De nombreux migrants venus de Biélorussie voisine survivent actuellement dans le camp de Pabradé en Lituanie, aux allures de centre de détention. Sekou, un demandeur d’asile guinéen, y est enfermé depuis sept mois. Outre les conditions de vie déplorables, il raconte que les entretiens d’asile sont une « mascarade » dont les réponses reviennent automatiquement négatives.
« Je suis dans le centre de Pabradé depuis environ sept mois. Au mois de novembre 2021, je suis allé faire mon entretien de demande d’asile. J’y suis allé sans conviction. Ici, tous les fonctionnaires du centre te disent : ‘Vous n’aurez jamais l’asile’.
Ils te le répètent presque tous les jours et ils ajoutent : ‘Rentrez chez vous si vous n’êtes pas contents’.
Quand mon tour est arrivé, donc, ils sont venus me chercher dans ma chambre et ils m’ont menotté. Je ne devais pas aller bien loin, le bureau pour faire la demande d’asile se trouve dans le camp… à un autre étage. Mais ici, on t’emmène demander l’asile en te mettant les menottes aux poignets.
Il n’y a pas d’avocats, non plus. On t’installe dans une pièce avec un écran face à toi. Tu parles avec un agent de l’immigration et un interprète à travers un écran. C’est compliqué. Tu ne vois personne physiquement.
À la fin de l’été 2021, les autorités lituaniennes ont commencé à faire passer des entretiens aux personnes qui demandaient une protection internationale. Rares sont celles qui l’obtiennent. De nombreux migrants ayant contacté la rédaction nous racontent systématiquement avoir été déboutés de l’asile.
J’ai eu la réponse trois semaines plus tard, elle était négative. Je n’étais pas étonné. Autour de moi, personne n’a obtenu de réponse positive. C’est en recevant le courrier de refus que j’ai compris que l’interprète n’était pas au niveau. Il y a une copie de ton entretien. J’ai traduit ce qui était écrit, et beaucoup de choses étaient approximatives. Des mots ont été écrits alors que je ne les ai pas utilisés. Ils ont mal orthographié mon nom et ont mis une mauvaise date de naissance.
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Un ami qui est à Pabradé avec moi a eu sa réponse au bout d’une semaine… Qui peut enquêter sur un dossier et rendre une conclusion en sept jours ? Tout ceci est une mascarade.
Rien n’est détaillé dans ma réponse. Il y a juste écrit que ma demande d’asile a été refusée.
« Personne n’aura l’asile »
Il y a quelques temps, un monsieur de l’immigration est venu dans le camp. Lui aussi nous a dit : ‘Personne n’aura l’asile ici’.
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Des amis enfermés dans un autre camp, à Alytus, m’ont dit qu’ils avaient reçu la visite d’une femme, une députée du pays. Elle leur a dit la même chose : ‘Rentrez chez vous, vous n’aurez pas l’asile’. Tout le monde nous dit ça en Lituanie.
Le camp d’Alytus se situe à une centaine de kilomètres de Vilnius. C’est un bâtiment désaffecté et insalubre qui hébergeait cet été des dizaines de migrants d’Afrique subsaharienne. Il existe plusieurs autres centres pour migrants en Lituanie, le camp de Verebiejai, de Medininkai, de Linkmenys, de Rudninkai, de Kybartai… Tous sont comparés à des centres de détention. Sekou est passé par Alytus, puis par une base militaire de la ville de Kabeliai avant d’être envoyé à Pabradé.
J’ai décidé de faire un recours. Ca n’a pas plu aux autorités. Quand tu insistes, ils te mettent la pression. Il y a beaucoup de personnes qui sont envoyées à l’isolement après avoir demandé un recours à l’asile. Ils font un nouvel entretien puis quelques jours après, ils sont enfermés dans des cellules, avec un seul repas par jour.
Apparemment, les Lituaniens leur présentent des documents à signer. Ce sont des documents qui disent que tu es d’accord pour quitter le pays. Autour de moi, personne n’a signé ce document. Tant que tu ne signes pas, tu es puni. Tu peux rester longtemps en isolement. J’ai des amis qui y sont à l’heure où je vous parle.
Tout ce que je veux, c’est sortir de Pabradé. Je n’ai commis aucun crime, j’ai juste traversé la frontière. Je ne peux pas rentrer en Guinée, je suis menacé là-bas. Je voudrais simplement obtenir l’asile dans un pays qui me traitera en être humain. »
Depuis l’été dernier, des milliers de migrants, principalement originaires du Moyen-Orient, notamment d’Irak, et d’Afrique, ont franchi depuis la Biélorussie la frontière orientale de l’Union européenne en Lituanie ou encore en Pologne. L’Occident accuse la Biélorussie d’avoir provoqué cette crise en attirant les migrants à la frontière européenne en délivrant des visas et avec la promesse d’un passage facile.
Avec infomigrants