Membres influents de la communauté libanaise de Guinée, ils sont sous sanctions américaines depuis vendredi 5 mars 2022. Ali Saadi et Ibrahim Taher ont été accusés d’avoir parrainé le Hezbollah à partir de transactions financières frauduleuses orchestrées depuis Conakry. Dans la presse guinéenne, ils ont montré patte blanche, mais le département du Trésor américain les attend de pied ferme. Chronique d’une descente aux enfers des rois du pognon et enfants terribles du commerce et de la pêche.
Le département du Trésor américain a annoncé, vendredi 5 mars 2022, avoir infligé des sanctions à Ali Saadi et Ibrahim Taher.
Ces deux hommes d’affaires, membres influents de la communauté libanaise de Guinée, sont accusés d’avoir « parrainé ou fourni un soutien financier, matériel ou technologique au Hezbollah » à partir de transactions financières frauduleuses depuis Conakry.
Les termes de l’accusation
- Saadi est accusé « de transferts d’argent depuis la Guinée au Hezbollah, par l’intermédiaire de représentants du Hezbollah en Guinée et au Liban ». Quant à M. Taher, il est considéré comme « l’un des plus importants soutiens financiers du Hezbollah en Guinée » et est accusé d’employer « un certain nombre de personnes affiliées au Hezbollah» à Conakry.
Ali Saadi est pointé du doigt pour son soutien présumé à l’homme d’affaires controversé Kassem Tajeddine.
A ce propos, le Trésor américain a noté que M. Saadi « entretient une relation étroite avec un partisan du Hezbollah, Kassem Tajeddine, que l’OFAC a désigné en 2009 comme étant un important contributeur financier du Hezbollah ».
Pis encore, M. Ali Saadi est accusé d’avoir facilité le contact direct entre M. Tajeddine avec « des membres corrompus de l’ancienne administration guinéenne aux plus hauts niveaux » et de l’avoir aussi conseillé « sur les méthodes permettant d’effectuer des transferts financiers afin d’échapper à la détection des régulateurs ».
Le grappin sur Tajeddine
Ali Saadi est connu pour être né et avoir fait fortune dans le commerce et la vente de produits de pêche en Guinée. Il est patron de la société Sonit Pêche dont le siège est à Coronthie dans la commune de Kaloum. Président de la Communauté libanaise de Guinée, il est le plus populaire de tous les temps.
Si dans la presse guinéenne il n’apparaît pas dans les colonnes des faits divers consacrés aux affaires louches, comme les trafics illégaux et le financement de réseaux mafieux, M. Saadi est plutôt cité en médiateur, parce qu’il est perçu comme un sage digne de respect et considéré comme étant l’un des plus grands amoureux et serviteurs de son pays de naissance.
Toutefois, consciemment ou inconsciemment, l’homme est celui qui a introduit en Guinée l’homme d’affaires controversé appelé Kassem Tajeddine. Avec le soutien du régime en place, il finance et devient en un laps de temps propriétaire du fameux Grand marché de Conakry situé au bord de l’autoroute sur le bras de mer de Dabondy dans la commune de Matam. Ledit centre commercial est de la nouvelle ère. Il est imposant. Il occupe 5,4 hectares, fait d’immeubles de trois niveaux, pour un ensemble de 800 espaces aménagés pour le commerce et d’une centaine de bureaux. Il est inauguré un samedi 10 décembre 2016 par le président Alpha Condé qui le rebaptise à l’improviste « marché Briqui Momo » du nom de son ancien conseiller personnel.
L’origine douteuse de la fortune ayant servi au financement de sa construction met Monsieur Tajeddine dans le collimateur des fins limiers du Bureau de contrôle des avoirs étrangers du département du Trésor des Etats-Unis. Ils le tenaient déjà à l’œil pour des présomptions de financement du parti politique du Hezbollah libanais.
Les années passent. De fil en aiguille, les enquêteurs réunissent les preuves avant de mettre le grappin sur Kassem Tajeddine.
L’accusation est suivie de sanctions qui sifflent la fin de la récréation pour les activistes de son réseau basés à Conakry.
Le démantèlement du réseau de trafic illégal de billets de dollars à destination du Hezbollah libanais, qui commet des actes terroristes contre les enfants d’Israël, est lancé. A tour de rôle, les accusés montrent patte blanche et préparent leur défense.
Ali Saadi dit n’avoir joué qu’un d’entremetteur
Quand il a reçu, vendredi 4 mars 2022, le coup de téléphone de l’ambassade des Etats-Unis l’informant de la sanction prise à son encontre par l’OFAC, le milliardaire guinéo-libanais a chargé son avocat d’« engager auprès de l’OFAC une demande de retrait de(son) nom » de la liste de l’OFAC.
Dans les heures qui ont suivi, Ali Saadi a signé un droit de réponse adressé à la presse pour expliquer que dans les années 2013-2014, il a fait introduire à la demande du président Alpha Condé l’« opérateur » immobilier Tajeddine, qu’il dit avoir rencontré « par hasard », et qui était « disposé à investir pour construire un marché public » entre Bonfi et Dabondy dans le but de « dégager les vendeuses de la rue et des trottoirs » de Conakry.
Son rôle s’est limité à cela. Sa « mission s’est limitée à son introduction » à la présidence, réitère l’homme d’affaires.
- Saadi précise que « le promoteur a négocié avec la commission(mise en place à cet effet par les autorités guinéennes de l’époque) et signé un accord pour réaliser le marché moderne ».
Lui, Ali Saadi, affirme n’avoir « assisté à aucune négociation », ne détenir « aucune action dans cette société (immobilière) et n’avoir passé « aucune opération commerciale ou financière avec l’opérateur économique en question ou sa société ».
D’ailleurs, ajoute M. Saadi qui affirme n’avoir ‘‘deviné’’ un seul instant qu’il avait à faire avec « un des financiers du Hezbollah», M. Tajeddine n’«a été inscrit sur la liste de l’OFAC, sauf erreur de (sa) part, (que) dans les années 2017 ».
Pour montrer qu’il est blanc comme neige, M. Saadi « défie quiconque de prouver (qu’il a) transféré un seul dollar au Hezbollah ou à un parti politique quelconque du Liban ».
Ibrahim Taher ni « consul », ni complice
A l’image de son doyen Ali Saadi, Ibrahim Taher montre patte blanche. Il nie tout en bloc.
Il est vrai que lui aussi ne passe pas inaperçu à Conakry. Il est parmi les crésus de la Guinée devant lesquels plusieurs chercheurs de fortune viennent se mettre à genoux pour mander la bénédiction.
Selon sa défense, les américains et les décideurs de l’opération de démantèlement du réseau de trafic illégal de billets de dollars à destination du Hezbollah libanais, qui commet des actes terroristes contre les enfants d’Israël, se sont trompés de cible en inscrivant son nom sur la liste de l’OFAC.
« C’est avec une surprise désagréable que j’ai pris connaissance à travers les réseaux sociaux et médias que l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Département du Trésor des États-Unis m’accuse d’avoir des liens directs avec le Hezbollah libanais, et que je suis identifié comme l’un de ses principaux financiers, et que j’ai collecté des dollars pour les envoyer à partir de l’aéroport de Conakry en soudoyant les douaniers guinéens pour permettre aux sommes de passer en utilisant mon titre de consul honoraire », écrit l’homme d’affaires de 58 ans dans un communiqué de presse publié vendredi 5 mars 2022.
M.Taher dit être arrivé au Liberia en 1977 avant de s’établir en 1990 en Guinée « où (il a) fait des investissements importants ». Il réfute les «accusations» formulées contre lui par l’OFAC et affirme n’avoir « jamais été un consul honoraire ». A plus forte raison utilisé « un moyen illégal quelconque pour transférer des fonds à l’extérieur de la Guinée », son pays d’accueil.
- Taher jure n’avoir « aucun lien avec un douanier quelconque ou une autre personne pour un but illégal et (il) défie quiconque de prouver le contraire ». Et « aucun lien avec aucun parti politique libanais de quelque façon que ce soit. Encore moins avec le Hezbollah libanais ».
L’homme d’affaires clame son innocence en soulignant qu’il n’a « aucun contact avec qui que ce soit des partis politiques libanais, et aucun employé qui se proclame du Hezbollah comme le prétend l’accusation ».
Pour soutenir ses affirmations, M.Taher demande « l’ouverture de discussions avec l’ambassade des Etats Unis à Conakry », et annonce qu’il « se réserve le droit de désigner un cabinet d’avocats américain basé aux États-Unis pour défendre (sa) réputation, (son) honneur et (son) intégrité dans cette accusation infondée (…) dirigée contre (sa) personne ».
Sans commentaire
A ce stade, wait and see, attendons de voir. Car, rien de nouveau sous le ciel guinéen sinon que les enquêteurs américains ont désormais face à eux deux nababs de premier plan déterminés à laver leur honneur sali par leur placement sous sanctions de l’OFAC.
La suite de l’affaire Saadi et Taher édifiera l’opinion nationale et internationale. Elle montrera qui est responsable de quoi ou qui est à l’origine du malheur de qui ou bien encore qui des enquêteurs américains et des hommes d’affaires sanctionnés s’expriment comme une bande d’arracheurs de dents sur ce dossier relatif au trafic illégal de devises pour financer une organisation politique basée au Liban et qui terrorise les enfants d’Israël.
Par Le Populaire du 7 mars 2022