Après le passage à tabac, le 25 mai, d’un migrant soudanais par des agents de sécurité du CETI – le seul centre d’accueil de Melilla – plusieurs exilés ont manifesté devant l’entrée du camp pour dénoncer les violences dont ils sont régulièrement victimes. Selon une militante associative de l’enclave espagnole, les gardes du CETI jouissent d’une impunité totale.
Muhamad ne sait toujours pas pourquoi il a été roué de coups. Mercredi 25 mai, ce jeune Soudanais, installé au CETI, le seul centre d’accueil de Melilla, se rend au réfectoire pour aller déjeuner. Diabétique, Muhamad détient une attestation lui permettant de passer en priorité. « Il est allé voir les agents de sécurité et a montré le papier », raconte Rafeeq, un de ses amis joint par InfoMigrants. « L’un d’eux l’a poussé et lui a demandé de faire la queue. Quand Muhamad a insisté, il l’a violemment conduit à la salle des gardes. »
Les premiers coups tombent rapidement. « En chemin, un premier garde a frappé Muhamad dans l’œil. Mon ami a crié. Il a demandé des explications. À ce moment-là, quatre autres agents de sécurité sont sortis d’une pièce et ont commencé à le frapper aussi. Puis ils l’ont emmené dans une salle et ils ont fermé la porte. »
À l’abri des regards, le Soudanais croule sous les coups. Son visage tuméfié, pris en photos quelques heures après, témoigne du déchaînement de violence. Selon Rafeeq, Muhamad avait des ecchymoses sur tout le corps, ainsi qu’un gonflement et des saignements autour de son œil gauche.
« Ce n’est pas la première fois… »
Le soir même, un groupe d’une vingtaine de migrants a décidé de protester pacifiquement contre ces violences gratuites en dormant devant le CETI. « Ils étaient peu nombreux. La police est venue mais il ne s’est rien passé parce que les protestataires étaient calmes. Ils étaient juste assis par terre », confie une militante de Melilla qui souhaite rester anonyme. « Ce n’est pas la première fois que les occupants du CETI sont victimes de coups de la part des gardiens », ajoute-t-elle. « Mais c’est la première fois qu’ils manifestent à ce sujet ».
« Personne n’est venu nous voir », déplore Rafeeq. Pas un responsable du camp n’a souhaité rencontrer les protestataires ce soir-là. « Les violences sont systématiques ici. Nous avons manifesté pacifiquement pour exiger que ces comportements cessent avec nous ».
Selon la militante, les gardiens utilisent régulièrement les coups « hors de toute proportion » et ne sont « jamais sanctionnés » par leur hiérarchie. « En fait, c’est comme si les violences étaient tolérées au CETI », affirme-t-elle.
Une semaine plus tard, le 31 mai, une nouvelle manifestation silencieuse en soutien à Muhamad a eu lieu devant l’entrée du camp. La date n’a pas été choisie au hasard. « Elle coïncidait avec l’arrivée au CETI d’une délégation officielle du ministère de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et de la Migration », explique encore la militante. Les migrants ont voulu interpeller les autorités sur l’impunité des gardiens du CETI vis-à-vis des migrants.
Sur les pancartes en papier et en carton brandies devant les grilles de l’entrée, les revendications des migrants sont simples : « Traitez-nous avec respect », « Non à la violence », « Les agents de sécurité nous traitent mal », « Où se trouve notre protection et notre sécurité ? »
« La délégation ne s’est même pas arrêtée pour demander de quoi il s’agissait »
Ce fut un échec. « Rien… Il ne s’est rien passé », explique encore la militante. « Les membres de la délégation ne se sont même pas arrêtés pour demander de quoi il s’agissait… »
Pour Rafiq et les autres, l’attente au sein du CETI est désormais devenue une source d’anxiété. « Le jour même où Muhamad a été attaqué, un autre migrant du Burkina Faso a été battu par les gardes. Ils lui avaient demandé d’arrêter d’écouter de la musique sur son téléphone, et quand il a refusé, il a été violemment frappé ».
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Selon les derniers chiffres des associations, près de 600 migrants vivent actuellement dans le CETI, pour une capacité maximale de 700 places. Tous sont arrivés dans l’enclave en escaladant la clôture qui sépare le Maroc de Melilla ou en nageant depuis le port voisin de Beni Ansar.
Comme Muhamad et Rafeeq, de nombreux Africains subsahariens tentent depuis des années d’entrer sur ce petit territoire espagnol de 18 km2 pour atteindre l’Europe. Melilla constitue, avec Ceuta, les deux seules frontières terrestres de l’Union européenne avec l’Afrique.
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Les occupants du CETI ne veulent généralement pas rester à Melilla. Ils espèrent et attendent leur transfert vers l’Espagne continentale. Mais avec la pandémie de coronavirus, les départs se sont faits au compte-gouttes ces dernières années.