Selon les autorités locales marocaines, 23 migrants en situation irrégulière ont péri lors d’une tentative d’entrée massive vendredi matin dans l’enclave espagnole. Le Premier ministre espagnol accuse « des mafias », des ONG réclament une « enquête approfondie » sur les circonstances de ces drames.
Drame sans précédent à Melilla. Au moins 23 migrants ont péri, selon les autorités locales marocaines, suite à la tentative d’entrée massive de migrants africains vendredi 24 juin dans l’enclave espagnole.
Ces personnes ont trouvé la mort « dans des bousculades et en chutant de la clôture de fer » lors d' »un assaut marqué par l’usage de méthodes très violentes de la part des migrants », ont déclaré les autorités locales marocaines.
Des dizaines de personnes ont par ailleurs été blessées, comme le révèlent des images amateurs filmées près de cette frontière. Amoncellement de corps inertes gisant au sol, visages de migrants en souffrance, coups de matraque distribués par des forces de l’ordre sur des hommes déjà à terre… Insoutenables, ces vidéos témoignent de la violente répression policière envers les exilés, suite à l’assaut par ces derniers de la clôture séparant le Maroc de Melilla. Une violence décrite comme inédite.
Le bilan humain est – de très loin – le plus meurtrier jamais enregistré lors des nombreuses tentatives de migrants subsahariens de pénétrer à Melilla et dans l’autre territoire espagnol de Ceuta, seules frontières de l’UE avec le continent africain. Cent-quarante policiers ont par ailleurs été blessés. « Dix-huit migrants et un membre des forces de l’ordre restent sous surveillance médicale », a par ailleurs indiqué à l’AFP une source des autorités de la province de Nador, laissant craindre une augmentation du bilan des victimes.
« C’était la guerre »
Près de 2 000 migrants originaires d’Afrique subsaharienne avaient tenté de pénétrer par la force vendredi matin dans cette cité autonome espagnole de Melilla. Selon la presse espagnole, les exilés étaient équipés de pierres et de marteaux. Les policiers ont répondu à cet assaut par la force, utilisant du matériel anti-émeute et des gaz lacrymogènes en direction du groupe. « Nous avons entendu des coups de feu », expliquait vendredi à InfoMigrants un Soudanais présent à Melilla depuis plusieurs semaines. « Les forces de sécurité des deux côtés ont battu les migrants avec des matraques. »
« C’était la guerre. Nous avions des pierres pour nous battre avec les militaires marocains qui nous ont frappés à coups de bâtons », a témoigné un Soudanais de 20 ans dans un centre de rétention à Melilla, interrogé par l’AFP.
Un autre migrant, détenu dans le même centre, a raconté avoir grimpé sur la clôture grillagée qui sépare la ville marocaine de Nador de l’enclave espagnole avant qu’un agent sécuritaire ne lui frappe les mains: « Je suis tombé inconscient côté espagnol où j’ai été roué de coups par les forces de l’ordre ».
Au total, 130 migrants sont parvenus à entrer vendredi à Melilla, dont l’un restait hospitalisé, selon des sources de la préfecture espagnole.
La majorité des nouveaux migrants qui affluent au Maroc viennent du Soudan, en particulier du Darfour, où une nouvelle flambée de violence a récemment fait des centaines de morts et 50 000 déplacés. Beaucoup passent par la Libye et l’Algérie, malgré une frontière officiellement fermée avec le Maroc, pour arriver dans le royaume chérifien.
« Un assaut organisé par les mafias »
Le Premier ministre socialiste espagnol, Pedro Sánchez, a de son côté décrit ce drame comme un « assaut (…) violent et organisé de la part de mafias qui se livrent au trafic d’êtres humains, contre une ville qui est un territoire espagnol ».
« Par conséquent, il s’est agi d’une attaque contre l’intégrité territoriale de notre pays », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse à Madrid.
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Au Maroc, des voix se sont élevées samedi pour réclamer une enquête « approfondie ». « Nous insistons sur l’ouverture d’une enquête approfondie pour élucider toutes les circonstances de ce drame », a plaidé samedi soir Omar Naji, chargé du dossier des migrants au sein de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) à Nador, ville limitrophe de Melilla (nord du Maroc).
Selon ce dernier, la violence de l’assaut marque un tournant. « C’est la première fois qu’on note une telle violence de la part des migrants vis-à-vis des forces de l’ordre », souligne-t-il, faisant état, pour sa part, de 27 morts parmi les migrants originaires d’Afrique subsaharienne.
« La pression des autorités a généré cette violence sans précédent »
Près de Melilla, des centaines de migrants attendent, parfois pendant des mois, en pleine nature, de pouvoir passer en Espagne. Ils survivent dans les forêts du mont Gourougou, dans des abris de fortune faits de tôle, de bâches et de planches de bois. Depuis que la brouille diplomatique entre Madrid et Rabat s’est dissipée, des migrants se disent victimes d’un regain de violence, indiquant être « traqués » par les autorités où qu’ils soient.
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« Les autorités marocaines ont traité les migrants de manière très dure, a continué Omar Naji. Elles ont assiégé leurs campements. Il ne fait aucun doute que cette pression a généré la violence sans précédent à laquelle on a assisté. »
Des ONG d’entraide aux migrants se sont jointes à l’AMDH pour exiger une enquête « transparente et sérieuse ». Un grand syndicat marocain qui défend aussi les droits des travailleurs migrants, l’Organisation démocratique du travail (ODT), a exhorté le gouvernement « à ouvrir une enquête sur ce drame tragique et à faire le nécessaire en faveur des victimes des deux côtés », clandestins et policiers.
Mais selon l’AMDH, qui a tweeté des photos, des tombes auraient déjà été creusées au cimetière de Sidi Salem, à Nador, laissant penser qu’il s’agirait des lieux où pourraient être enterrées les dépouilles des migrants morts. « Sans enquête, sans autopsie, sans identification, les autorités cherchent à cacher le désastre », a accusé l’AMDH.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) ont de leur côté réagi conjointement pour exprimer « leurs plus vives inquiétudes » et rappeler la nécessité « en toutes circonstances de prioriser la sécurité des migrants et des réfugiés » et « l’importance de trouver des solutions durables pour les personnes en situation de déplacement ».
Dimanche, deux jours après les affrontements, la situation était toutefois toujours aussi tendue à cette frontière. La police marocaine a annoncé avoir mis en échec dans la matinée un plan visant à prendre d’assaut la clôture métallique entre la province de Tétouan (nord du Maroc) et l’enclave de Ceuta. Cinquante-neuf candidats à l’immigration clandestine ont été interpellés, selon la Direction générale de la Sûreté nationale.