Frontex doit déployer son propre effectif permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes à l’horizon 2027. Dans cette perspective, l’agence européenne de surveillance des frontières commence à répondre à ses futurs besoins en matière d’équipement. Dès 2023, elle envisage des commandes d’armes « létales et non-létales », a repéré l’ONG StateWatch.
L’équipement des garde-frontières et garde-côtes de l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, pour 2023 « inclut désormais des armes létales et non-létales », relève l’ONG StateWatch dans un communiqué paru le 21 avril.
Un document décisionnel du conseil d’administration de Frontex, adopté le 18 mars, récapitule les champs d’équipement et leur déploiement. Il cadre l’équipement technique de base, le MNITE (pour « minimum number of items of technical equipment »). On peut y lire un déploiement d' »armes létales et non-létales, et de munitions » prévu sur toute l’année 2023.
Les listes d’armement de Frontex « se sont allongées au fil des extensions des mandats, des effectifs et des budgets », expose l’ONG.
Les acquisitions de matériel s’inscrivent dans une phase de déploiement inédite de Frontex. Depuis sa création en 2005, l’agence était uniquement composée d’agents d’États membres détachés. Mais elle a vu ses mandats renforcés en 2019, et doit désormais constituer un contingent permanent. Frontex prévoit ainsi de disposer d’un effectif propre de 10 000 garde-frontières et garde-côtes, à l’horizon 2027. Ils auront leur propre uniforme européen. Et leurs propres armes.
Des appels d’offres qui se succèdent
Un appel d’offres publié en mars 2022, et qui s’est clôturé le 18 avril, donne une idée des types d’armes commandées. Y sont listés bâtons télescopiques, matraques en caoutchouc, couteaux à lame droite et à lame dentée. Les demandes détaillées, avec des tailles et des poids différents, sont listées en annexe. Le tout doit pouvoir être porté au ceinturon. Montant de ce seul appel d’offres : 200 000 euros.
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Les officiers qui utiliseront ce matériel « travailleront aux frontières extérieures de Schengen et dans les pays adjacents », précise l’appel d’offres. Les armes leur serviront à « exécuter leurs tâches dans les aéroports, les traversées de frontières, aux points de contrôle, sur la mer, en vol (…) ».
Fin 2021, le journaliste d’investigation Mattias Monroy révélait déjà sur son site spécialisé une commande de 2 500 pistolets automatiques, passée par Frontex auprès d’une entreprise autrichienne. Le tout pour un contrat de 3,76 millions d’euros, conclu pour quatre ans, avec possibilité de prolongement.
Contactée sur l’évolution de son armement et l’usage qui en sera fait, l’agence Frontex renvoie vers leur cadre de régulation : l’annexe V du règlement européen de 2019 sur les garde-frontières et garde-côtes. Celle-ci impose trois principes d’utilisation : nécessité, proportionnalité et précaution.
Un déploiement inédit malgré les controverses
Pour pouvoir passer ces commandes, Frontex s’appuie sur un budget de 5,6 milliards d’euros pour 2021-2027. Cette enveloppe est la mieux dotée de toutes les agences de l’UE.
Ce déploiement, impliquant une hausse importante des investissements publics de l’UE et de ses États membres, s’inscrit pourtant dans un contexte de fortes controverses.
En mai 2021, un recours inédit avait été déposé auprès de la Cour de justice de l’UE contre Frontex. Deux demandeurs d’asile, soutenus par un trio d’ONG, se disaient victimes de violence et de refoulements après avoir rejoint l’île de Lesbos, en Grèce. Il s’agissait d’une première : Frontex n’avait jamais été poursuivi pour violations des droits de l’Homme en 17 ans, avait alors souligné l’ONG Front-Lex.
Puis, en mars 2022, un Syrien a déposé un recours auprès de cette même Cour européenne contre Frontex, accusé de complicité avec les autorités grecques, qui l’auraient refoulé et abandonné en mer en avril 2020.
« Une véritable armée au sein de l’UE »
Chaque année, les États membres, et même quelques pays non membres dont la Suisse, décident des investissements et des transferts de matériels en direction de Frontex. L’ONG a produit un recensement de ces contributions de 2015 à 2021.
Au vu des récentes controverses, le renouvellement de cet appui matériel ou financier fait débat dans certains pays.
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C’est le cas en Suisse, par exemple. « Notre contribution devrait passer de 24 à 61 millions de francs par année. (…) Or plusieurs enquêtes sont en cours devant le Parlement européen à la suite de plaintes pour des interventions violentes ou des refoulements en pleine mer, en violation du droit d’asile, exposant les requérants à la noyade ou à l’enfermement dans les sinistres prisons libyennes », décrit une tribune publiée dans Le Courrier ce vendredi 22 avril.
Pour la première fois, les citoyens suisses devront se prononcer sur l’augmentation, ou non, de leur contribution à Frontex le 15 mai. Partisan du « non », le conseiller national Les Verts, Fabien Fivaz, résumait ainsi la situation sur les ondes de la RTS : « Frontex est en train de devenir une véritable armée au sein de l’UE ».
Ces débats publics peuvent peser dans le développement de l’agence. En 2020, « les contributions nationales couvraient 80 % de l’équipement utilisé lors des opérations de Frontex », rappelle à ce titre l’ONG FragDenStaat.