ménagères », « baby-sitter », « monitrice de sport », « assistante de direction » ou encore « boulangère », toutes occupent les lieux dans un seul but : obtenir un titre de séjour avec accès au marché du travail.
Après la grève, deux voies possibles de régularisation
Depuis l’annonce de la suspension de la grève, la plupart se sont rapprochés des associations et se lancent, de nouveau, dans les démarches de régularisation. Les différentes voies possibles leur sont expliquées par les membres d’associations d’aide aux sans-papiers qui parcourent l’église, bloc-notes à la main et chemises en carton sous le bras.
« Les grévistes ont deux voies possibles : une demande d’asile en vertu de ‘circonstances exceptionnelles’, qui incluent la présence en Belgique de longue date ou la vulnérabilité, ou une demande ‘humanitaire’, une option choisie par la majorité des occupants », explique Coralie Hublau, responsable de l’action politique au CIRÉ, Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers.
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« Sur le fond, rien ne change, on reste dans les procédures habituelles car ces recours sont de toute façon inscrits dans la loi. Ce qu’on nous a assuré, en revanche, c’est que les délais de traitement seront raccourcis. Mais ce ne sont que des promesses orales, rien n’a été signé, admet-elle. Il faudra être vigilant sur la suite des évènements ».
Aucun accord n’a été conclu entre les grévistes et le gouvernement
Dehors, juste devant la porte d’entrée de l’église, Tarik est sceptique lui aussi. « Nous avons eu des échanges avec le gouvernement, mais aucun accord n’a été conclu », tient-il à préciser. Alors, pour ce Casablancais de 41 ans, arrivé en Belgique en 2013, « le combat continue ». Même s’il reconnaît qu’il a appris avec soulagement l’annonce de la fin de la grève de la faim et de la soif. « J’avais déjà perdu 14 kilos, alors en plus de la fatigue et du stress, j’étais très angoissé pour la suite », confie-t-il.
Depuis l’annonce de la suspension de la grève, 51 personnes ont quitté l’église du Béguinage pour l’hôpital, pour y recevoir des soins. La plupart souffre de problèmes de reins et de tension artérielle.
Dans le campus de La Plaine, à l’écart du centre-ville, le ballet incessant des ambulances de la Croix-Rouge témoigne là aussi de la gravité de la situation. Ici, quelque 150 sans-papiers occupent la cafétéria de l’Université Libre de Bruxelles, contre 70 au tout début du mouvement. Dans une petite partie de la salle séparée par des rideaux se reposent près de 25 femmes, toutes Marocaines. Une jeune femme en djellaba jaune vif embaume la pièce d’une odeur de shampoing aux fruits. « C’est l’heure de la douche pour nous, tu peux y aller ! », lance-t-elle à sa « colocataire » qui occupe le lit à côté du sien.
« La Belgique, c’est mon pays »
Si à l’église du Béguinage, les 250 occupants partagent une seule et même douche, ici, cinq sanitaires – douche et toilettes – ont été installés par la direction de l’ULB, en contre-bas de la cafétéria. Sur le tableau blanc sont indiqués les horaires réservés aux hommes et aux femmes. Il jouxte le terrain de basket réservé aux étudiants. Sur ses grilles sèchent les t-shirts, pantalons et chaussettes des sans-papiers.
À l’intérieur, Loubna, foulard mauve autour du visage, est soulagée. « Je suis contente de pouvoir remanger un peu, avoue-t-elle. Même si cette fois, j’espère vraiment que ma demande va aboutir. Je suis si fatiguée de tout ça ». Installée en Belgique depuis 2001, cette Marocaine de 45 ans a fui son pays à cause de problèmes familiaux, et « pour réaliser un rêve » : celui de « vivre décemment en Europe ».
À son arrivée, Loubna a « fait tous les efforts du monde pour [s’]intégrer ». Elle apprend le flamand, perfectionne son français, et ne compte pas ses heures de travail, non déclarées. La Marocaine dépose alors une demande de titre de séjour, et pense « jusqu’au bout » qu’elle aboutira. D’autant plus qu’elle y a ajouté une promesse d’embauche signée de son employeur.
Deux ans plus tard, « c’est le coup de massue ». Sa demande est refusée. « À partir de là, j’ai commencé à faire des crises d’angoisse, et à avoir des problèmes de santé », affirme-t-elle en se frottant les yeux, cernés par la fatigue. En 2009, elle participe à une autre grève de la faim des sans-papiers, restée sans conséquence sur sa situation.
Depuis, « rien n’a changé ». « Je paye mon loyer, mes factures, mes enfants vont à l’école … mais je n’ai toujours pas le droit de vivre à Bruxelles, déplore-t-elle. Après 20 ans ici, comment est-ce que je peux envisager un retour au Maroc ? Aujourd’hui, la Belgique c’est mon pays ».
Avec infomigrants