Après avoir été refoulé une première fois par les autorités espagnoles dans le nord du Maroc, le jeune homme de 26 ans s’est tourné vers l’océan Atlantique pour rejoindre l’Europe. C’est depuis Laâyoune, dans le Sahara occidental, que Serge a pris, en pleine nuit, un bateau pour les îles Canaries. Au bout de quelques heures de navigation, le bateau a perdu son moteur, en pleine mer. Témoignage.
Serge est né à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). Menacé de mort, il a dû fuir son pays le 30 juin 2021. Avant d’atteindre l’Europe, le jeune homme de 26 ans a transité par le Maroc. Il tente une première fois de rejoindre l’Espagne par le Rocher de Vélez de la Gomera, petit bout de terre espagnole sur le littoral nord marocain. Mais le groupe de 125 personnes avec lequel il a demandé l’asile a été renvoyé de force à Tiznit, dans le sud du Maroc.
Il remonte alors une nouvelle fois jusqu’à Nador. Mais dans la région, le passage est complètement bloqué : passer par les enclaves de Ceuta et Melilla est impossible, prendre un bateau en Méditerranée l’est tout autant, à cause des nombreux effectifs de police en mer. La seule issue possible, pour Serge, se trouve alors bien plus au sud du Maroc, à Laâyoune. C’est de cette ville du Sahara occidental qu’il prend la mer, en janvier 2022.
« À 3h du matin, depuis une plage, je suis monté dans un petit canot. Il mesurait environ 10 mètres de long, et nous étions 67. Il y avait parmi nous des femmes, certaines étaient enceintes, et quelques enfants. Au début, nous avons navigué plutôt tranquillement. On voyait des dauphins nager à côté de nous. Et puis, au bout de quelques heures, le moteur du bateau s’est détaché, et il est tombé à l’eau. Il y avait aussi un trou dans la coque.
L’embarcation a commencé à prendre l’eau. Mais surtout, on ne pouvait plus avancer. Et les personnes qui conduisaient le bateau – des Sénégalais – étaient complètement paniquées. Ils se parlaient en wolof, je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. Mais j’ai bien senti que nous étions perdus, en pleine mer et en pleine nuit. On avait des pulls et des doudounes, mais malgré cela, on avait si froid. On est resté toute la nuit et une partie de la journée comme ça. En tout, nous avons passé 24h en mer.
D’après Lamine, un exilé ivoirien interrogé par InfoMigrants récemment, le passage de Laâyoune à Fuerteventura coûte actuellement aux passagers entre 1 500 et 2 000 euros. « Un ami est décédé ces derniers jours en tentant la traversée. Je sais que c’est dangereux mais je n’ai pas le choix, je tenterai quand même ma chance, a-t-il confié. Ma famille au pays compte sur moi, ils sont dans une pauvreté totale. »
J’étais paralysé par la peur. Les gens et les bébés pleuraient. Moi, je ne faisais que prier. J’ai demandé à Dieu de survivre, mais je reconnais que je me voyais déjà mort.
« Je n’arrivais plus à marcher »
Et puis, soudain, un navire s’est approché de nous. C’était la Croix-Rouge espagnole. Ils nous ont sauvés. Ce que j’ai ressenti à ce moment-là, c’est indescriptible. Un tel soulagement. On nous a donné des couvertures. Mais avec le froid et la peur, j’étais totalement engourdi, je n’arrivais même plus à marcher.
La route migratoire vers les Canaries est une des plus dangereuses au monde. Depuis le début de l’année, au moins 297 personnes sont mortes dans l’Atlantique en tentant de rejoindre l’Espagne, d’après l’Organisation internationale des migrations (OIM). Et selon l’ONG Heroes del Mar, au moins 4 000 exilés ont perdu la vie dans ces eaux l’an dernier.
Nous avons d’abord été emmenés dans un centre à Lanzarote, où nous avons passé deux semaines. Puis on a été transféré à Las Palmas quelques jours, et ensuite, nous avons pris l’avion pour Madrid, sur le continent. Dès que j’ai pu, j’ai quitté l’Espagne. J’ai tellement été choqué de mon refoulement la première fois que ce n’était pas envisageable, pour moi, de rester là-bas. Je me suis débrouillé pour me faire conduire de l’autre côté de la frontière.
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Depuis trois mois, je vis en à Arlon, en Belgique, dans un centre pour demandeurs d’asile. Je n’attends qu’une chose : travailler pour gagner ma vie, m’installer et avoir une vie paisible.
Depuis les Canaries, j’ai très peur de la mer. Pour l’instant je ne veux pas remonter dans un bateau, même pour une promenade. Peut-être qu’un jour, avec le temps, j’y arriverai ».