Un rapport d’Amnesty International, paru vendredi, épingle les conditions d’accueil et d’accès à la demande d’asile dans les Canaries. Saturation des hébergements, manque de protection des mineurs non-accompagnés et des personnes vulnérables… Le tout dans un contexte où le nombre d’arrivées a implosé en 2020, avant de connaître une légère baisse en 2021.
Amnesty International vient de publier, vendredi 17 décembre, un sévère rapport sur le système d’asile dans les Canaries, intitulé « Un an d’analyse, dix ans d’échecs des politiques migratoires ». Il détaille les obstacles à l’accès au droit d’asile dans l’archipel espagnol, ainsi que le manque de protection des plus vulnérables.
En 2020, l’Espagne a reçu 88 826 demandes d’asile. Or, seulement près de 3 000 demandes ont été enregistrées dans les îles Canaries, soit 4,4 %. En cause ? « L’absence d’accès à l’information, à une assistance administrative et à l’interprétariat, ainsi que les délais et obstacles pour formaliser les demandes d’asile dans les îles », déroule l’ONG.
Entre avril et octobre 2021, « la quasi totalité des personnes » avec lesquelles les observateurs d’Amnesty International se sont entretenus n’avaient jamais été informées de leurs droits au sein du Centre de séjour provisoire pour étrangers (CATE). Quant aux délais, il peut se dérouler plus d’un an d’attente avant de décrocher un premier entretien dans le cadre de la demande d’asile.
Manque de protection des MNA et des personnes vulnérables
Ces lacunes ont des conséquences pour les plus vulnérables, en particulier les mineurs non-accompagnés (MNA). Selon Eurostat, en 2020, seules 45 demandes d’asile pour mineurs non-accompagnés ont été traitées par l’administration espagnole. Or, pas moins de « 300 mineurs nécessitant une protection internationale ont été comptabilisés par la Direction de la protection de l’enfance des Canaries » en 2021, compare Amnesty International.
Toujours selon le rapport, le « manque de coordination et de protocoles communs entre les administrations » du système d’asile aux Canaries complique l’identification des diverses formes de vulnérabilité. B.S, un Sénégalais de 29 ans ayant fui des persécutions subies en raison de son orientation sexuelle, raconte avoir été placé à l’hôtel, puis au grand campement de Las Canteras en février 2021. « Là-bas, j’ai eu beaucoup de problèmes. Je ne veux pas les raconter, mais j’ai subi des menaces… »
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Les personnes victimes de réseaux de traite et/ou victimes de violences sexuelles avant ou pendant leur parcours d’exil, sont également peu prises en charge. Fátima, une Marocaine de 31 ans, est arrivée enceinte dans l’archipel à la suite d’un viol subi dans son pays. La jeune femme a en plus été rejetée par ses proches après cette agression. « Quand je suis arrivée à Grande Canarie, j’ai raconté ce qui m’était arrivé. Mais personne ne m’a aidée », témoigne-t-elle auprès d’Amnesty International. Elle assure n’avoir jamais reçu d’accompagnement psychologique. « Il y a des nuits où je ne peux pas dormir. Le pire, c’est l’incertitude ».
L’hébergement toujours saturé
Les lacunes de protection de ces personnes vulnérables s’inscrivent aussi dans un manque structurel de places d’hébergement. Amnesty International appelle donc le gouvernement central espagnol à mettre en place de nouveaux « mécanismes afin de partager la responsabilité de l’accueil entre les différentes communautés autonomes, dès lors que l’une d’entre elles manque de ressources suffisantes en cas d’augmentation des arrivées ».
Le Plan Canaries, déployé en 2020 face aux arrivées importantes, avait permis la création de 7 000 nouvelles places d’hébergement. Mais certaines îles sont restées en dehors de ces nouveaux moyens, notamment El Hierro et Lanzarote. À El Hierro, « il n’existe pas non plus de possibilité de solliciter une protection internationale », souligne Amnesty International.
Les autorités espagnoles ont fait le constat de ce déséquilibre en recevant les pré-conclusions du rapport d’Amnesty International. Le 13 décembre, le ministère de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations a promis une révision, « dans les prochaines semaines », du plan Canaries. Celui-ci devrait être davantage étendu aux territoires les plus démunis de l’archipel.
Des arrivées en baisse en 2021, après l’implosion de 2020
Jeudi 16 décembre, 330 migrants ont encore atteint les Canaries suite à une série d’opérations de sauvetage menées par les secours espagnols. Les embarcations ont été secourues au large de El Hierro, ou encore Fuerteventura. Parmi les passagers, les autorités ont dénombré au moins cinq enfants, relate l’agence de presse EFE.
Si les arrivées ne tarissent pas ces derniers mois, leur nombre est deux fois moins élevé durant ce dernier trimestre de 2021 qu’à la même période en 2020. Les autorités espagnoles comptabilisent ainsi 7634 arrivées sur ce dernier trimestre ; contre 15 536 l’an passé.
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Sur toute l’année 2021, les Canaries ont reçu sur leur sol près de 20 000 personnes, soit une baisse de 4,2 % par rapport à 2020. Par conséquent, les arrivées sur le territoire national espagnol sont en baisse : moins 1,7 %, selon de nouvelles statistiques du ministère de l’Intérieur rendues publiques ce vendredi 17 décembre.
En effet, les Canaries reçoivent une part importante des exilés désirant rejoindre l’Espagne. Toujours selon ces nouveaux chiffres du ministère de l’Intérieur, l’archipel a reçu 55 % des arrivées en Espagne par la mer en 2021.
2021, année la plus meurtrière
En 2020, près de 23 000 personnes avaient débarqué dans l’archipel, soit une augmentation de 756 % par rapport à 2019. La majorité – 19 000 personnes – était arrivée entre septembre et décembre 2019. Cette augmentation faisait alors écho à l’année inédite de 2006, au cours de laquelle 30 000 personnes ont débarqué dans l’archipel.
Malgré une tendance à la baisse enregistrée en 2021, l’année en cours demeure la plus meurtrière. Selon les derniers chiffres de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), 937 personnes sont décédées cette année sur la route maritime vers les Canaries. Un seuil « supérieur à toutes les années antérieures, depuis au moins une décennie », rappelle Amnesty International.
Avec infomigrants