Le Royaume-Uni et le Rwanda ont signé mi-avril un accord pour envoyer les migrants arrivés illégalement sur le sol anglais vers Kigali. Le texte a provoqué une vague d’angoisse et d’interrogation pour les exilés qui attendent à Calais de pouvoir franchir la Manche et construire une vie côté britannique. Reportage.
La cour du centre d’accueil de jour du Secours catholique, en centre-ville de Calais, est remplie d’animation, ce lundi 25 avril. Plusieurs groupes ont investi l’espace pour une partie de football rythmée par la musique qui sort de la grosse enceinte posée sur une table un peu plus loin. Autour d’eux, des jeunes hommes étendent du linge tout juste lavé, se font couper les cheveux ou discutent en buvant du thé.
Pourtant, l’ambiance de ce lieu toujours plein de vie l’après-midi n’est pas celle de d’habitude. En cette fin de ramadan, les exilés sont non seulement fatigués mais également préoccupés par l’accord signé entre le Royaume-Uni et le Rwanda, une dizaine de jours plus tôt.
Thomas et Jemy sont tous deux originaires du Soudan. Assis sur des chaises, dans la cour, ils confient leur inquiétude de voir l’avenir qu’ils envisageaient au Royaume-Uni s’assombrir et cherchent désespérément des réponses à leurs questions. « Si on va au Rwanda, on va y rester toute la vie ? », s’interroge Jemy, 17 ans, blouson de cuir noir sur les épaules.
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Difficile pour les exilés comme pour les associations de répondre à cette question. Le gouvernement britannique n’a encore dévoilé que très peu de détails sur l’accord signé le 13 avril dernier avec Kigali.
« Comme si l’ultime étape avait fermé ses portes »
Londres a indiqué que les hommes seuls, arrivés depuis le 1er janvier 2022 de manière irrégulière au Royaume-Uni, seraient concernés.
Les personnes seront envoyées au Rwanda où leurs demandes d’asile seront traitées. Les exilés qui obtiendront une protection internationale seront encouragés à s’installer dans le pays. Les cas de réadmission au Royaume-Uni ne seront qu’exceptionnels. En échange de cet accord, conclu pour cinq ans, Londres s’engage à verser 144 millions d’euros à Kigali.
Boris Johnson a indiqué que la mesure pourrait concerner « des milliers » de personnes. Quel que soit le nombre de personnes visées, le gouvernement britannique compte surtout sur l’effet décourageant que l’annonce aura sur les exilés qui se trouvent sur le littoral français en attendant de franchir la Manche. Actuellement, environ 1 500 migrants vivent à Calais, dans l’espoir de rejoindre l’autre rive.
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Le Royaume-Uni est, pour certains, la destination finale depuis le pays d’origine, mais pour beaucoup d’autres exilés, c’est aussi la dernière solution, envisagée lorsque toutes les possibilités d’obtenir une protection en Europe ont échoué ailleurs.
Asile en France
Face au manque d’informations sur l’accord, les associations venant en aide aux migrants hésitent encore sur les manières de communiquer. « On en train de voir comment on va diffuser les informations, peut-être sous forme de flyers. Mais on a nous-mêmes très peu d’informations sur le sujet et on craint de donner des informations erronées aux personnes », explique Marguerite Combes, coordinatrice d’Utopia 56 à Calais.
Au Secours catholique, c’est le protocole d’accord, publié le 14 avril par le Home office, qui sert de référence pour tenter de répondre aux questions des exilés. « On a aussi une recrudescence des demandes d’informations sur l’asile en France », souligne Antoine Guittin qui précise que des documents explicatifs sur la procédure d’asile dans la région vont être traduits en différentes langues pour pouvoir être distribués aux personnes intéressées.
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En attendant d’en savoir plus sur l’accord, parmi les exilés, chacun se fait son idée sur les modalités d’application, imaginant qu’elles lui seront favorables.
« Le Rwanda, je ne sais même pas où c’est ! »
Dans la cour du centre de Secours catholique, Djawit, Momen et Rohallah, trois jeunes Afghans arrivés le jour même à Calais, sont persuadés que l’accord ne concerne que les exilés originaires de pays africains.
Ibrahim, originaire du Kurdistan irakien, qui vit à Calais dans un camp près de l’hôpital semble penser que l’accord est presque trop saugrenu pour être mis en place. « Le Rwanda, je ne sais même pas où c’est ! », lance-t-il, ajoutant que « si tout est vraiment bloqué », il tentera sa chance en Allemagne.
À l’annonce de la nouvelle, d’autres migrants ont opté pour des solutions rapides et radicales. Karim*, un Afghan de 20 ans, a quitté Calais pour Paris. « J’ai fait tout ce trajet pour me rendre dans un pays sûr, pour construire une nouvelle vie, et pourtant on veut m’envoyer au Rwanda. Avec deux autres Afghans, nous nous sommes décidés à demander l’asile en France, bien que les conditions soient plus difficiles », affirme-t-il, joint au téléphone par InfoMigrants.
« Dès l’annonce, un Iranien est parti pour la Suède », raconte, de son côté, Antoine Guittin, animateur au centre d’accueil de jour du Secours catholique. Mais rares sont les personnes qui ont les ressources financières nécessaires pour rebondir.
Sur les campements de Calais et Coquelles, où vivent principalement des Soudanais, les personnes n’ont pas les moyens d’aller dans un autre pays européen. Pour eux, pas question non plus de traverser en bateau. Les prix des passeurs sont trop élevés. Tous les soirs, ces hommes tentent de monter dans des camions depuis un parking près de leur campement ou sur un rond point où les camions ralentissent.
Pour eux, accord avec le Rwanda ou non, le Royaume-Uni représente le dernier espoir d’une vie meilleure. Alladin, un Soudanais de 25 ans, « attend de voir ce qu’il va se passer » mais n’abandonne pas son rêve d’Angleterre. « On va essayer de passer et, une fois là-bas, on fera tout pour ne pas aller au Rwanda ».
*Le prénom a été changé.