Dans un nouveau rapport, la Banque mondiale prévient le changement climatique pourrait engendrer 2016 millions de réfugiés d’ici 2050. L’Afrique et l’Asie sont les continents les plus menacés, notamment à cause de la hausse du niveau de la mer.
« Pendant la période des semis, il ne pleuvait pas. Puis il se mettait à pleuvoir au mauvais moment. Cela provoquait des sécheresses, et je ne voulais plus souffrir de cette situation. J’ai voulu tenter ma chance en ville, alors je suis venu à Hawassa ». Comme des millions de personnes dans le monde, Wolde Danse, un Ethiopien de 28 ans, a dû quitter son village, poussé par le dérèglement climatique. D’ici 2050, 216 millions de personnes au total pourraient être amenées à faire de même, d’après un rapport de la Banque mondiale publié lundi 13 septembre.
Le document complète une première version publiée en 2018, qui s’était focalisée à l’époque sur trois régions du monde : l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine. L’institution avait alors établi que 143 millions de migrants climatiques seraient issus de ces territoires d’ici 2050. Cette année, le rapport a intégré dans son étude l’Asie de l’Est et le Pacifique, l’Afrique du nord ainsi que la partie regroupant Europe de l’Est et Asie Centrale. D’où un chiffre bien plus élevé.
En 2020, déjà près de 23 millions de personnes auraient été forcées de se déplacer en raison de phénomènes climatiques extrêmes dans le monde, selon l’ONU. Les invasions spectaculaires de criquets dans les champs d’Afrique de l’Est et les inondations dévastatrices dans le Sahel font partie des phénomènes climatiques ayant poussé les populations locales à émigrer.
Et en 2018, ces catastrophes avaient déjà forcé 16,1 millions de personnes à l’exil, principalement aux Philippines, en Chine et en Inde, touchés par les typhons et les cyclones. Mais aussi dans la Corne de l’Afrique et aux États-Unis, où la sécheresse et les incendies ont été meurtriers. D’après le Norwegian Refugee Council, « chaque année, ce chiffre est supérieur à celui des déplacements liés aux violences et aux conflits ».
L’Afrique en première ligne
Pour la Banque mondiale, si « les effets du changement climatique sont déjà visibles » dans toutes les régions du monde, celui-ci fera apparaître, dès 2030, « des foyers » de migrations, qui s’intensifieront chaque année un peu plus. Continent le plus concerné par ces déplacements forcés, l’Afrique subsaharienne pourrait compter jusqu’à 86 millions de migrants climatiques d’ici 2050, selon le scenario le plus pessimiste de l’institution. D’après les auteurs du rapport, les pays africains sont « très vulnérables aux effets du changement climatique, particulièrement dans les zones arides déjà fragiles et le long des côtes exposées. L’agriculture, essentiellement pluviale dans la région, est aussi un grand pourvoyeur d’emplois ».
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Mais c’est surtout dans le nord du continent, que « la proportion la plus importante de migrants climatiques internes par rapport à la population totale » sera la plus importante. En cause ? La raréfaction de l’eau à l’intérieur des terres, et l’élévation du niveau de la mer sur des zones côtières très peuplées. « La côte nord-est de la Tunisie, la côte nord-ouest de l’Algérie, l’ouest et le sud du Maroc ainsi que les contreforts de l’Atlas central » font partie des territoires les plus touchés par le stress hydrique, affirme le rapport.
« Des centres urbains importants comme Le Caire, Alger, Tunis, Tripoli, le corridor Casablanca-Rabat, Tanger » ou encore Alexandrie, où l’eau est plus disponible devraient alors devenir « des foyers d’immigration climatique ». Mais ces terres d’accueil restent, elles aussi, très menacées, alerte la Banque mondiale. La région de Tanger et la côte orientale marocaine, qui « devraient attirer de plus en plus de migrants en raison de la meilleure disponibilité de l’eau », sont aussi exposées au risque d’élévation du niveau de la mer et aux tempêtes.
Des températures qui « dépassent le seuil de tolérance humaine »
Des problématiques similaires en Asie, où les régions de l’Asie de l’Est et Pacifique, et de l’Asie du Sud, totaliseraient à elles deux près de 90 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050. Dans la sous-région du bas Mékong, « l’élévation du niveau de la mer qui met en péril les principaux moyens de subsistance, notamment la production de riz, l’aquaculture et la pêche » devrait créer des foyers d’émigration climatique dans certaines plaines côtières densément peuplées, comme le Delta du Mékong, au Vietnam », alerte les auteurs de l’étude. Ces foyers devraient apparaître dans des lieux où la population augmente déjà, comme au Delta de la Mer rouge et dans la région côtière centrale du Vietnam.
Le premier rapport de la Banque mondiale sur le sujet indiquait par ailleurs que le Bangladesh compterait la quasi-moitié du nombre de migrants climatiques internes prévu pour l’ensemble de la région Asie du Sud. D’ici 2050, les experts lui en prédisent jusqu’à 19,9 millions.
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Au Moyen Orient, c’est plutôt la hausse des températures qui sera à l’origine des futurs déplacements. Ainsi, « le nombre de jours affichant une température dépassant le seuil de tolérance humaine devrait augmenter dans plusieurs grandes régions urbaines en expansion, notamment Amman, Aden et Bagdad, mais aussi dans des régions côtières comme au sud du Yémen, dans les pays de l’est de la Méditerranée, dans la côte sud de l’Iran et la partie la plus au sud de l’Irak ». La chaleur et la canicule, en plus d’être dangereuses pour la santé des plus fragiles, « pourraient aussi nuire à la continuité des moyens de subsistance agricoles ».
Des « pressions énormes »
Pour endiguer le phénomène, la Banque mondiale incite les états à réduire dès maintenant les gaz à effet de serre, et à « intégrer les migrations climatiques internes dans la planification d’un développement vert, résilient et inclusif ». Car l’exil climatique peut aussi s’avérer bénéfique. Pour l’étude, « si elles sont bien gérées, les migrations climatiques internes » et « les évolutions de la répartition de la population » peuvent également permettre « aux populations de sortir de la pauvreté, de développer des moyens de subsistance résilients et d’améliorer leurs conditions de vie ».
Dans le cas contraire, si les autorités persistent à ignorer les prévisions, il y aura « des points chauds » de migration climatique, « avec des répercussions importantes pour les régions d’accueil, souvent mal préparés à recevoir de nombreux migrants supplémentaires ». Les points de départ et de destination pourraient être exposés à « des pressions énormes ». Reste à savoir si l’appel sera entendu.