Le premier ministre guinéen, Mohamed Béavogui, un civil nommé par la junte au pouvoir, défend le « contre-coup d’Etat » qui a renversé Alpha Condé.
Technocrate spécialiste du développement, Mohamed Béavogui a été désigné le 6 octobre 2021 à la tête du gouvernement par le colonel Mamadi Doumbouya, le chef de la junte qui a renversé le président Alpha Condé, le 5 septembre.
Le coup d’Etat militaire au Burkina Faso intervient après ceux en Guinée et au Mali. Quelle leçon tirer de cette multiplication de coups de force antidémocratiques en Afrique de l’Ouest ?
Mohamed Béavogui Le grand drame de l’Afrique, c’est que les processus sociaux politiques ne débouchent pas assez sur des débats politiques qui répondent aux aspirations des populations. Ces dysfonctionnements amènent les coups d’Etat. Ici, en Guinée, il y a eu tout d’abord un « coup d’Etat civil », accepté par tout le monde, y compris par la communauté internationale. Mais ce n’est pas ce à quoi aspiraient les Guinéens.
Qu’entendez-vous par « coup d’Etat civil » ?
Quand vous avez une Constitution qui interdit un troisième mandat [au président Alpha Condé, élu une première fois en 2010] mais qu’il passe outre ; quand la nouvelle Constitution qu’il fait approuver par le peuple n’est pas la même que celle présentée à la nation après le référendum, au vu et au su de tout le monde, j’appelle ça un coup d’Etat civil.
Vous dites que vous êtes contre les coups d’Etat militaires. Pourquoi avoir accepté cette fonction de premier ministre qui légitime le coup de force du colonel Mamadi Doumbouya contre Alpha Condé ?
Parce que je ne considère pas que c’était un coup d’Etat, mais plutôt un « contre-coup d’Etat ». Je le trouve entièrement légitime dès lors que la voix et les droits du peuple étaient confisqués. La démocratie n’existait plus, la justice était bâillonnée, les deniers publics étaient pillés, l’injustice sociale et la division étaient là… Nous allions vers l’explosion. Il fallait un contre-coup d’Etat pour sortir de cette situation.
Des militaires autoproclament leur légitimité et s’arrogent le pouvoir au nom du peuple. Qu’est-ce qui empêche, demain, que d’autres militaires fassent la même chose ?
Notre objectif est de créer un modèle de société doté d’institutions démocratiques basées sur l’équité, la justice, la transparence, avec des mécanismes irréversibles.
Est-ce aux militaires de le faire ?
Les gens ont manifesté contre le troisième mandat. Nous avons eu plus de 100 morts et des centaines de blessés. Où était la démocratie ?
Ceux qui ont agi le 5 septembre, le CNRD [Comité national du rassemblement pour le développement], ont ensuite mené de larges consultations qui ont conduit à la rédaction d’une Charte de la transition, acceptée par la très grande majorité des Guinéens.
Comment pouvez-vous l’affirmer ?
C’est vrai qu’il n’y a pas eu d’élections, seulement des consultations, mais très larges, ouvertes à tous les partis politiques, à la société civile, aux femmes, aux jeunes. Leurs recommandations ont débouché sur la rédaction de cette Charte qui définit un cadre pour permettre aux Guinéens de décider de ce que sera la future Constitution, leur Assemblée nationale… Bref, comment retourner à une démocratie normale.
Considérez-vous que les quelque 80 membres de ce Conseil national de la transition (CNT) chargé d’organiser le retour à l’ordre constitutionnel, désignés par la junte, sont représentatifs de l’ensemble de la Guinée ?
Les représentants de chaque groupe [partis politiques, organisations de la société civile, groupes religieux…] ont été choisis sur les listes fournies par ces mêmes groupes.
Vous avez présenté une feuille de route qui est davantage un programme de gouvernement que l’organisation de la transition démocratique. N’outrepassez-vous pas votre rôle ?
Nous en sommes à la énième « transition » en Guinée. A chaque fois, l’objectif était d’organiser des élections en ne s’occupant que du volet politique. Résultat, nous avons créé une commission électorale qui n’a jamais été transparente et des élections frauduleuses.
Cette feuille de route repose sur trois piliers. Le plus important est politique, mais ce n’est pas suffisant sans un bon système judiciaire, sans une bonne administration, sans une bonne gestion des ressources publiques et sans un minimum d’infrastructures pour nous permettre d’aller vers de bonnes élections.
Ce que nous proposons, ce n’est pas le ciel ! Par exemple, nous voulons un Conseil supérieur de la magistrature qui puisse conduire les réformes dans nos institutions judiciaires. Ce que nous demandons, c’est une administration qui pense à autre chose qu’à s’enrichir. En Guinée, les hommes les plus riches sont les fonctionnaires de l’Etat. Il nous faut des finances publiques correctement gérées. Qu’enfin ce pays profite de ses ressources.
Autrement dit, une Guinée nouvelle, ce n’est pas seulement une Guinée avec des élections.
Cela peut prendre des années pour mener à bien ces réformes…
Je suis d’accord, mais il faut commencer, poser les bases.
De combien de temps estimez-vous avoir besoin pour poser ces bases ?
Le CNT le définira et on s’ajustera.
La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) vous a accordé six mois avant d’organiser les élections. Vous ne tiendrez pas ce délai, ne craignez-vous pas d’être soumis à des sanctions, comme le Mali ?
Non, la Cedeao est une institution très raisonnable et nous maintenons le dialogue. Tout ce que nous faisons est transparent, sur la table. La transition se fera aussi avec nos partenaires extérieurs, dont la Cedeao.
Pourtant, vous avez décidé de ne pas appliquer les sanctions de la Cedeao, dont vous êtes membres, contre le Mali…
Le Mali et la Guinée ne forment qu’un seul peuple. Notre frontière est… théorique. Elle ne peut pas être fermée, elle n’existe pas.
Les sanctions sont-elles donc inefficaces ?
A situation spéciale, réponse spéciale…
Dans quel état avez-vous trouvé les finances publiques à votre arrivée au pouvoir ?
C’est très compliqué. Les caisses de l’Etat sont vides. Pire, nous avons fini 2021 avec un stock d’arriérés de paiement, des factures non payées, de 4 700 milliards de francs guinéens, environ 470 millions d’euros, près d’un quart du budget national. Cela signifie que les ressources destinées au fonctionnement de l’Etat et du pays en général sont parties ailleurs. Pourtant, selon le Fonds monétaire international, la production de bauxite de la Guinée se chiffrait à près de 4 milliards de dollars en 2020. Les ressources fiscales qui devaient aller vers le Trésor passaient par des tuyaux percés de tous les côtés. Il faut les boucher ou les remplacer.