Tunis (dpa) – Les élections présidentielles libyennes, initialement prévues pour le 24 décembre, n’ont pas eu lieu. Pour le politologue Riadh Sidaoui, directeur du « Centre d’Analyses Politiques et Sociales » (Caraps) basé à Genève, tenir des élections dans une Libye militairement divisée risque d’exacerber le conflit. Sidaoui a répondu aux questions de la dpa.
Question: Malgré les pressions de la communauté internationale, les élections libyennes n’ont pas eu lieu. D’après vous, pourquoi?
Tenir des élections dans un pays divisé militairement comme la Libye va aggraver la situation et exacerber le conflit et la guerre civile, car les perdants ne reconnaîtront pas les résultats du scrutin.
D’ailleurs, c’est une nouveauté dans l’histoire des élections que des candidats en lice ont derrière eux des milices armées, et sont soutenus militairement par des puissances étrangères qui se livrent à une guerre par procuration (sur le sol libyen, ndlr).
À titre d’exemple, Khalifa Haftar, qui contrôle l’Est libyen, est à la tête d’une armée constituée de presque 100 mille hommes. Il est soutenu, entre autres, par les Émirats arabes unis et l’Égypte. À l’Ouest, des candidats ont derrière eux des milices armées soutenues par le Qatar et la Turquie.
À cela s’ajoute la présence, sur le territoire libyen, de 20 mille mercenaires et soldats étrangers. L’Accord de cessez-le-feu, signé, le 23 octobre 2020, a exigé leur départ (au plus tard le 23 janvier 2021, ndlr), mais ils sont toujours là.
Quant à l’embargo imposé par l’ONU sur les armes en Libye, les nations unies elles-mêmes confirment qu’il est inefficace puisque les armes continuent d’affluer vers les deux camps rivaux.
Face à une telle situation, je me dis : « Mais de quelles élections parle-t-on ? »
Dans vos analyses concernant la Libye, vos évoquez un « problème structurel » et une « réalité sociologique » qui empêchent la démocratisation du pays.
Je veux dire par « problème structurel », l’absence d’un État qui monopolise la violence légitime, et qui a une seule armée, une seule police, et un seul service de renseignement.
Hors en Libye on assiste à des micros États au sein d’un seul pays. L’Est est contrôlé par Haftar, d’autres milices contrôlent le Sud, et même à l’Ouest où est basé le gouvernement de Tripoli, il y’a plusieurs milices qui se disputent le pouvoir.
Concernant la « réalité sociologique », il s’agit du caractère tribal de la société libyenne. Une société tribale n’a pas une culture démocratique et n’est pas prête pour une démocratie.
Les élections législatives de 2014 en étaient un exemple : les islamistes de Tripoli (Ouest) ont perdu les élections, mais ils ont refusé les résultats, d’où l’éclatement du Parlement libyen en deux : l’un à Tobrouk (Est) et l’autre à Tripoli, avant le déclenchement de la guerre civile.
Toutefois, les pays occidentaux impliqués dans le règlement du conflit libyen, et en particulier les États-Unis, ne prennent pas en considération ces deux concepts.
Le 21 décembre, Fathi Bachagha à fait le déplacement à Benghazi où il a rencontré Haftar. S’agit-il d’un rapprochement entre deux « frères ennemis » ?
Fathi Bachagha, et l’autre candidat aux présidentielles, Abdulhamid Al-Dabaiba (originaire de Misrata, et actuel chef du gouvernement d’unité nationale, ndlr) représentent la bourgeoisie de Misrata et sont en concurrence. Apparemment, il y’a un clivage au sein de cette bourgeoisie, et Bachagha veut ouvrir d’autres perspectives avec l’Est.
À votre avis, comment instaurer une paix durable en Libye ?
Avant de passer aux élections, il faut d’abord une conférence pour aboutir à une réconciliation nationale, à un compromis. Ensuite, il faut construire un État avec une armée et une police réunifiées.
Je proposais aux Libyens un gouvernement de coalition nationale, même éternelle, à la suisse. La Suisse, depuis 1959, a choisi la formule magique, ça veut dire il n’y a pas d’opposition : tous ceux qui gagnent aux élections parlementaires, ils gouvernent, et la gauche et la droite gouvernent ensemble, en Suisse, depuis 1959.
Les Libyens, aussi, c’est la même chose. Certes, le pouvoir est un gâteau, le pétrole est un enjeu pour les forces étrangères.