Environ 80 exilés, accompagnés du collectif La Chapelle debout, ont investi en début de semaine un bâtiment inoccupé du centre de Paris. La plupart des occupants vivaient sur les trottoirs du nord de la capitale. Si les migrants se réjouissent de dormir au chaud, ils se demandent combien de temps cela pourra durer, et redoutent leur retour à la rue. Reportage.
Dans la petite rue Saulnier, dans le 9e arrondissement de Paris, le calme règne en ce jeudi matin d’avril. Une poignée d’habitants arpentent les trottoirs, les restaurants ouvrent tout juste leur rideau pour s’atteler à la préparation du service du midi. On est loin de l’effervescence des Grands boulevards, situés à quelques mètres de là. Rien ne laisse penser qu’un squat de migrants s’est installé dans cette rue en plein cœur de la capitale. Seule une banderole déployée sur un bâtiment du numéro 17 indique leur présence. « Non au racisme », « Les migrants méritent la justice », peut-on y lire en français et en arabe.
Environ 80 exilés – originaires pour beaucoup du Soudan, d’Érythrée, d’Éthiopie ou encore de Somalie – ont pris possession des lieux lundi 18 avril avec l’aide du collectif La Chapelle debout, qui épaule les migrants depuis 2015. Le bâtiment, appartenant à une société d’assurance, est inoccupé depuis au moins trois ans. Les locaux ont été investis pour être transformés en lieu de vie à destination des personnes étrangères sans-abri. Dans les étages, les bureaux font office de chambres. Au rez-de-chaussée, des espaces de vie communs ont été aménagés et des adresses utiles sont accrochées aux murs.
« Ici, je n’ai plus peur »
Ce jeudi matin, l’ambiance est, comme à l’extérieur, paisible à l’intérieur du squat. La majorité des exilés vivaient il y a encore quelques jours dans les rues du nord de Paris, et profitent de la quiétude pour se reposer, un toit au-dessus de leurs têtes. « Je dors enfin d’un vrai sommeil, ça ne m’était pas arrivé depuis que je suis en France », explique Djibril, un Nigérian de 24 ans, tout juste sorti du lit. « Dehors, la police te réveille toutes les nuits et te chasse, il faut chaque fois trouver un nouvel endroit où se reposer, sans se faire repérer », continue le jeune homme, qui vit à Paris depuis un mois. « Ici, je n’ai plus peur ».
Mais pour combien de temps ? Trois amis discutent autour d’un café dans une pièce du rez-de-chaussée de l’immeuble, devenue cuisine. Ils se disent eux aussi satisfaits de cette occupation mais s’interrogent sur sa durée.
>> À (re)lire : Opération « réquisition » : quand les collectifs parisiens investissent des logements vides pour héberger les migrants
« Bien sûr que c’est mieux ici que dans la rue, mais rien n’est sûr. On ne sait pas si on pourra y rester longtemps », confie Abera*, un Éthiopien de 33 ans, dont la demande d’asile a été rejetée. « Si ça ferme, on devra retourner sous une tente à la Chapelle. En France, c’est culturel de dormir dehors, non ? », ajoute Jos, un Érythréen de 30 ans. La situation lui parait si ubuesque qu’il ne peut s’empêcher de le dire en rigolant.
Lui a obtenu le statut de réfugié en France, mais malgré ses documents en règle, il ne trouve pas à se loger, faute d’emploi et de maîtrise de la langue française. Il est donc contraint de vivre sur les trottoirs du nord de Paris.
« Les élections nous protègent »
Pour l’heure, les policiers se montrent plutôt compréhensifs et les autorités n’ont pas entamé de procédure d’expulsion. « Les élections nous protègent un peu. Entre les deux tours, il ne se passera rien. On verra bien après », pense Nestor*, membre de la Chapelle debout, qui assure la logistique. Il faut dire que le lieu est sous le feu des projecteurs depuis son installation. Des élus écologistes (EELV) et de la France insoumise (FI) sont venus visiter le squat cette semaine pour apporter leur soutien au groupe.
Car les exilés et le collectif comptent bien s’y installer dans la durée. Pour éviter que le bâtiment ne devienne un centre d’hébergement informel et ne soit évacué rapidement, les entrées et sorties sont filtrées. Les militants veulent maintenir le nombre d’habitants en dessous de la centaine, « pour que ça reste calme et organisé ». Et cela signifie qu’il faut refuser des personnes à la rue.
C’est le cas de Cissé. Ce Malien de 41 ans s’est présenté devant le bâtiment jeudi matin, dans l’espoir de profiter de l’occupation. Mais il doit faire demi-tour et retrouver son bout de trottoir du nord parisien. Un autre jeune Érythréen connaitra le même sort quelques minutes plus tard.
Un lieu d’organisation politique
« On ne veut pas qu’il y ait trop de monde et que l’immeuble devienne un hôtel », se justifie Kavé*, de la Chapelle Debout. L’autre argument avancé est que le collectif souhaite faire du squat un lieu d’organisation politique pour les migrants et leurs soutiens. « Une base pour s’organiser politiquement et pour porter la voie des immigrés, lutter contre le racisme, pour l’obtention de papiers et d’un logement, et enfin faire cesser les discriminations », insiste Kavé. Et pour cela, il est préférable de rester en petit comité.
La Chapelle debout n’en est pas à son coup d’essai. Ces dernières années, plusieurs actions ont été menées par le collectif pour rendre visible les exilés et défendre leurs droits. En 2019, ils avaient investi, avec les « Gilets noirs », l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle pour réclamer la fin des expulsions et la régularisation de tous les sans-papiers. La même année, les militants accompagnés de migrants avaient brièvement occupé le Panthéon, avec les mêmes revendications.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
Avec infomigrants