Entre des coups d’État parfois institutionnels parfois militaires, le cœur (fatigué) de l’Afrique balancera-t-il longtemps ? Le scénario que vit la République de Guinée depuis ce dimanche 5 septembre 2021 se répètera-t-elle à l’infini en Afrique ?
A Conakry, un ancien Légionnaire français a donc pris la tête d’un coup d’Etat. Renversé, Alpha Condé avait été élu démocratiquement fin 2010 mais il a voulu s’accrocher au pouvoir et réussi à imposer au forceps en 2020 une nouvelle Constitution sur mesure qui a transformé son pays en dictature soft, une démocrature diront les plus complaisants.
Espérons que l’intégrité physique d’Alpha Condé sera respectée mais, honnêtement, nous ne pleurerons pas sur le sort de cet apprenti dictateur : économie et société exsangues, opposants politiques muselés, corruption, népotisme et détournements massifs de fonds, l’omnipotence d’un homme, d’une famille, d’un clan étouffaient tout un peuple qui ne savait comment échapper aux sangles d’un pouvoir illégitime.
Comme nous le confie Vincent Hugeux, dont le dernier livre « Tyrans d’Afrique, les mystères du despotisme postcolonial » (éditions Perrin) éclaire bien des dérives des dirigeants africains, la chute d’Alpha Condé explique en quoi « le mandat de plus est toujours le mandat de trop : cette malédiction du troisième mandat se double de la malédiction de l’opposant historique qui, après avoir incarné l’opposition courageuse et totale à un régime inique, a basculé, une fois au pouvoir à son tour, dans les mêmes dérives autoritaires. Cet hybris l’avait rendu impatient, impérieux, cassant, arrogant. »
Les premières scènes de liesse dans Conakry autour des militaires putschistes attestent de la joie que la chute d’Alpha Condé suscite dans la population.
Ancien légionnaire de l’armée française, le nouvel homme fort de la République de Guinée, le Commandant Mamady Doumbouya, avait été appelé en 2018, – ironie de l’histoire – par le régime Condé pour prendre la tête du Groupement des forces spéciales, unité d’élite de l’armée. Ayant manifesté des velléités d’autonomie, le militaire se serait senti menacé d’arrestation prochaine par le Palais présidentiel et a peut-être pris les devants.
L’armée guinéenne a donc décidé de refermer la page Condé et pris les choses en main à travers un Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD) qui a annoncé la suspension des institutions et fermé les frontières terrestres et aériennes.
« Nous n’avons plus besoin de violer la Guinée, nous avons juste besoin de lui faire l’amour », a clamé le chef des putschistes dans un accès de romantisme politique…
Nous en sommes convaincu : seule la force pouvait faire plier Alpha Condé. Inutile de lire Rousseau pour apprendre que le tyran finit toujours par tomber face à plus fort que lui. C’est ce qui vient d’arriver à Condé.
Or l’Union Africaine et les Nations unies, par le Secrétaire général des Nations unies lui-même qui a manqué une bonne occasion de se taire, n’ont pas manqué d’exiger ce dimanche soir le rétablissement des institutions aujourd’hui suspendues alors que la priorité devrait être de saluer la chute d’un dictateur et d’aider le Commandant Mamady Doumbouya à tenir parole : dans son intervention à la télévision publique guinéenne, ce dernier ne déclarait-il pas : « La personnalisation de la vie politique est terminée. Nous n’allons plus confier la politique à un homme mais au peuple. »
Quant à la France, dont il faut regretter que certaines officines de l’armée française aient soutenu un peu trop Alpha Condé, parfois de façon trop ostensible, espérons que la diplomatie française saura immédiatement se mettre au service de la défense des intérêts du peuple guinéen, intérêts qui rejoignent ceux de la France. Un ancien Légionnaire comme le Commandant Mamady Doumbouya a peut-être gardé de solides contacts en France. Ce coup d’Etat serait-il en quelque sorte une chance pour la France de tenir la promesse d’Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017 ?
Soyons optimistes : la société guinéenne est mûre pour reprendre le fil ténu de l’alternance démocratique. Alpha Condé en avait profité lui-même en 2010 en étant élu, certes au terme d’un processus sujet à caution, au second tour de l’élection présidentielle contre Cellou Dalein Diallo, aujourd’hui à la tête de l’opposition politique au régime Condé.
Pour Aliou Barry, chercheur guinéen, directeur du centre d’analyse et d’études stratégiques en Guinée, auteur de « Revenir. L’Afrique au cœur » (éditions Cent mille milliards), « le coup d’Etat est un soulagement pour la population car la communauté internationale nous avait abandonné depuis le coup d’Etat institutionnel d’Alpha Condé. Mais il nous faut rester vigilants sur la suite : ne donnons pas de chèques en blanc aux putschistes. Une équipe de transition doit être mise en place au plus vite, en écartant toutes celles et ceux qui étaient mêlés aux années Condé, avec des experts et des personnalités issues de la société civile qui ne devraient avoir qu’une seule mission : préparer des élections libres et transparentes. »
Les putschistes, aujourd’hui acclamés par un peuple oppressé, sauront-ils rendre le pouvoir au peuple, et le plus vite possible, comme le firent les militaires de la révolution des œillets au Portugal en 1974 ? Tel est le défi qu’aura à relever le nouvel homme fort de Conacry s’il veut rentrer dans l’histoire comme l’homme qui aura remis la Guinée sur le chemin de la liberté et donné à tous les Africains l’espoir d’un avenir plus démocratique.
Michel Taube