L’expulsion des personnes sans papiers vivant en France est l’un des arguments de campagne principaux des candidats à l’élection présidentielle de droite et d’extrême droite. Mais leur mise en application est loin d’être simple et automatique. Une expulsion obéit à des procédures précises et au droit.
Ce qu’ils disent : « Je chasserai les clandestins », promet Eric Zemmour en cas d’élection à la présidence de la république, en avril. Le candidat d’extrême droite souhaite « renvoyer tous les étrangers clandestins présents sur notre sol » en réinstaurant le délit de séjour irrégulier.
Marine Le Pen souhaite, elle aussi, permettre l’expulsion systématique des « clandestins, délinquants et criminels étrangers ». La candidate du Rassemblement national (RN) projette également de « supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France ». Enfin, elle se positionne contre toute possibilité de régularisation pour les personnes arrivées illégalement en France.
De son côté, Valérie Pécresse, candidate Les Républicains (LR), promeut un système « visas contre retour des clandestins », c’est à dire de conditionner l’octroi de visas à la bonne volonté des gouvernements de reprendre leurs ressortissants.
Qu’est-ce qu’une expulsion ? C’est une mesure administrative visant à éloigner un ressortissant étranger du territoire qui n’a pas de papiers en règle justifiant sa présence sur le sol français. Ces expulsions sont décidées par le préfet et – dans des rares cas de sécurité nationale – par le ministre de l’Intérieur.
Pourquoi cela ne peut pas être considéré comme une solution :
1/Une expulsion prend du temps, contrairement à ce que laissent penser de nombreux candidats.
En France, les éloignements de personnes sans-papiers interviennent généralement après plusieurs années de procédures et de recours. Car une personne contrôlée sans-papiers n’est pas envoyée directement en centre de rétention administrative (CRA). La plupart du temps, elle se voit remettre une obligation de quitter de le territoire français (OQTF). Ce document lui donne un délai de 30 jours pour quitter par ses propres moyens le territoire français. Il est même possible de déposer un recours contre une OQTF. Si celui-ci est rejeté ou bien si la personne sans-papiers se trouve toujours en France au-delà du délai de 30 jours, elle peut être placée en rétention.
C’est donc en CRA que les personnes visées par des mesures d’éloignements attendent leur expulsion, et elles peuvent patienter durant 90 jours maximum. Une fois tous les recours épuisés, si la décision d’éloignement est maintenue, la France peut organiser le retour de la personne dans son pays en avion.
2/ L’expulsion d’une personne sans passeport n’est possible qu’avec l’accord du pays d’origine
Une fois, les recours épuisés et l’expulsion décidée, encore faut-il que le pays d’origine accepte de reprendre son ressortissant, si celui-ci n’a plus de documents d’identité. Il est impossible de renvoyer un sans-papier sans ce feu vert, appelé « laissez-passer consulaire ».
Certains pays, en conflit diplomatique avec la France, refusent de délivrer ces laissez-passer. C’est le cas de l’Algérie. « Alger a donné instruction à son réseau consulaire en France de ne plus assurer aucune audition consulaire et de n’accorder aucune délivrance de laissez-passer », affirme un courrier émanant du ministère de l’Intérieur et révélé en janvier par Médiapart et Street press.
Une situation face à laquelle, Valérie Pécresse prône l’arrêt de la délivrance de visas – en particulier pour l’Algérie et pour le Mali. Pour Tania Racho, engager des négociations diplomatiques sur les réadmissions est faisable mais cela peut être compliquée à concrétiser, notamment dans le cas du Mali dont certaines régions sont considérées comme des « zones de violence de forte intensité » et vers lesquelles une personne ne peut pas être expulsée.
3/ Une expulsion vers un pays en guerre est interdite
Le droit européen interdit de renvoyer une personne vers un pays dans lequel sa vie ou son intégrité physique pourrait être en danger.
« C’est le cas des Afghans, du fait de la situation actuelle dans le pays, note Tania Racho, docteure en droit européen et membre du collectif de fact-checking juridique Les Surligneurs, interrogée par InfoMigrants. Mais cela peut aussi être le cas d’une personne malade qui n’aura pas accès à un traitement adéquat dans son pays d’origine ».
En conséquence, pour cette spécialiste du droit européen, toute proposition d’expulsion systématique de personnes sans-papiers est impossible. « Il s’agit toujours de décisions prises au cas par cas ».
4/ L’expulsion des mineurs est interdite
En France, comme en Europe, l’éloignement des enfants est interdit. « Un mineur ne peut pas faire l’objet d’une expulsion, note le ministère de l’Intérieur. Mais « il peut être éloigné avec ses parents s’ils sont tous les deux expulsés. »
Les mineurs ne sont donc pas concernés par l’obligation de détenir un titre de séjour. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’OQTF.
D’autre part, les personnes vulnérables – personnes malades ou handicapées – sont difficilement expulsables aussi. Elles ne doivent pas être placées en rétention, estime la CEDH, qui a déjà condamné plusieurs fois la France. Cette mesure doit être utilisée en dernier recours et sur une période la plus courte possible.
Des retours chers et peu effectifs
Mais, dans le cas où une personne sans-papiers est effectivement expulsée, ces mesures d’éloignement sont-elles avantageuses pour la France ? En 2019, la commission des finances de l’Assemblée nationale a réalisé un rapport sur ces départs forcés. Il y apparaît qu’entre l’interpellation des personnes, leur placement en rétention et le contentieux administratif et juridique que ces mesures occasionnent, le coût de l’éloignement d’une personne atteint 14 000 euros. En 2018, la politique d’éloignement française a ainsi coûté 468,78 millions d’euros à l’État français, selon les rapporteurs.
Comparés aux éloignements forcés, ils jugent préférables les retours aidés, aussi appelés « retour volontaire ». « Ce dispositif constitue un mode efficace d’éloignement des étrangers en situation irrégulière en dépit de la persistance de certaines interrogations et fragilités », peut-on lire dans le rapport.
>> À lire : Aide au retour volontaire de l’Ofii : comment ça marche ?
Cette procédure consiste, pour l’État, à proposer un vol et une somme d’argent (au moins 1 850 euros, donnés au moment du passage de la frontière) pour inciter un étranger qui veut quitter la France à rentrer dans son pays. Sont concernées les personnes en situation irrégulière, celles dont la demande d’asile a été rejetée et les dublinés. En 2021, la France a procédé au retour volontaire de quelque 5 000 étrangers dans leur pays d’origine.