Alors que plus de 100 migrants ont perdu la vie en seulement deux jours en mer Méditerranée en tentant d’atteindre l’UE, Médecins sans frontières (MSF) a dénoncé mercredi dans un communiqué « la négligence » des pays européens, qui font preuve d’une « inacceptable indifférence ». Selon l’ONG médicale, ces drames sont pourtant « la conséquence de [leurs] politiques migratoires ».
Le décompte macabre des morts en Méditerranée centrale se poursuit dans l’indifférence générale. Une indifférence jugée « inacceptable » par Médecins sans frontières qui a publié un communiqué mercredi 6 avril.
« La négligence de l’Italie et de Malte dans l’assistance aux bateaux en détresse, et l’indifférence de l’UE et de ses États membres face au nombre croissant de morts (…) en mer Méditerranée sont inacceptables », a estimé l’ONG médicale.
Et ce alors que, selon MSF, ces drames sont la conséquence directe des politiques migratoires de l’Europe. « Le retrait de l’UE et de ses États membres des opérations de recherche et de sauvetage en mer et leur soutien aux garde-côtes libyens sont à l’origine des décès et des violations des droits de l’Homme qui se produisent en Méditerranée centrale », a déclaré Caroline Willement, coordinatrice à bord du Geo Barents, le navire de MSF qui est actuellement à la recherche d’un port sûr avec 113 personnes secourues la semaine dernière au large de la Libye.
« Comportements inacceptables » des forces libyennes
Depuis 2017, l’Italie et d’autres pays de l’UE apportent un soutien financier et matériel aux autorités libyennes afin de stopper les embarcations de migrants en route vers les côtes européennes. Ils forment les garde-côtes et fournissent des vedettes rapides aux forces libyennes. L’accord donne aussi à Tripoli la responsabilité de la coordination des secours dans cette zone maritime – tâche qui incombait auparavant à Rome et La Valette.
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Malgré les critiques et les preuves que les Libyens ont eu recours à un « usage excessif de la force » lors d’interceptions en mer ainsi qu’à des tactiques « non conformes à la formation [de l’UE] et à la réglementation internationale », selon un rapport confidentiel de l’UE daté de janvier 2022, les États membres continuent de maintenir leur soutien aux forces libyennes.
Un pays a pour l’heure décidé de mettre fin à sa collaboration avec Tripoli : l’Allemagne a décidé fin mars que son armée ne dispenserait plus de formations à destination des garde-côtes libyens. Berlin invoque des cas de maltraitance de migrants et des « comportements inacceptables » de la part des Libyens pur justifier sa décision.
Plus de 23 000 depuis 2014
Ce communiqué de MSF intervient quelques jours après le décès en seulement 48 heures d’au moins 101 exilés en mer. Jeudi 31 mars, quatre enfants et sept femmes ont été retrouvés morts à bord d’un canot pneumatique surchargé. Les 126 autres passagers de l’embarcation avaient été récupérés par les Libyens et renvoyés dans le pays.
Le 2 avril, plus de 90 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée. Quatre migrants du même bateau ayant survécu ont été secourus par un pétrolier qui les a ramenés en Libye, témoigne l’ONG.
« Ces personnes ont fui l’enfer de la Libye et ont ensuite assisté à la mort de dizaines de leurs compagnons en dérivant plusieurs jours en mer. Après cette épreuve inimaginable, ils ont été renvoyés en Libye », où ils risquent « abus et tortures », regrette Caroline Willemen, citée dans le communiqué.
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Au cours de cette même semaine, au moins 130 exilés ont été interceptées et renvoyées en Libye, « où elles risquent d’être confrontées aux mauvais traitements, abus et tortures, qui ont été largement documentés, dans les centres de détention libyens », rappelle MSF.
Alors que « ces mêmes dirigeants et institutions européennes expriment leur plus profonde solidarité avec les réfugiés fuyant l’Ukraine, on ne peut que s’étonner du traitement réservé par l’Union européenne à d’autres fuyant des situations de violence dans leur pays d’origine et/ou tout au long de leur parcours migratoire », souligne encore l’ONG.
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La Méditerranée centrale, qui relie la Libye et les pays du Maghreb à l’Italie ou Malte, est la route migratoire la plus dangereuse du monde, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). L’agence onusienne y estime à plus de 23 500 le nombre de morts et disparus depuis 2014, dont 2 048 l’an dernier, et plus de 400 pour les quatre premiers mois de 2022.
Un chiffre en deçà de la réalité selon les humanitaires, qui craignent que des canots disparaissent sans laisser de traces.