ARTICLE 19 est profondément préoccupé par l’arrestation et la détention, le 10 Décembre 2021 de Ferdinand Ayité et Joël Egah, Rédacteurs en chef des journaux « L’Alternative » et « Fraternité ». Il leur est reprochés les délits de « diffamation » et « d’outrage à l’autorité ». Ces sanctions font suite à une plainte déposée par deux ministres du gouvernement, le Ministre de la Justice, Pius Agbétomey, et le Ministre du Commerce, Kodjo Adedze, qui sont également des pasteurs. Isidore Kouwonou, un autre journaliste est actuellement placé sous contrôle judiciaire. ARTICLE 19 demande leur libération immédiate et sans condition ainsi que la levée du contrôle judiciaire.
Le 09 décembre 2021, le journaliste Ferdinand Ayité a été convoqué par la Brigade de Recherches et d’Investigations (BRI) pour répondre à des questions concernant des commentaires lors de l’émission « L’Autre Journal » diffusé sur YouTube. Cette convocation fait suite de plaintes de deux ministres du gouvernement. Après avoir été interrogé, il a été arrêté et placé sous mandat de dépôt, il est poursuivi pour « diffamation » et « outrage à l’autorité ». Ces poursuites sont faites sur la base des dispositions du code pénal en ses articles 490, 491, 492 et 497 et du code de la presse et de la communication. Le procureur de la République, Monsieur Talaka Mawama a qualifié ces accusations comme émanant du droit commun. En effet, les articles 3 et 156 du code de la presse et des communications, excluent de leur champ d’application les activités de production cinématographique y compris les réseaux sociaux. Si condamné, les accusés risquent une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02) ans et une amende de cinq cent mille (500.000) à un million (1.000.000) de francs CFA ou l’une de ces deux peines
Le lendemain, 10 décembre 2021, il s’en est suivi l’interrogation de deux autres journalistes ayant participé à l’émission. Il s’agit de Joel Egah, Directeur de publication de « la fraternité » et Isidore Kouwonou, animateur de l’émission débat « l’Autre Journal ». Ils ont également été interrogés pour le même motif que Ferdinand AYITE. Joel a été arrêté et placé sous mandat de dépôt, et Kouwounou a été placé sous contrôle judiciaire.
Joint par téléphone par ARTICLE 19, l’avocat des trois journalistes, M. Elom Kpade, a dénoncé : » L’absence de base légale, et un vide juridique dans cette affaire. Les journalistes sont régis par le code de la presse au Togo et le gouvernement a dépénalisé les délits de presse depuis 2004. Soulignant les fondements du droit pénal, il a insisté sur le fait que le procureur ne peut poursuivre un individu s’il n’y a pas de base légale pour l’infraction pour laquelle la personne est poursuivie« .
« Malgré la dépénalisation des délits de presse, les autorités togolaises continuent, en usant d’autres moyens, de réduire au silence les journalistes et les médias critiques à leur égard. ARTICLE 19 déplore l’instrumentalisation du système judiciaire et la répression des voix dissidentes pour étouffer la liberté d’expression et de la presse. » Déclare Fatou Jagne Senghore, Directrice Régionale de ARTICLE 19 Sénégal/ Afrique de l’ouest.
Le code de la presse au Togo ne prévoit que des amendes pour les délits de presse tels que les fausses informations et la diffamation. Aucune peine de prison ne doit être appliquée.
En outre, le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias et le rapporteur spécial de l’Organisation des États américains (OEA) sur la liberté d’expression ont exprimé dans une déclaration conjointe que : Les peines privatives de liberté pour diffamation ne sont pas justifiables ; toutes les lois qui prévoient des sanctions pénales pour la diffamation devraient être abolies et remplacées, si nécessaire, par des lois civiles appropriées sur la diffamation.
De plus, la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information souligne spécifiquement que les personnalités publiques devraient tolérer plus de critiques que les citoyens ordinaires et que les peines pour diffamation ne devraient jamais être si sévères qu’elles interfèrent avec le droit à la liberté d’expression. Il est également rappelé aux États que les peines privatives de liberté pour diffamation violent le droit à la liberté d’expression et que les lois pénales sur la diffamation devraient être abrogées. De plus elle va plus loin en stipulant que : « les États ne portent pas atteinte au droit des individus de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations par le biais de tout moyen de communication et des technologies numériques. »
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de justice de la CEDEAO condamnent sans équivoque le recours aux peines privatives de liberté contre les journalistes pour diffamation. A cela s’ajoute de vives préoccupations de l’ancien Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, qui, dans son rapport en 2017, a appelé les Etats à veiller à leur obligation de protéger et de promouvoir la liberté d’expression en ligne, en soulignant que les États ne peuvent pas interférer avec, ou en aucune façon restreindre de quelque manière que ce soit la liberté d’opinion.
En outre, les arrestations et détentions arbitraires constituent des violations du droit international des droits de l’homme, notamment de l’article 9(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui stipule que » nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire « , ainsi que de l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule que » nul ne peut faire l’objet d’une arrestation, d’une détention ou d’un exil arbitraires « .
ARTICLE 19 appelle le gouvernement togolais à respecter ses engagements en faveur de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.
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