Les kwassa-kwassa, ces canots de pêcheurs sur lesquels prennent place les migrants depuis les Comores jusqu’à Mayotte, transportent aussi des exilés d’Afrique des Grands Lacs à la recherche d’une vie meilleure. Sur l’île française, où ils sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance, un long calvaire les attend.
Amadou* ne reste jamais longtemps à l’intérieur du « banga ». Dans cette petite habitation de fortune en tôle, « la chaleur est insupportable ». Alors le jeune exilé, originaire de République démocratique du Congo (RDC), s’y installe seulement la nuit, pour dormir, de minuit à 6h du matin. Tout comme les six autres colocataires qui partagent avec lui ce petit logement sans électricité, ni eau courante, pour 150 euros par mois.
La journée, dans ce quartier de M’Tsapere, en banlieue de Mamoudzou, la capitale de l’île, chacun vaque à ses activités. Amadou, ancien employé associatif dans le Nord-Kivu, lui, est bénévole dans plusieurs associations de l’île, dont la Croix-Rouge.
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Comme Amadou, les migrants africains sont de plus en plus nombreux à opter pour l’exil en France via Mayotte. « Nous voyons notamment de plus en plus de Burundais et de Rwandais », explique un policier en fonction sur l’île. « C’est une situation que l’on ne connaissait pas il y a encore 10 ans, et qui prend aujourd’hui des proportions considérables. »
Parcours du combattant
Désormais, des exilés africains prennent donc place aux côtés des ressortissants comoriens et malgaches à bord des kwassa-kwassa, ces canots de pêcheurs qui les mènent à Mayotte depuis Anjouan ou Mohéli, aux Comores. L’archipel est devenu un point de transit pour les demandeurs d’asile, qui y débarquent souvent en se cachant dans les cales des navires marchands.
Le 29 décembre, 24 personnes originaires du Burundi, de Tanzanie et de RDC ont été arrêtées et placées en détention en attendant une décision de justice après être arrivées illégalement, affirme La 1ère France Info. Le 6 octobre déjà, une cinquantaine de migrants, majoritairement des ressortissants de RDC, deux Burundais, un Rwandais et un Mozambicain, avaient été interpellés au large de l’île d’Anjouan.
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Ceux qui ne sont pas interpellés dès leur arrivée déchantent rapidement à Mayotte, où le système de droit d’asile fait figure d’exception en France. Vivre dans le 101e et dernier département français relève du parcours du combattant.
« Les demandeurs d’asile installés à Mayotte n’ont pas les mêmes droits qu’en métropole, explique Pauline Le Liard, chargée de mission pour la Cimade sur l’île. Les centres d’hébergements d’urgence – 105 en 2021 pour 3 000 demandeurs d’asile – remplacent les CADA [centres d’accueil pour demandeurs d’asile, ndlr], et les bons alimentaires, l’ADA [aide financière allouée aux demandeurs d’asile, ndlr]. Et tout cela, pour une période de six mois, le temps de l’examen des dossiers. »
Dans les faits, la procédure est souvent bien plus longue. « Les exilés se retrouvent alors sans nourriture, et sans toit sur la tête », continue la représentante de la Cimade. Ce système à part a d’ailleurs été épinglé en mars 2021 par le Conseil d’État, qui l’avait jugé contraire au droit européen.
« Pendant six mois, je n’ai mangé que du pain et de l’eau »
Si ces règles s’appliquent à tous les migrants quel que soit leur pays d’origine, pour les Africains du continent, la procédure de demande d’asile peut s’avérer bien plus compliquée. « Le délai d’attente n’est pas le même pour tout le monde, affirme Pauline Le Liard. Pour les Comoriens, c’est plus rapide. En quelques mois, le dossier obtient désormais une réponse. Mais pour les autres migrants, l’attente dure parfois deux voire trois ans. »
Durant cette longue attente, les demandeurs ont le droit de travailler, après six mois sur place. Mais là encore, dans les faits, « ça reste très difficile ». « Peu d’exilés obtiennent une autorisation de travail. Alors pour gagner leur vie, ils font ce qu’ils peuvent, certains font de la vente à la sauvette ». La situation des vendeurs s’est détériorée, en septembre 2020, lorsque la mairie de Mamoudzou a pris un arrêté interdisant la mendicité.
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Amadou s’est, lui aussi, tourné vers la vente à la sauvette pour survivre. « À mon arrivée, on m’a donné trois bons de 10 euros, valables un mois. J’ai pu négocier les prix avec une boulangerie du coin. Pendant six mois, je n’ai mangé que du pain et de l’eau, j’ai perdu beaucoup de poids », raconte-t-il.
Amadou a aussi dû quitter, au bout de 30 jours seulement, la chambre fournie par Solidarité Mayotte, l’association locale chargée d’enregistrer les demandes d’asile. « Heureusement, grâce aux autres migrants africains, j’ai trouvé un logement. Pour payer mon loyer, j’ai vendu des oignons dans des petits sachets, à deux euros le kilo, pendant quelques mois. Mais je n’avais officiellement pas le droit de travailler. C’était très dur de tenir. »
Ni régularisables, ni expulsables
Aux difficultés économiques s’ajoutent les interpellations policières régulières. « Beaucoup d’exilés passent leur temps à faire des allers-retours en centre de rétention, déplore Pauline Le Liard de la Cimade. Ils sont arrêtés après un contrôle d’identité puis relâchés car il n’y a pas d’expulsions vers les pays d’Afrique des Grands Lacs. Certains exilés m’ont raconté y être allé six ou sept fois en quelques mois. »
Pour les déboutés du droit d’asile, la situation se complexifie encore un peu plus. Ni régularisables, ni expulsables, ils n’ont nulle part où aller. « Certains veulent même rentrer chez eux, mais c’est impossible. Ils se retrouvent bloqués sur cette île en plein océan, dans le dénuement le plus total. Pour eux, Mayotte devient alors une prison à ciel ouvert. »
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Menacé de mort dans le Nord-Kivu, Amadou n’a d’autres choix que de se contenter de cette vie. Il attend désormais l’examen de son recours à la CNDA, après un premier rejet de sa demande d’asile.
« Je fais tout pour m’intégrer mais je me sens toujours comme un étranger. La vie que l’on mène ici, ce n’est pas une vie. » Pour se remonter le moral, il concocte avec ses voisins ivoiriens, guinéens et burundais un ragoût de pommes de terre. Il compte aussi sur ses missions de bénévolat. « Ça me fait patienter, souffle-t-il. Quand je rends service, je me sens plus fort. »
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.