Dimanche, des centaines d’exilés et leurs soutiens ont investi le centre d’accueil de la capitale réservé aux ressortissants ukrainiens. Originaires d’Afrique ou d’Afghanistan, ils réclament le même traitement que celui accordé aux Ukrainiens et dénoncent des logiques « racistes ».
Pendant plus de cinq heures, dimanche 17 juillet, environ 400 personnes ont investi un centre réservé aux déplacés ukrainiens, porte de Versailles, au sud de Paris. Coordonné par le collectif d’aide aux migrants La Chapelle debout, le groupe était composé d’étudiants, de militants d’Extinction Rébellion et de nombreux exilés. La plupart sont originaires d’Afrique de l’est et d’Afghanistan. Parmi eux, se trouvaient plusieurs femmes dont certaines enceintes ou accompagnées de leurs enfants.
Avec cette action, les manifestants entendaient dénoncer la différence de traitement entre les personnes ayant fui l’invasion russe en Ukraine et les migrants d’autres nationalités. Les premiers sont hébergés par l’État via des dispositifs exceptionnels et bénéficient d’une protection temporaire de six mois renouvelable, quand les seconds sont, pour beaucoup, contraints de dormir dans des camps à Paris ou dans le nord de la France.
Dans un communiqué, les militants et les exilés dénoncent des « pratiques d’apartheid » et des logiques « racistes ».
« Nous, on a été accueillis dans la rue »
Le statut administratif de nombre de ces migrants les exclut d’une prise en charge dans les centres d’hébergements gérés par les autorités : c’est notamment le cas des Dublinés, dont la demande d’asile dépend du premier pays d’arrivée en Europe (le plus souvent la Grèce, l’Italie ou l’Espagne), et qui se retrouvent dans un no man’s land administratif pendant plusieurs mois.
Les primo-arrivants peuvent aussi passer des jours à la rue en attendant de trouver un rendez-vous en préfecture et de pouvoir bénéficier d’un toit le temps du traitement de leur demande d’asile. Enfin, des réfugiés statutaires viennent également grossir les rangs des personnes vivant dans les campements informels, car ils ne trouvent pas d’appartements dans les logements sociaux ou dans le parc locatif privé. À cela s’ajoute un manque de places significatif dans le Dispositif national d’accueil (DNA), souvent saturé.
Abdulraham* fait partie des occupants de dimanche. Ce Soudanais de 25 ans a obtenu le statut de réfugié en 2019 mais ne parvient pas à se loger, malgré un travail dans le bâtiment. Il vit depuis avril dans un squat ouvert par La Chapelle debout en plein cœur de Paris. Avant, il dormait sous une tente au nord de la capitale.
« La différence entre eux et nous est flagrante. Dans le centre, il y a des toilettes, des jeux pour enfants et des bureaux pour faciliter leurs démarches administratives. On n’a jamais eu ça », souffle le jeune homme. « Nous, on a été accueillis dans la rue par la police, les évacuations de camps à répétition et les jets de gaz lacrymogène. Les Ukrainiens ont droit à des structures spéciales quand nous on est obligés de passer par la case rue ».
« Un hébergement pour tous »
L’arrivée en France d’environ 100 000 Ukrainiens en cinq mois et l’accueil qui leur a été réservé a mis en lumière le « deux poids deux mesures » orchestré par les autorités, selon les militants. « On donne la preuve qu »accueillir’ est un choix politique, et pas une alternative qui dépendrait des moyens », signale La Chapelle Debout dans son communiqué.
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Et le centre de la porte de Versailles en est le symbole. Doté de 600 places, le lieu tourne depuis plusieurs semaines au ralenti mais la préfecture refuse d’y loger d’autres publics.
« Hier [dimanche 17 juillet, ndlr], seule une trentaine de lits était occupée, le reste était complètement vide », a constaté Malcom*, militant de la Chapelle debout, lors de l’occupation du hangar.
L’action de dimanche organisée par le collectif et les migrants n’est pas la première en date. D’autres mouvements ont donné de la voix ces dernières semaines pour demander le même traitement. Plusieurs associations, dont Utopia 56 et Médecins du Monde, ont manifesté le 9 juillet pour réclamer un « hébergement pour tous.tes, quelle que soit leur nationalité ».
Alors que des sites ont ouvert dans l’urgence pour accueillir les ressortissants ukrainiens – fermés depuis en raison d’une baisse des arrivées – et que des places sont toujours disponibles à porte de Versailles, les associations déplorent que « dans le même temps, plusieurs centaines de personnes dorment à la rue ». « Des familles, femmes enceintes, mineurs non accompagnés et hommes isolés qui devraient aussi bénéficier d’une protection adaptée », estiment les humanitaires.
« La France, c’est le pays de la rue »
La gronde ne se limite pas aux associations. Plusieurs élus parisiens ont aussi fait part de leur incompréhension. Mi-juin, la ville de Paris avait ouvert un gymnase pour y mettre à l’abri une centaine de familles africaines dormant dehors, après avoir essuyé une fin de non-recevoir de la préfecture d’Ile-de-France. Celle-ci avait refusé de loger les femmes et les enfants dans le centre de la porte de Versailles, qui disposaient pourtant d’un important nombre de places vacantes.
Les autorités avaient justifié leur choix en affirmant que le site est « un espace de transit à la nuitée » qui « n’est pas adapté à la demande d’hébergement formulée par ces familles présentes devant la mairie de Paris ».
Ian Brossat, adjoint chargé de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugiés à la mairie de Paris, avait vivement critiqué ce choix, rappelant que l’hébergement des migrants relève de la compétence de l’État, et non de la Ville. « C’est bien de mobiliser des places pour les Ukrainiens mais quand ces structures sont vides, on peut les attribuer à des familles non-ukrainiennes », expliquait-il alors à InfoMigrants, tout en balayant l’argument d’un site non adapté. « Un gymnase n’est pas plus adapté qu’un hall dans un centre d’exposition », assurait l’élu.
La manifestation de dimanche aura-t-elle plus de retombées que les griefs formulés par la mairie ? Les migrants ont obtenu un rendez-vous à la préfecture, prévu pour mardi 19 juillet. Une liste doit être adressée au préfet avec les noms des personnes ayant besoin d’un logement. Abdulraham ne nourrit que très peu d’espoir.
« Je pense que cet entretien ne servira à rien. La France, c’est le pays de la rue. J’ai l’impression qu’on n’a pas le droit à une vie stable, à une protection et à une dignité », dit-il, las de son quotidien dans l’Hexagone.
*Les prénoms ont été modifiés.