Depuis une semaine, des travailleurs sans-papiers employés pour l’entreprise de ramassage de déchets Sépur sont en grève. Ils réclament leur régularisation et les même droits que leurs collègues embauchés. À Bobigny, en région parisienne, ils ont installé un piquet de grève sur l’esplanade de l’Hôtel de ville. Reportage.
Ce lundi 1er novembre, l’esplanade de l’Hôtel de ville de Bobigny (Seine-Saint-Denis) est balayée par un vent glacial. Depuis une semaine, des dizaines de travailleurs sans-papiers, employés pour le compte de l’entreprise de ramassage des déchets Sépur, y ont installé un piquet de grève.
Certains sont venus dans leur tenue de travail jaune fluorescent. D’autres ont endossé des chasubles rouges de la CGT. Accrochée à un grand barnum blanc, une banderole du syndicat flotte au vent. « 3 conflits en 8 ans. La direction toujours pas au courant ? », peut-on y lire.
La grève a commencé lundi dernier, ici comme dans une dizaine d’autres entreprises d’Ile-de-France qui emploient indirectement via des agences d’intérim des travailleurs sans-papiers. Sur les piquets de grève, les travailleurs réclament que leurs employeurs leur remettent des formulaires Cerfa
, leur ouvrant la voie vers une régularisation par le travail. Ils dénoncent aussi des abus rendus possibles par leur situation administrative.
« Dès le premier jour, ils ont su que ce n’étaient pas mes papiers », avance Malle, employé au dépôt de Villejust (Essonne). « Le chef m’a dit qu’il pouvait me faire travailler mais que c’était payant. Je devais lui donner 10% de mon salaire à la fin de chaque mois pour qu’il me donne du travail », accuse le jeune homme de 30 ans.
Keïta, un grand gaillard chargé du balayage dans le quartier des Quatre chemins à Pantin (Seine-Saint-Denis) depuis quatre ans, assure, lui, que son chef de dépôt lui a suggéré de lui ramener les papiers d’une autre personne pour éviter de se trouver en période de carence – période non travaillée obligatoire une fois la durée maximale d’un contrat d’intérim atteinte.
Comme beaucoup des jeunes hommes présents ce matin, il est ravi que cette grève, prévue de longue date et reportée plusieurs fois à cause du Covid-19, ait enfin lieu. Assis sur des marches en béton à l’extérieur de l’Hôtel de ville, il raconte que « trois personnes ont déjà essayé de [le] remplacer à [son] poste aux Quatre Chemins » depuis qu’il s’est mis en grève.
Des sans-papiers qui empruntent l’identité de personnes en règle
Face aux accusation de la CGT et des travailleurs, Sépur clame qu’elle « n’a jamais employé de sans-papiers ». « Toutes les personnes qui interviennent chez Sépur, ses 2 500 employés et intérimaires présents pour répondre aux besoins de son activité, ont tous présenté des papiers d’identité validés en préfecture », affirme l’entreprise dans un communiqué publié le 27 octobre. Sollicitée par InfoMigrants pour une interview, Sépur déclare, « pour l’instant, s’en tenir » à ce texte.
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Les discussions entre les grévistes et la direction sont au point mort. Pourtant, les accusations portées par les employés et la CGT, qui coordonne le mouvement de grève, sont graves : recours abusif à l’intérim, non-paiement des heures supplémentaires, non-distribution des équipements réglementaires…
Pour les employés et les syndicats, l’entreprise feint de ne pas savoir que les documents d’identité sont ceux de tierces personnes ayant des titres de séjour. Ces derniers prêtent leur identité aux sans-papiers pour leur permettre de travailler.
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« Embauche sur les dépôts »
La CGT estime que Sépur a mis en place un système pour se protéger. Au lieu d’embaucher des travailleurs sans-papiers, l’entreprise a recours à des agences d’intérim.
« L’embauche se fait sur les dépôts, les gars se présentent, indiquant qu’ils cherchent du boulot. Le contre-maître choisit en fonction des besoins de l’entreprise », explique Jean Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale de la CGT à Bobigny.
Dans la salle que l’hôtel prête aux grévistes, comme sur l’esplanade, les discussions sur l’avenir de leurs emplois vont bon train. Un petit attroupement s’est formé autour des gigantesques cafetières et théières installées dans un coin de la pièce. Pour les travailleurs mobilisés depuis une semaine, la venue au piquet de grève est devenu un rituel quotidien.
Parmi eux, Nedjif se souvient bien de son embauche au dépôt Sépur de Villejust. « Mon oncle était passé se renseigner. Le patron lui avait dit qu’il cherchait des gens. Je suis venu avec la carte vitale d’une autre personne, un RIB, une quittance de loyer. Ils ont fait des photocopies, m’ont rendu les originaux et m’ont dit de venir le lendemain pour une formation de 2 heures. J’ai commencé tout de suite après la formation », raconte-t-il.
Le jeune Malien est convaincu que la Sépur est alors son employeur mais, quand il reçoit ses feuilles de paie, elles sont siglées d’une entreprise d’intérim.
« Ces entreprises n’ont pas d’accueil physique, tout est en ligne. Elle va inscrire le travailleur dans ses effectifs et envoyer les contrats de mission nécessaire à son activité avec Sépur », assure Jean Albert Guidou.
Nedjif remarque au bout de quelques mois que ses heures supplémentaires ne lui sont pas payées. « Au dépôt on m’a dit de demander à l’agence d’intérim. J’ai voulu aller les voir mais il n’y avait rien à l’adresse indiquée. Leurs bureaux n’existent pas. »
Feuilles de route
Sur l’esplanade de l’Hôtel de ville, Baradji est assis sur l’une des chaises en plastique qui accueillent, au soleil, de petits cercles de discussion informels entre grévistes. Lui aussi a fait les frais de ce fonctionnement. Ce ripper (employé qui collecte les poubelles et les vide dans la benne) de 28 ans a constaté que ses heures supplémentaires ne lui étaient pas payées.
Celles-ci doivent être notées sur une « feuille de route ». « On les donne ensuite à Sépur qui doit ensuite les transmettre à l’intérim. Mais quand nos heures supplémentaires ne sont pas payées, Sépur dit que ce n’est pas eux qui nous payent et l’intérim dit que ce n’est pas eux qui collectent les feuilles de route », déplore le jeune homme. « Ils savent qu’on n’a pas de papiers donc ils en profitent ».
Pourtant, certains jours, les heures supplémentaires s’accumulent vite. « Il n’y a pas vraiment d’heure fixe de fin, tout dépend de combien de temps prend la tournée », explique Malle, qui se lève à 2h30 pour embaucher à 5 heures et travaille parfois jusqu’à 15 heures.
Des rippers rapportent également des cas de non-respects des rythmes de travail, avec des chefs de dépôt « qui t’envoient un sms quand tu finis à 22h pour te dire que tu commences demain à 5 heures ».
Mohamed se tient en retrait des travailleurs qui discutent bruyamment dans la salle de l’hôtel de ville de Bobigny. Ce jeune Malien parle d’une voix basse, comme s’il n’osait pas raconter son histoire. Lui aussi a connu les horaires à rallonge et le chantage au travail. Ce lundi est son tout premier jour de grève, après deux ans de travail comme ripper à la Sépur. « Je suis venu trouver des gens pour m’aider à me défendre. »