Malgré une annonce en grande pompe à Kigali, l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda sur l’envoi des demandeurs d’asile dans le pays d’Afrique de l’Est ne sera pas effectif tout de suite. La ministre britannique de l’Intérieur Priti Patel a reconnu lundi que les premiers vols n’auront pas lieu avant plusieurs mois.
Le projet de renvoyer au Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni verra-t-il le jour ? L’accord, annoncé en grande pompe le 14 avril par la ministre britannique de l’Intérieur Priti Patel, fait face à de nombreuses difficultés qui risquent de contrarier les ambitions du gouvernement de Boris Johnson.
La ministre a reconnu elle-même lundi 9 mai lors d’une visite dans le Kent que les premiers vols à destination de Kigali n’auraient pas lieu avant plusieurs mois. « J’ai dit dès le premier jour […] que cela prendra du temps [d’envoyer les demandeurs d’asile au Rwanda] ». Le Premier ministre avait pourtant assuré que les premiers transferts se produiraient d’ici fin mai.
« Nous voyons divers obstacles et barrières, principalement de la part de cabinets d’avocats spécialisés qui veulent bloquer l’expulsion de personnes n’ayant pas le droit d’être dans notre pays », a affirmé Priti Patel, répondant à des questions de la presse. Tout en rappelant fermement que l’ »objectif » est toujours « de renvoyer au Rwanda ceux qui n’ont aucune base légale pour être au Royaume-Uni ».
Action en justice
Les « obstacles et barrières » évoquées par la ministre de l’Intérieur font référence à l’action en justice lancée la semaine dernière par le cabinet d’avocats anglais InstaLaw – d’autres procédures devaient être engagées par des associations dans les prochaines semaines.
Ce cabinet estime que l’envoi des migrants au Rwanda est contraire au droit international et à la Convention de Genève, relative au statut de réfugié, signée par l’Angleterre. Le projet serait également illégal au regard de la législation britannique sur les données puisqu’elles seraient alors partagées avec un autre État.
Le ministère de l’Intérieur a trois semaines pour répondre aux interrogations des avocats, sans quoi l’affaire pourrait être portée devant la Haute cour de justice.
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Les défenseurs des migrants prennent l’exemple précis d’un demandeur d’asile iranien. Envoyé au Rwanda, cette personne « pourrait être le seul iranien du pays. Il n’y a pas de réseau là-bas, pas de communauté, personne ne parle sa langue. Comment va-t-il s’en sortir, survivre ? Comment va-t-il trouver un travail ou poursuivre ses études ? », s’interroge un représentant du cabinet InstaLaw, Stuart Luke.
Le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), très critique sur le partenariat entre Londres et Kigali, a abondé en ce sens, affirmant avoir de « sérieuses inquiétudes quant à la capacité du Rwanda à intégrer » les demandeurs d’asile non africains sur son sol. La majorité des migrants qui traversent la Manche depuis le nord de la France sont des Kurdes irakiens et iraniens ainsi que des Afghans. Beaucoup ont pour de la famille dans le pays, ce qui n’est pas le cas sur le continent africain.
Peu de demandeurs d’asile concernés
Même si cet accord est validé par la justice britannique, il ne concernera qu’une poignée d’exilés, selon le Conseil des réfugiés (Refugee council), une ONG anglaise qui fournit un soutien aux migrants.
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En se basant sur les profils des arrivées de 2021, l’organisation pense que seulement 172 personnes auraient pu être envoyées au Rwanda l’an passé. Boris Johnson avait pourtant déclaré que « des dizaines de milliers » de demandeurs d’asile arrivés illégalement en Angleterre seraient concernés par le partenariat avec Kigali.
Cette projection se base sur les 8 593 personnes ayant demandé d’asile l’année dernière : seul 2% de ces demandes ont été déboutées, soit 172 dossiers, d’après le Conseil des réfugiés.
Une goutte d’eau donc, qui coûterait en revanche très cher aux contribuables britanniques. Le plan avec Kigali a été négocié en échange d’un versement de 144 millions d’euros aux autorités rwandaises.