Des milliers de migrants venus de la Libye voisine sont arrivés ces dernières années en Tunisie. Souvent récupérés en mer par les garde-côtes tunisiens après un départ des plages libyennes, ces exilés espèrent retenter rapidement une traversée depuis la Tunisie. Mais tous se heurtent à la réalité économique du pays. Par manque de travail et de revenus, ils ne peuvent pas payer les passeurs et se retrouvent « piégés » dans le pays.
Leslie Carretero, envoyée spéciale en Tunisie.
Mohammed et Mariam ont les pieds dans l’eau. Les deux jeunes Africains s’affairent depuis de longues minutes pour limiter les dégâts. Une fuite vient d’inonder leur appartement. Balai à la main, Mohammed évacue l’eau par les escaliers. Mariam lui donne un coup de main, son bébé de sept mois agrippé à son dos.
Le Malien et la Guinéenne d’une vingtaine d’années vivent « péniblement » à Zarzis depuis presque deux ans. Ils partagent avec deux autres personnes, dont le mari de Mariam, un petit trois pièces dans cette ville côtière du sud de la Tunisie d’environ 75 000 habitants. Chaque mois, le paiement du loyer, qui s’élève à 250 dinars (75 euros), est source d’inquiétude.
Le prix de l’appartement n’a rien d’exorbitant pour la région, mais les offres d’emploi se font de plus en plus rares en Tunisie, y compris pour les locaux. Le pays compte plus de 742 000 personnes au chômage, pour un taux de 17,8% de la population active. Le pourcentage chez les jeunes atteint 40,8%, selon l’Institut national de la statistique (INS).
La crise économique touche donc de plein fouet les migrants. Les touristes ont déserté la région en raison de la pandémie de coronavirus et le secteur du bâtiment peine à reprendre ses activités. Des domaines dans lesquels les exilés avaient l’habitude de travailler de manière informelle.
Aboubacar et Alassane, assis sur le sable, les yeux rivés vers la mer, sont Sierra-Léonais. Ils disent « souffrir ici ». Les maigres revenus qu’ils parviennent à engranger lorsqu’ils sont embauchés temporairement sur un chantier – environ 30 dinars par jour – leur permettent tout juste de payer leur loyer et un peu de nourriture.
Tous les migrants rencontrés dans le sud de la Tunisie répètent inlassablement la même chose : « Il n’y a pas de travail ».
Mariam, elle, fait bien quelques ménages chez des Tunisiens mais pas suffisamment pour payer ses charges. Trouver de la nourriture pour son fils est devenu une gageure. « L’épicier du coin de la rue me donne parfois des yaourts pour mon enfant mais c’est très difficile. Certains jours, on n’a rien à manger », confie la Guinéenne.
« On ne pensait pas que ça serait si compliqué »
Le nombre de migrants à Zarzis avoisine les 3 000, d’après Mongi Slim, responsable régional du Croissant-rouge tunisien. Environ 300 personnes sont logées dans des centres gérés par l’Organisation internationale des migrations (OIM) ou le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), les autres louent à plusieurs des appartements en ville.
La majorité ont débarqué dans le pays « de manière accidentelle », rapporte Mongi Slim. Partis de Libye à bord d’embarcation de fortune avec pour destination l’Europe, ils ont dérivé vers les côtes tunisiennes où ils ont été secourus par les autorités.
Aucun d’eux n’a donc souhaité être là. Quelques uns ont bien un temps eu l’espoir de s’installer en Tunisie mais leur quotidien précaire a changé leur plan. Échoués dans le pays, les exilés rencontrés caressent toujours le même rêve : rejoindre un pays européen.
Mais atteindre l’eldorado européen est plus compliqué que ce qu’ils avaient imaginé. Le coût de la traversée de la Méditerranée frôle les 2 000 euros au départ des côtes tunisiennes. Impossible de payer un passeur avec leurs faibles ressources. Résultat : ils se retrouvent bloqués en Tunisie, souvent pendant plusieurs années.
« La Tunisie, c’est l’enfer caché. On meurt à petit feu », souffle Aminita*, une Ivoirienne de 33 ans rencontrée à Médenine, à une soixantaine de kilomètres de Zarzis. « En Libye on savait à quoi s’attendre mais on ne pensait pas que ce serait si compliqué ici », continue cette mère de quatre enfants, dont la benjamine est le fruit d’un viol commis dans une prison libyenne.
Retourner en Libye
Le manque de travail et d’argent poussent même certains migrants à retourner en Libye, malgré les risques qu’ils encourent. Le pays, riche en hydrocarbures, fut longtemps un des États les plus prospères de la région.
Ahmed* y songe parfois. « Au moins, là-bas, tu peux travailler et essayer de prendre la mer », assure ce Soudanais de 32 ans. Moustapha* écoute son ami, et acquiesce à plusieurs reprises d’un signe de la tête. « On est venus en Tunisie car on pensait que c’était un pays sûr mais si j’avais su je serais resté en Libye », renchérit le jeune homme, arrivé dans le pays deux ans plus tôt en traversant la frontière terrestre.
Les deux Soudanais ont pourtant obtenu l’an dernier le statut de réfugié auprès du HCR en Tunisie. Mais en l’absence de politique d’intégration, les réfugiés se retrouvent souvent dans la même précarité que les sans-papiers. Hébergés depuis deux ans dans un centre de l’agence onusienne situé en périphérie de Zarzis – le commerce le plus proche se trouve à 20 minutes en vélo – Ahmed et Moustapha se plaignent du manque de perspective. Sans l’aide financière d’environ 200 dinars versé mensuellement par le HCR, ils ne s’en sortiraient pas, estiment-ils.
Bien que signataire de la Convention de Genève relative aux réfugiés, Tunis ne s’est pas doté d’un cadre légal national nécessaire à son application. Les questions d’asile et de protection sont donc déléguées au HCR. Depuis le début de l’année, 2 951 personnes ont obtenu le statut dans le pays. L’organisation loge les réfugiés dans des centres répartis sur le territoire ou dans les 75 appartements mis à leur disposition.
Le représentant adjoint du HCR en Tunisie, Laurent Raguin, reconnait à demi-mot que la situation peut être difficile pour les migrants et réfugiés en Tunisie, « mais ce n’est pas simple non plus pour les Tunisiens ». Pour le responsable, le travail existe, mais beaucoup refuseraient les offres. « Une entreprise avait accepté d’embaucher plusieurs centaines de réfugiés, mais elle n’a pas trouvé preneurs », affirme-t-il.
Moustapha et Ahmed ne sont pas de cet avis. « A part l’aide financière et le logement, le HCR ne fait rien pour nous et ne nous aide pas à trouver un emploi », rétorquent les deux amis. Ils assurent vouloir travailler et se former à un métier mais « rien n’est organisé en ce sens ». « Ici tu manges et tu dors, c’est tout », déplore Ahmed, le regard vide.
Un sentiment de désespoir qui pousse certains au pire. Abdallah a tenté début octobre de mettre fin à ses jours en se jetant du toit du centre du HCR de Médenine. Ses amis l’ont retenu in extremis. « Ici, c’est comme si j’étais déjà mort de toute façon », lance ce demandeur d’asile soudanais de 17 ans, dont le corps rachitique témoigne des souffrances endurées sur la route de l’exil.
*Les prénoms ont été modifiés.
Avec infomigrants