Au lendemain du naufrage qui a coûté la vie, mercredi, à 27 personnes, les migrants mesurent le danger d’une traversée de la Manche en bateau. Mais, à Grande Synthe comme à Calais, la plupart n’entendent pas renoncer à rejoindre le Royaume-Uni.
Dans le petit campement qui s’est installé entre une voie ferrée désaffectée et le canal de Bourbourg, tout près de Grande Synthe, le naufrage du mercredi 24 novembre est dans toutes les têtes. La nouvelle a glacé le sang des exilés qui ont installé leur tente sur ce terrain boueux à la suite de la dernière grande évacuation.
Noujan est originaire du Kurdistan irakien. Alors qu’il s’affaire à alimenter un petit feu près de sa tente, il raconte que lui-même a déjà tenté cinq fois de traverser la Manche à bord d’un « small boat ». « La première fois, j’ai passé 4 heures dans l’eau. Nous étions 32 personnes et la police est venue nous chercher. La deuxième fois, je suis resté 6 heures dans l’eau. » La dernière tentative de traversée de ce jeune kurde fluet et souriant remonte à mardi, la veille du naufrage qui a fait 27 victimes. Et il assure qu’il retentera, encore et encore. Même s’il a bien conscience du danger. « Bien sûr que j’ai peur, 27 personnes sont mortes hier… »
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« Tout le monde part en bateau », assure, de son côté Harish, 21 ans, arrivé sur le littoral français après un voyage depuis l’Irak via le Liban, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne.
Des passages en camions plus chers
Selon lui, le recours aux « small boats » s’expliquerait par le prix des traversées par la mer, aujourd’hui inférieurs aux traversées en camions. « La traversée en bateau coûte 2 000 ou 3 000 livres (entre 2 400 et 3 500 euros). En camion, c’est 7 000 (environ 8 300 euros). » Cette hausse des prix des passages en camion s’explique notamment par la quasi-impossibilité d’entrer dans le port de Calais, ultra-sécurisé.
Rebeen Mustafa, lui non plus, n’a pas renoncé à rejoindre le Royaume-Uni. Mais après deux tentatives en « small boat », cet homme, originaire de Kirkouk et qui confie « avoir très peur de l’eau », a décidé de changer de méthode. Le naufrage de mercredi a été pour lui comme un électrochoc. « Hier, après le naufrage, j’ai décidé d’arrêter d’essayer de passer en bateau et de ne plus essayer qu’en camion », affirme-t-il.
Pourtant, ces tentatives de passages ont également fait de nombreuses victimes dans le Calaisis. Deux jeunes Soudanais ont récemment perdu la vie, à quelques semaines d’intervalle, en tentant de monter à bord de camions.
« De toute façon, on est mort ici »
Mais les conditions de vie de plus en plus difficiles pour les exilés sur le littoral français et l’absence de voies de passage sûres et légales vers le Royaume-Uni poussent certaines personnes à voir la traversée de la Manche en bateau, aussi dangereuse soit-elle, comme la seule option. « Pour nous le lien de cause à effet [entre mauvaises conditions de vie et départs] est flagrant. Ce que font vivre les autorités aux exilés avec cette politique de non-accueil pousse bien sûr les gens à partir et à prendre d’autant plus de risques, dénonce Anna Richel, coordinatrice d’Utopia 56 à Grande Synthe où vivent quelques 500 migrants. La question d‘accueillir n’est jamais posée, même après le drame d’hier. »
Jeudi soir, Ibrahim*, 22 ans, et Kamal*, 18 ans, sont venus participer à la veillée d’hommage aux 27 victimes du naufrage de mercredi. Un peu à l’écart de la centaine de personnes réunies dans un froid glacial dans le centre-ville de Calais, ils racontent leurs multiples tentatives à bord de bateaux surchargés, aux moteurs trop faibles.
« Je veux continuer à essayer de passer jusqu’à la mort. De toute façon, on est déjà mort ici », avance Kamal. À Calais depuis onze mois, ce Soudanais à peine sorti de l’adolescence a déjà déposé une demande d’asile mais son dossier a été rejeté. À ses côtés, Ibrahim abonde : « C’est mieux de mourir en mer que de rester ici. »
Parmi les exilés, rares sont ceux qui, comme ce Syrien d’une cinquantaine d’années rencontré à l’hommage, choisissent de renoncer. « J’ai essayé de traverser neuf fois et la dernière fois, on a tous failli mourir », se souvient-il.
Harish, dont le grand frère vit depuis plusieurs années au Royaume-Uni, estime, lui, qu’il n’a pas le choix. Partie avec lui d’Irak, le reste de sa famille est aujourd’hui toujours bloquée en Biélorussie. Personne ne l’attend plus dans son pays. Alors il continuera à monter dans des bateaux gonflables surchargés dans l’espoir de rejoindre les côtes britanniques. « Ma vie c’est du 50/50. Soit j’arrive en Angleterre, soit je meurs. »
*Les prénoms ont été changés