Une vidéo montrant une Camerounaise dans le désert, agonisante, a circulé sur les réseaux sociaux à partir du 1er août, où elle a été vue des centaines de milliers de fois. Elle est ensuite décédée. La victime avait quitté Douala le 20 juillet à la recherche d’une vie meilleure. Son décès a relancé le débat sur les dangers de l’immigration clandestine au Cameroun. Contacté par notre rédaction, son frère raconte qu’elle n’avait pas informé sa famille de son départ.
Dans une vidéo ayant circulé à partir du 1er août, d’une durée de 1’44 », on voit une femme allongée dans le sable. Elle respire encore, mais elle semble sur le point de rendre l’âme. Notre rédaction a donc décidé de n’en publier qu’une capture d’écran floutée, avec l’audio.
L’homme qui filme dit : « Ça fait quatre jours que nous sommes coincés au désert à cause d’elle, nous sommes dépassés, on ne sait pas quoi faire, nous sommes une quarantaine de personnes […], on va la laisser, que Dieu nous pardonne, […] on ne peut pas risquer 40 vies pour une personne, on a déjà fait de notre mieux. » Il demande aussi aux gens de partager la vidéo s’ils la voient, et d’informer la famille de la femme s’ils la reconnaissent.
Cette femme est ensuite décédée : dans une autre vidéo, on la voit enveloppée dans un tissu, puis soulevée et transportée par des hommes.
« Je pense qu’elle voulait réussir dans la vie et faire remonter la pente à notre famille »
Ces vidéos sont parvenues à la famille de cette femme camerounaise, Isabelle Mpouma, comme le raconte son frère, Mpouma Salomon, qui vit à Douala.
« Nous avons appris son décès le 1er août : des gens qui nous connaissaient, et qui avaient vu les vidéos, nous ont informés.
Elle avait disparu depuis le 20 juillet. Quand nous avons vu qu’elle était partie, nous avons essayé de communiquer avec elle, mais elle n’avait visiblement pas de réseau. Nous avons pensé qu’elle avait pris la route car, avant cela, elle avait déjà essayé de quitter le pays à deux reprises, mais cela n’avait jamais fonctionné. Mais cela nous a quand même surpris, car elle ne nous avait pas informés de son départ. Je pense qu’elle voulait nous faire une surprise.
Elle avait 37 ans. Elle avait 2 garçons, de 15 et 3 ans. Elle avait une boutique à la Cité des Palmiers où elle vendait des sacs, des chaussures… Elle posait aussi des ongles. Elle se débrouillait. Mais dans notre famille, notre père est décédé, notre mère est souffrante… Je pense qu’elle voulait réussir dans la vie et faire remonter la pente à notre famille. »
Que se serait-il passé avant le décès de cette femme, Isabelle Mpouma ?
Deux autres vidéos diffusées sur les réseaux sociaux permettent d’en savoir plus sur ce qu’il se serait passé avant le décès d’Isabelle Mpouma.
Dans une vidéo d’une durée de 14’09, un homme interroge trois personnes qui voyageaient avec elle : l’une d’elles indique qu’ils avaient réalisé le trajet Douala-Yaoundé-Garoua, avant de traverser le Nigeria et d’arriver au Niger. C’est donc dans le désert nigérien qu’Isabelle Mpouma serait morte. Notre rédaction n’a toutefois pas pu vérifier où cette vidéo avait été prise, ni qui l’avait tournée.
Par ailleurs, leur groupe aurait eu un problème avec des “chauffeurs” dans le désert, selon l’une des personnes interrogées dans la vidéo : « Lorsque les chauffeurs nous ont laissés dans le désert, […] on a perdu confiance, on ne les a plus attendus, on est partis. »
C’est aussi ce qu’indique Gilles Noubissie, community manager pour le média camerounais Focus Média Afrique, qui assure avoir recueilli des informations sur ce groupe : « Au Niger, ils ont commencé le trajet en voiture, mais il y a eu une panne, donc ils ont continué à pied, le temps qu’une autre voiture vienne les récupérer. Trois personnes seraient alors décédées, avant Isabelle Mpouma. »
Cette dernière information correspond à ce qu’on entend dans une autre vidéo de 2’16, où on la voit encore vivante, avec les autres personnes de son groupe, allongées dans le sable. Des femmes disent : « Ne faites pas ça, […] trois personnes sont déjà mortes. » L’homme qui filme dit également : « Ne faites pas ce que nous faisons, […] on ne peut pas dire à quelqu’un de courir le risque. » Cependant, ce dernier rit beaucoup, et répète plusieurs fois « boza », ce qui signifie « victoire » ou « immigrer vers l’Occident » dans le jargon camerounais. Il dit également qu’ils sont en train de « choquer » le désert, ce qui signifie « affronter » le désert pour les Camerounais.
D’après les témoignages dans la vidéo de 14’09, Isabelle Mpouma serait décédée juste avant l’arrivée d’une autre voiture, mais elle aurait commencé à être très mal la veille. Il est toutefois difficile de savoir de quoi elle est morte précisément. Des hommes de son groupe l’ont ensuite enterrée dans le désert.
D’après Gilles Noubissie, le groupe souhaitait aller au Maroc, en passant par la Libye.
Notre rédaction n’a pas réussi à savoir où se trouvait ce groupe actuellement.
Des vidéos qui relancent le débat sur l’immigration clandestine au Cameroun
Les vidéos de cette femme dans le désert ont été vues des centaines de milliers de fois sur Facebook, et ont choqué au Cameroun. Son cas a relancé le débat sur les dangers de l’immigration clandestine, mais également sur les raisons poussant de nombreux jeunes à prendre la route (chômage, manque de perspectives au pays notamment).
Selon un communiqué de l’ONU publié en septembre 2020, des centaines de migrants ont péri ces dernières années dans le désert au Niger, victimes de déshydratation, d’accidents de véhicules et d’agressions : « Il est fréquent que des véhicules transportant des migrants tombent en panne dans le désert ou que les passeurs se perdent, abandonnent leurs passagers, par crainte des postes de contrôle ou des patrouilles militaires. »
Avec infomigrants