Si les arrivées d’Algériens en Espagne par la mer persistent malgré des conditions météo difficiles, certains, depuis un mois, ont été forcés de faire le chemin en sens inverse. Depuis début novembre, 300 personnes au moins ont été renvoyés en Algérie, via des ferries de la compagnie Trasmediterranea.
En une seule journée le 21 novembre, 20 personnes parties d’Algérie ont été secourues par les garde-côtes espagnols, à Almeria et Alicante. Une semaine plus tôt, 16 autres passagers d’une petite embarcation à moteur, dont une femme, ont été interceptés par les autorités de Carthagène, à environ 50 miles des côtes andalouses. Malgré des conditions météo qui se dégradent – à cause du mauvais temps, un avion de l’armée de l’air est désormais chargé de patrouiller la zone à la recherche de navires – les « harragas » [migrants en arabe, ndlr] continuent de traverser la mer pour tenter leur chance en Europe.
Mais depuis un peu plus d’un mois, c’est un autre ballet qui se joue en mer Méditerranée. Des ferries de la compagnie Trasmediterranea, affrétés par l’Espagne, font le chemin inverse. À l’intérieur, des migrants algériens récemment arrivés sur son sol, et expulsés du pays. Le 25 novembre, un bateau avec à son bord 30 personnes a quitté Almeria, direction Oran. Tous étaient détenus au centre de détention pour étrangers (CIE) de Barcelone, indique sur sa page Facebook Francisco José Clemente, fondateur de l’ONG Heroes del Mar.
Ces établissements prennent en charge les étrangers majeurs arrivés illégalement sur le sol espagnol et qui font l’objet d’une expulsion, pour une durée de 60 jours maximum. D’après Francisco Jose Clemente, les migrants sont autorisés à utiliser leur téléphone portable à l’intérieur de la structure. « Ils sont tous en contact quotidien avec leur famille », affirme-t-il.
Quelques jours plus tôt, le 21 novembre, le port d’Almeria était « rempli de fourgons de la police nationale, en provenance des CIE du pays », assurait Francisco José Clemente. Ce jour-là, 88 personnes ont été reconduits en Algérie. Quatre jours plus tôt, un autre navire est parti de la ville pour Oran avec à son bord 30 Algériens. Eux aussi avaient passé plusieurs jours dans le CIE de Barcelone.
Idem les 13, 10 et le 3 novembre, des bateaux ont fait le chemin similaire vers Oran et vers Ghazaouet (à l’ouest du pays) transportant 156 personnes au total.
Pour le seul mois de novembre, ce sont donc 304 Algériens qui ont été ramenés dans leur pays par les autorités espagnoles.
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Contrat avec Trasmediterranea
D’après le quotidien El Pais, c’est en août dernier que le ministère espagnol de l’Intérieur a en urgence signé un contrat avec Trasmediterranea. Au total, quatre ferries sont mobilisés, « afin d’expulser les Algériens en situation irrégulière arrivés par bateaux ». La sous-traitance de chaque navire, « qui comprend la prise en charge des rapatriés et des agents qui les accompagnent, ainsi que leur voyage de retour en Espagne » coûte au total 300 000 euros, d’après un document consulté par le journal.
L’appel d’offres pour ces rapatriements a été traité selon la procédure « d’urgence », réservée aux cas dans lesquels « l’administration doit agir immédiatement, en raison d’événements catastrophiques, de situations présentant un danger grave ou de besoins affectant la défense nationale ». Un contrat similaire avait été signé en décembre 2020. À l’époque, trois navires avaient été affrétés pour rapatrier 120 Algériens accompagnés de 240 policiers, d’Alicante à Oran.
Ces prochains mois, les expulsions devraient se faire encore plus régulières. Car les traversées de la Méditerranée depuis l’Algérie sont toujours nombreuses. Selon les autorités espagnoles, près de 10 000 Algériens au total sont entrés clandestinement sur le territoire depuis le début de l’année, soit 20 % de plus qu’il y a un an.
Des naufrages à répétition
Si certains parviennent à atteindre les côtes andalouses et les îles Baléares sains et saufs, de nombreux bateaux ne gagnent jamais la terre. Le 17 novembre, un bateau parti d’Oran pour Almeria a disparu, avec à son bord 14 personnes dont 2 enfants de 5 et 12 ans, une femme et un homme handicapé. Et le 5 novembre, une autre embarcation à moteur, partie d’Alger pour les îles Baléares, a chaviré. À son bord, 11 personnes, dont un enfant et une femme. Aucun survivant, aucun corps, n’a été retrouvé.
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D’après l’ONG espagnol Cipimd, 270 personnes auraient disparu sur cette route entre le 1er janvier et le 30 septembre 2021. Les familles les plus chanceuses reçoivent un appel de l’association, qui se charge de contacter les proches des disparus dont les corps ont été retrouvés.
Début novembre, Cipimd a dû prévenir « une maman restée au pays, qui attendait des nouvelles de sa fille partie avec sa petite famille », peut-on lire sur sa page Facebook. « Nous sommes au regret de vous annoncer que l’embarcation dans laquelle voyageaient vos proches a naufragé. Ce n’est que maintenant que la Méditerranée a bien voulu rendre le corps de votre fille. Pour le moment, les dépouilles des deux autres victimes n’ont pas été récupérées », a annoncé l’association. À l’autre bout du fil, comme seule réponse « des cris » et « des pleurs ». Puis la communication s’est interrompue.
Avec infomigrants