Depuis le début de la guerre en Ukraine, la France a accueilli plus de 50 000 réfugiés, leur permettant d’avoir une protection temporaire ouvrant droit à un travail ou à des aides sociales et médicales. Mais les étudiants étrangers en exil ont été exclus de ce dispositif, et se trouvent aujourd’hui dans une situation complexe qui risque de mettre en péril leur cursus universitaire et leurs parcours professionnels. Témoignages.
Quand il a fui la ville portuaire d’Odessa quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, le 27 février, Merdi ne s’imaginait pas que son périple deviendrait un parcours du combattant pour rester en France, où il est arrivé le 11 mars. « On pensait que la France allait bien nous accueillir, mais ce n’est pas ça. On nous dit qu’on n’a pas la nationalité, qu’on était en Ukraine seulement pour étudier et que maintenant, il faut qu’on rentre chez nous », explique cet étudiant congolais de 26 ans.
Le cas de Merdi n’est pas isolé : on estime aujourd’hui à un peu moins de 1 000 le nombre d’étudiants étrangers ayant fui l’Ukraine qui rencontrent les mêmes difficultés pour rester sur le territoire français, selon un décompte des associations de l’Union des étudiants exilés et de France Fraternités.
Le nœud du problème actuel, d’ordre administratif, remonte à début mars quand la plupart des pays de l’Union européenne se sont accordés pour « aider rapidement » les personnes qui fuyaient le conflit en Ukraine. Il a été décidé d’appliquer la directive de protection temporaire – valable trois mois en France – accordant plusieurs droits aux personnes exilées : un droit de séjour, l’accès au marché du travail, à un logement, à l’éducation ou encore à des aides sociales et médicales.
Mais les étudiants étrangers résidant en Ukraine ont été exclus de ce dispositif d’urgence. Plusieurs voix dont Pierre Henry, le président de France Fraternités, ont alors prévenu dès la fin mars, dans une tribune pour le journal La Croix, que « le tri entre réfugiés d’Ukraine nourrirait une accusation de traitement discriminatoire ». À France 24, il explique que « la France a exclu les étudiants étrangers de la protection temporaire en leur donnant un titre de séjour d’un mois et en considérant qu’après tout, leur pays d’origine n’étant pas en guerre, ils pouvaient y retourner. »
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C’est le cas de Sabar. Cet étudiant algérien a fui Lviv (ville à l’ouest de l’Ukraine à quelques dizaines de kilomètres de la frontière polonaise) quand la guerre a démarré, fin février. « La préfecture ne m’a donné qu’un titre de séjour d’un mois, et maintenant on veut que je retourne en Algérie. Mais moi je ne veux pas, j’ai dépensé beaucoup d’argent pour pouvoir aller en Ukraine, étudier et avoir mon diplôme », témoigne le jeune homme de 25 ans.
« L’option kafkaïenne plutôt que celle de la protection pour tous »
Une fois arrivé à Paris, le 14 mars, Sabar a connu la galère pendant deux jours – « j’ai dormi dehors près d’une gare » – avant de trouver un hôtel qui accueillait des réfugiés. Dans une situation administrative précaire, il souhaite simplement poursuivre ses études – interrompues brutalement par la guerre en Ukraine – en France.
« J’ai essayé de m’inscrire dans plusieurs universités : à Paris, à Marseille, à Lyon, à Strasbourg, à Bordeaux… Mais elles ne m’ont pas répondu », poursuit-il. « On va me dire que si je veux un récépissé de six mois [un récépissé de demande de titre de séjour, NDLR] pour pouvoir rester, il faudra que je sois inscrit dans une université ou que j’aie une promesse d’embauche. Ce n’est pas le cas, je n’ai rien trouvé en un mois, et c’est ça mon problème maintenant. Mais je ne veux pas partir. »
Même situation pour Merdi, qui s’inquiète de sa situation actuelle : « J’ai peur qu’on me dise de retourner au Congo. Si j’ai l’occasion, j’aimerais continuer mes études dans une université ici. La seule chose que je veux, c’est ça. »
Le statut particulier des étudiants africains ayant fui l’Ukraine mobilise plusieurs acteurs en France. Parmi eux, un collectif de présidents d’université et de maîtres de conférences se sont alarmés de leur sort, dans une tribune au journal Le Monde publiée début avril, appelant à « continuer à former les étudiants que l’Ukraine a choisi d’accueillir. » Des organisations politiques étudiantes d’extrême gauche, comme Le Poing Levé, essaient aussi d’accentuer la pression sur les présidences d’université pour qu’elles acceptent d’inscrire ces étudiants étrangers pris entre deux eaux.
« C’est une situation absurde, nous avons choisi l’option kafkaïenne plutôt que celle de la protection pour tous : on va vers des situations avec des étudiants qui n’ont pas l’intention de rentrer chez eux, qui vont se retrouver en situation irrégulière sur le territoire français et dans la précarité », explique Pierre Henry. « C’est un véritable gâchis, parce que ces étudiants sont francophones, la moitié de leur formation est déjà assurée et le mieux serait – en toute logique, car leur projet professionnel s’est trouvé totalement anéanti par la guerre – de leur permettre de s’inscrire en France et de poursuivre leurs études. »
Des universités commencent, cependant, à changer de position et à accepter d’inscrire des étudiants étrangers. Une « vingtaine sont en phase de pré-accueil, prennent des inscriptions », a expliqué aux Échos Start le 19 avril Mathieu Schneider, président du réseau Migrants dans l’enseignement supérieur.
« Tout le monde est victime de cette guerre »
Le statut administratif des étudiants dans cette situation n’est pas pour autant réglé, et le cas par cas est privilégié par les préfectures, et les décisions semblent varier d’un département à l’autre : plusieurs autres personnes contactées – dont un étudiant congolais résidant dans l’Aveyron – déclarent avoir reçu un titre de séjour provisoire de plusieurs mois, et non un seul comme cela semblait être la règle.
Quelle règle générale prévaut finalement ? Joint par France 24, le ministère de l’Intérieur détaille les dispositifs disponibles pour les personnes éligibles à la protection temporaire, notamment par le biais de l’organisme public Campus France, qui permet aux personnes éligibles de faire une demande d’inscription dans l’enseignement supérieur français.
Concernant la situation des étudiants étrangers actuellement en difficulté en France, Place Beauvau répond que « le traitement des ressortissants de pays tiers est uniquement la déclinaison de la décision du conseil de l’UE activant le mécanisme [de protection temporaire]. Si un ressortissant de pays tiers n’est pas éligible à la protection temporaire, il a vocation à regagner son pays d’origine. » Pourtant, d’autres pays ont choisi d’adapter le cadre donné par l’UE et d’accueillir toutes les personnes fuyant l’Ukraine, sans distinctions, comme le Portugal et l’Espagne.
Une vision à géométrie variable en fonction des États membres de l’UE dont le Conseil de l’Europe s’est d’ailleurs alarmé, dans un rapport publié début avril, évoquant un accueil « deux poids, deux mesures » vis-à-vis des réfugiés, demandeurs d’asile et migrants en fonction de leur pays de provenance.
Les étudiants internationaux ont, par conséquent, peu d’options disponibles : soit partir vers ces pays qui ont décidé l’accueil universel de toutes les personnes fuyant l’Ukraine, soit rentrer dans leur pays d’origine, soit faire une demande d’asile ou de titre de séjour pour un autre motif (pour avoir un titre étudiant, salarié ou vie privée et familiale) – à condition de remplir les conditions requises.
Sabar et Merdi ont un rendez-vous en préfecture ces prochains jours pour être fixés sur leur avenir. Le jeune homme algérien « veut continuer ses études et rester en France, c’est la meilleure chose qu’il puisse nous arriver », espère-t-il.
L’étudiant congolais, lui, ne comprend toujours pas pourquoi on le traite différemment d’un autre réfugié : « Personne ne voulait quitter l’Ukraine pour venir en France. Ce n’est pas de notre faute, c’est la guerre qui a causé tous ces problèmes. Tout le monde est victime de cette guerre : les Ukrainiens c’est leur pays, mais nous aussi on vivait là-bas, nous aussi on payait l’université. On a le droit d’être traités comme eux aujourd’hui, il ne devrait pas y avoir de différence. »