Juriste, professeur de droit constitutionnel, ancien ministre du président Lansana Conté, Salifou Sylla qui a participé à l’élaboration de la loi fondamentale de 1990 et à celle de la constitution de 2010, s’est prononcé mercredi, 8 décembre dernier, au cours d’une interview accordée à Mediaguinee, sur la chute du président Alpha Condé, l’arrivée de l’armée au pouvoir, un éventuel jugement du président déchu et la durée de la transition. Interview…
Mediaguinee: Depuis le 5 septembre dernier, c’est un autre homme qui dirige la Guinée, le colonel Mamadi Doumbouya qui a renversé le régime du professeur Alpha Condé. Quelle est votre analyse de la situation?
Salifou Sylla: Personnellement, même si ce coup d’Etat m’a surpris, parce que je crois que personne ne s’y attendait, ce jour là, mais, je me dis que c’est dans la logique des choses. Quand vous avez un régime en place qui a complètement bouleversé le système juridique, qui a opéré les choses qui ont détruit la base juridique même, parce que la manière dont la constitution qui existait en 2010 a été changée ici et la manière dont on a procédé à un référendum, à une élection présidentielle. Tout cela était contraire aux règles. C’était ce que d’aucuns ont appelé un coup d’Etat constitutionnel. Alors, quand vous avez balayé la base d’un Etat parce que l’Etat c’est le droit, si vous méprisez le droit, vous méprenez la loi, vous méprisez la justice, eh bien il est évident que vous pouvez vous attendre à ce qu’il y ait des changements qui ne vont pas dans le sens souhaité. Parce que normalement dans un pays, dans un Etat, les changements de régime doivent s’opérer en fonction de la constitution en place. Mais si vous-même vous ne respectez pas la constitution et qu’il se trouve que dans ce pays les gens ont manifesté vous avez tué. Et en ce moment-là quelle est la seule force qui est capable de s’opposer à un Etat qui est répressif, qui interdit toutes les manifestations, qui arrête tout le monde, il n’y a que l’armée qui est la force organisée en face.
Ils l’ont [Alpha Condé] destitué, ils ne l’ont pas fait du mal. Ils l’ont gardé dans les conditions les plus dignes au palais Mohammed V maintenant ils l’ont transféré à Landréah.
Mediaguinee: Malgré les multiples appels de la communauté internationale qui exige la libération du président déchu, Alpha Condé est toujours dans les mains de Doumbouya. Trouvez- vous cela normal ?
Salifou Sylla: Je trouve normal. Mais pourquoi les gens estiment qu’il y a des personnes qui sont au-dessus de la loi. Pas parce qu’il a été ancien président. Ils l’ont destitué, ils ne l’ont pas fait du mal. Ils l’ont gardé dans les conditions les plus dignes au palais Mohammed V maintenant ils l’ont transféré à Landréah. Donc, ils ne l’ont fait aucun mal, ils l’ont traité avec tout le respect. Également, ils lui ont permis de garder certains privilèges. Vous savez, quand on arrête certains, ce qu’on peut leur faire c’est terrible. Et quand, on sait ce que lui, il a fait aux gens qu’il a arrêtés ici, comment il a laissé les gens mourir en prison et comment il a traité ses opposants. Ils les a humiliés. Vous savez, quand vous passez votre temps à humilier les gens, à faire certaines choses, vous ne finirez jamais en dehors de l’humiliation. Alors, quand les gens disent la CEDEAO et tout ça. La CEDEAO, quand on violait la constitution de ce pays qu’est-ce que la CEDEAO a fait ? Rien. Alpha Condé avait refusé de recevoir les chefs d’Etat Africains ici, qui avaient voulu le rencontrer pour désamorcer la crise, il n’a jamais accepté. Alors, les gens violent la constitution, ils répriment, ils violent tous les droits humains. Mais s’il s’agit d’eux, parce qu’ils ont été chefs d’Etat, vous dites non, on doit pas leur faire quelque chose et ça. Mais non, ils sont des citoyens, ils ne sont pas au-dessus de la loi. Je pense que ces gens-là, ceux qui ont pris le pouvoir n’ont eu aucun comportement inadmissible vis-à-vis d’Alpha Condé. Ils l’ont traité avec beaucoup de respect.
Mediaguinee: Donc, selon vous, le professeur Alpha Condé doit répondre de ses actes. Mais est-ce qu’il est possible de le juger en tant qu’ancien président de la République.
Salifou Sylla: Mais, on doit être en mesure de juger toutes personnes. Aucun homme n’est au-dessus de la loi. Mais pourquoi lui on ne le jugerait pas ? Il n’est pas un dieu, il est un simple humain. Et c’est un humain qui a été élu chef. Mais, il n’est pas dit que quand on vous a élu chef, vous, vous échappez à l’application du droit. Vous n’êtes pas au-dessus de la loi. Vous n’êtes pas au-dessus de la constitution. Vous êtes un justiciable. Tout ce qu’on demande, c’est que quand on vous accuse et qu’on vous mette devant une juridiction, il faut évidemment qu’on indique quelles sont les infractions que vous avez commises. Et la justice va apprécier en fonction de cela. Bon, les gens ont dit un chef d’Etat, c’est la haute cour de justice. Le problème est que la Haute cour de justice était prévue dans la constitution, il( Alpha Condé) n’a jamais voulu mettre en place la Haute cour de justice. Ce qui veut dire que la juridiction qui était en mesure de juger un président pour haute trahison éventuellement et de juger les ministres pour le détournement et autres là. On a refusé pendant 10 ans de mandat de mettre en place cette juridiction. Mais est-ce que vous admettez que l’on puisse refuser de mettre une juridiction en place et vous dites dans ce cas, moi, même si je réponds de certaines choses comme il n’a pas de juridiction, on ne doit jamais me juger. Non, ce n’est pas normal.
Mediaguinee: le colonel Mamadi Doumbouya, au pouvoir depuis maintenant 3 mois, ne s’est toujours pas prononcé sur la durée de la transition. Dites-nous, si vous êtes de ceux là qui sont pour une transition de courte durée ou de longue durée ?
Salifou Sylla: Je crois qu’il a dit si je m’abuse que quand le CNT va être mis en place que c’est ce CNT qui va certainement déterminer la durée de la transition. Et certainement en accord avec l’Exécutif. Donc, il y a ça qui me semble essentiel. Si, lui il ne sait pas prononcer, il dit nous attendons le CNT, et le CNT est censé représenter différents courants de la population guinéenne. Donc, le CNT va proposer, ça sera en accord avec eux. Vous me demandez si je suis pour une courte transition ou une transition longue. Je dois vous dire une chose, les dégâts dans ce pays étaient tellement considérables que les gens se précipitent pour dire, oui il faut tout de suite élire. Mais, vous allez élire, vous allez reproduire les mêmes conditions. Parce qu’il y a des actes qu’ils sont en train de prendre que moi j’apprécie. Je ne leur donne pas la possibilité de prolonger indéfiniment la transition, ce n’est pas ce que je dis. Mais, je me dis qu’il y a des mesures qu’ils ont prises depuis qu’ils sont au pouvoir, des mesures qui auraient pu être prises dans ce pays avant. Tout ce qu’on est en train de dénoncer là, la gabegie, le non respect du droit, ce qu’on est en train de faire à la fonction publique, dans les armées, la retraite et tout ça. Tous ces problèmes avaient été dénoncés par Alpha Condé lui-même. Mais, il n’a pris aucune mesure, il les a aggravés. Voilà, que les gens sont là. Et à l’heure actuelle, ils ont mis plein de militaires à la retraite, des douaniers, des policiers. Maintenant à la fonction publique, il y en à qui sont en train de travailler depuis le temps de Sékou Touré, depuis même au début de l’indépendance.
Et, je dois vous dire que si c’était un gouvernement civil qui était là, il n’aurait pas pris cette décision. Actuellement, les gens sont prêts à accepter beaucoup de choses d’eux ( CNRD). Alors, c’est pour ça, je me dis que ces mesures là sont nécessaires. Et le fait de vouloir redresser certaines situations, les détournements et autres là. Tel que par exemple le tribunal qui vient d’être mis en place, ce sont des choses essentielles. Alors, moi je me dis, il faut donner un peu de temps, il me semble que deux ans au moins ça pourrait être une durée correcte. Parce qu’il faut faire un assainissement d’abord de cette administration, de cet Etat. Et c’est ce qu’ils sont en train de faire. Sinon, moi je suis juriste, je suis constitutionnaliste. J’ai participé à l’élaboration et de la loi fondamentale en 1990 ici. J’en étais le rapporteur général. Et de la constitution de 2010. J’étais membre de la commission constitutionnelle du CNT. Donc, je suis attaché aux lois. Je suis professeur de droit constitutionnel. Donc, il y a pas quelqu’un qui est attaché au respect de droit que moi. Mais, je me dis que dans un pays si le droit est complètement violé, que la justice a été mise en l’air comme ça a été fait ici, quand vous succédez à un tel régime, il y a des problèmes importants parce que c’est la base de l’Etat qui avait été détruite par le régime qui est parti. Moi, je n’accuse pas, je le sais. Et je n’ai pas attendu que Alpha Condé parte. Tout le monde sait en Guinée, que j’ai dénoncé tout ce qu’ils ont fait pendant qu’ils étaient au pouvoir. Maintenant je me tais parce que moi quand quelqu’un est tombé je ne me mets pas à taper dessus. Mais je leur ai dit ce que je pensais pendant qu’ils étaient au pouvoir toutes ces années. Et, ça ne pourrait finir que comme ça. On dit qu’il a été humilié, il n’a pas été humilié lui. Mais, lui, il a humilié beaucoup de personnes, il a mis les gens en prison, ils sont morts là-bas. Les uns étaient malades, on ne les emmenait même pas à l’hôpital. Quand quelqu’un a fait tout ça, je suis content qu’on ne lui ai pas fait de mal, il ne faut pas lui faire du mal. Il faut casser cette habitude, il faut qu’on mette en place un mécanisme qui permet de respecter le droit, mais le droit de tout le monde. Ceux qui sont en train de crier aujourd’hui mais eux, ils ont été corrects? Le parti qui était là qui a accompagné Alpha Condé dans toutes ces violations de droits, ce parti se réunit pour dire, nous, nous allons repartir à la conquête du pouvoir, ils ont affaire à des gens qui sont gentils, civilisés. Je crois qu’il faut quand même que les guinéens fassent attention. Et, qu’on ne se dise pas parce que quelqu’un a été chef de ce pays qu’il est soustrait à l’application du droit. Là, je ne suis pas d’accord, je ne suis pas d’accord pour l’impunité. Il y a des milliards de ce pays qui ont été détournés, tout le monde sait quand même il faut qu’on fasse un peu de lumière sur ça. Eux, ils peuvent faire un pas évidemment ils ne peuvent pas corriger tout ça. Parce qu’il faudrait 10 ans ou 20 ans non. Mais qu’il y ait une amorce, ils ont commencé certaines choses, il faut qu’il continue. Moi, je me dis que vraiment deux ans à peu près ça permet de poser les jalons et qu’on avance pour la mise en place d’une nouvelle constitution.
Mediaguinee: Quel appel avez-vous à lancer à l’endroit de ce militaire qui dirige la nation guinéenne aujourd’hui?
Salifou Sylla: Je dois dire au Colonel Mamadi Doumbouya, il y a des pas qu’il a faits que j’apprécie. Il y a d’abord le droit, le respect du droit. Il a proclamé que la justice sera la boussole, c’est une très bonne chose. Dans un pays où le droit n’est pas respecté, vous n’êtes pas dans un Etat. Le fondement de l’Etat c’est le droit. Dans un pays où la justice est bafouée, vous n’êtes pas dans Etat. Alors qu’il suive ce chemin, que la justice soit respectée, que le droit soit appliqué. Et qu’il veille à ce que vraiment certaines manières de faire qui étaient là, basées sur l’ethnie, on favorise l’appartenance politique, on met n’importe qui et à n’importe quelle place. Alors, ça c’est des choses qui peuvent cesser. Alors qu’il aille dans ce sens là. Et j’apprécie aussi le fait qu’il ait dit qu’il ne veut pas qu’on s’engage dans les louanges parce que les Guinéens sont très compétents pour fabriquer les dictateurs. Ils sont là, ils disent qu’ils ne se présentent pas, je suis d’accord avec ça. Mais le respect du droit c’est le fondement de l’Etat.
Réalisée par Elisa CAMARA (mediaguinee)