En Bavière, des migrants originaires de Sierra Leone ont manifesté contre l’obligation de devoir se présenter à des « entretiens d’identification » menés par des fonctionnaires de l’ambassade sierra-léonaise. Ils craignent d’être expulsés.
En Sierra Leone, on appelle « Temple Run » (La course du temple) le dangereux voyage pour tenter de rejoindre l’Europe via la Libye et la mer Méditerranée. L’expression fait référence au titre d’un célèbre jeu vidéo pour téléphone portable, dans lequel un explorateur doit éviter à l’infini toutes sortes d’obstacles pour survivre.
Et le « Temple Run » reflète bien le parcours de Victor Kamara. Ce Sierra-Léonais vit en Allemagne et occupe un emploi d’ingénieur en mécanique. Pendant plus d’une semaine, il a campé avec une centaine d’autres migrants sierra-léonais dans la rue de la Hofmannstraße à Munich. C’est là, au numéro 51, que se trouve le bureau de l’immigration.
Le groupe est venu protester contre les « entretiens d’identification », menés pas des fonctionnaires de l’ambassade de Sierra Leone depuis la semaine dernière. L’objectif affiché est de vérifier si les migrants sans papiers sont vraiment originaires de ce pays d’Afrique de l’Ouest.
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Les Sierra-Léonais de Bavière – dont beaucoup vivent en Allemagne depuis des années – craignent que ces entretiens n’aboutissent à des expulsions. « Nous rejetons fondamentalement cette pratique dégradante », explique Victor Kamara, qui est par ailleurs le président de l’Association sierra-léonaise de Munich.
Plus de 200 personnes ont reçu des lettres leur demandant de se présenter à ces entretiens. Selon le Conseil des réfugiés bavarois, lors de ces rendez-vous, des fonctionnaires mènent un interrogatoire « afin de savoir si les personnes viennent de Sierra Leone, en se basant sur les capacités linguistiques, la prononciation, le dialecte, l’apparence ou encore les tatouages traditionnels ».
A la fin, l’objectif est de pouvoir délivrer des documents aux Sierra-Léonais sans papiers permettant éventuellement de les expulser.
Pour Hamado Dipama, un ancien réfugié du Burkina Faso et porte-parole du Conseil consultatif des migrations de la ville de Munich, il s’agit d’une « pratique raciste fondée sur des critères arbitraires ».
« C’est traumatisant pour de nombreux Sierra-Léonais qui ont reçu ces lettres », explique Victor Kamara. « Beaucoup d’entre eux travaillent, ont suivi une formation professionnelle ou un apprentissage. Beaucoup d’entre eux ont des enfants ici, et maintenant on essaye de les séparer de leurs enfants et de leurs familles pour les renvoyer en Sierra Leone. »
Les personnes ayant reçu la lettre de convocation mais qui ne se présentent pas à leur entretien risquent d’être accusées d’avoir commis une infraction, puisque selon la législation allemande, toute personne cherchant une protection en Allemagne doit « coopérer pour obtenir un document d’identité » et « se soumettre aux mesures d’identification requises. »
Les personnes convoquées peuvent aussi être amenées de force par la police à ces entretiens ou encore se voir attribuer un statut connu sous le nom de « Duldung ». Ce statut, même s’il suspend temporairement toute expulsion, a pour finalité le renvoi d’une personne dès que cela est techniquement possible. De plus, suite à l’introduction en avril 2020 d’une nouvelle loi visant spécifiquement à renforcer les renvois des demandeurs d’asile non identifiés, le statut de Duldung est accompagné d’une interdiction de travailler.
Fin 2020, plus de 540 Sierra-Léonais vivaient officiellement à Munich, selon le journal Süddeutsche Zeitung. « La plupart d’entre nous sommes venus ici pour avoir une vie meilleure. Et nous contribuons à la société », martèle Victor Kamara. « Tous les gens que vous voyez ici sont des jeunes. Je pense que le plus âgé a environ 35 ans. Ces gens sont en bonne santé et veulent aller travailler, ils veulent apprendre. S’ils sont renvoyés en Sierra Leone, ils vont errer dans les rues. Il n’y a pas d’avenir pour eux là-bas. »
En Sierra Leone, les femmes et les filles sont régulièrement victimes de violences sexuelles, de viols et de pratiques traditionnelles comme les mutilations génitales, raconte Fatmata, 25 ans, qui a fui le pays il y a cinq ans. « Je veux que l’Allemagne protège les Sierra-Léonais. Je veux qu’ils arrêtent les expulsions. »
Après la publication de cet article, un porte-parole du Landesamt für Asyl und Rückkehr (LfAR), l’organisme public chargé des demandes d’asile et des expulsions en Bavière, a déclaré à InfoMigrants que l’un des objectifs de ces entretiens est « d’expliquer aux délégations étrangères [dans ce cas, aux fonctionnaires sierra-léonais] ainsi qu’aux personnes interrogées les principes du retour volontaire et de parvenir ainsi à une meilleure compréhension des possibilités et des opportunités qui y sont associées. »
Le LfAR précise qu’il « encourage le départ volontaire des ressortissants étrangers, en particulier ceux qui sont obligés de quitter le pays, vers leur pays d’origine ou vers un pays tiers disposé à les accueillir. Par le biais (…) de conseils en matière de retour, de soutien au retour et de projets de réintégration, l’objectif est de motiver ces personnes à prendre la décision de retourner volontairement dans leur pays d’origine. L’enquête sert évidemment aussi à créer les conditions du rapatriement. Il n’y a en revanche pas de rapatriement immédiat dans le cadre de l’entretien. »
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