Charly, un Congolais de 24 ans, est arrivé à Chypre en novembre 2021, persuadé, comme le lui avaient dit les passeurs, qu’une nouvelle vie pleine de promesses l’attendait. Mais sept mois plus tard, le demandeur d’asile, pourtant autorisé à travailler, n’a été embauché nulle part. Comme des milliers d’autres migrants, il est réduit à l’oisiveté et à la pauvreté.
En chemin pour Chypre, Charly était gonflé d’espoir. Et pour cause, pour ce Congolais de 24 ans, ce départ loin de sa République démocratique du Congo natale était synonyme de promesses : sur la petite île européenne, lui avaient promis les passeurs, un travail l’attendait et il pourrait même continuer ses études en administration des affaires et sciences économiques. “Les passeurs me disaient : ‘C’est l’Europe là-bas, ça sera comme la France, vous allez étudier, vous travaillerez facilement’”, détaille Charly.
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Sept mois après son arrivée dans le pays, Charly constate que c’est pourtant l’inverse qui s’est produit. « Les personnes qui nous ont aidé à arriver ici nous ont raconté une histoire très différente de la réalité. En fait, je cherche de travail depuis six mois, explique-t-il. J’ai un permis de travail mais on me refuse partout. On me dit : ‘C’est full’, ‘Y’a pas de place’, ‘Faut revenir plus tard’. C’est toujours la même chose.”
S’il est techniquement possible pour Charly de travailler dans le pays, la réalité est en effet plus complexe. À Chypre, il est possible de travailler un mois après le dépôt d’une demande d’asile. Pour exercer ce droit, un demandeur d’asile doit s’enregistrer immédiatement, passé ce délai, auprès des Services Publics de l’Emploi et demander un permis de travail. Mais les critères pour obtenir ce permis sont très sélectifs : « Il faut d’abord pouvoir justifier d’une adresse. C’est le serpent qui se mord la queue : vous voulez un travail pour vous payer un logement mais on vous demande d’avoir un logement pour travailler », expliquait, en avril, à InfoMigrants Elizabeth Kassinis, responsable du centre pour migrants de Caritas à Nicosie.
Une fois le sésame en poche, d’autres obstacles se dressent pour les candidats à l’emploi. Outre les réticences des employeurs à embaucher des demandeurs d’asile, les secteurs professionnels auxquels cette catégorie de population a accès sont très restreints.
“Pour les demandeurs d’asile, le marché du travail est limité à des secteurs qui demandent peu de qualification”, explique Emilia Strovolidou, du bureau chypriote du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Parmi les domaines à leur portée : l’agriculture, la gestion des déchets, la production alimentaire (dans les abattoirs notamment), le nettoyage, la restauration, l’hôtellerie.
« Personne ne travaille »
Des secteurs dans lesquels les horaires de travail peuvent représenter une barrière. « La plupart des demandeurs d’asile se voient proposer des emplois de nuit, or le manque de transport public la nuit freine leurs opportunités d’embauche”, détaille l’experte.
Charly, lui, a postulé dans “15 ou 20 endroits” différents. “J’ai testé le secteur du nettoyage, de la maçonnerie, des hôtels, des restaurants… Rien n’a marché », se désespère-t-il. Pareil pour les études : Charly ne parvient pas à s’inscrire, ou du moins à comprendre les démarches à entreprendre.
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Par conséquent, il passe désormais sa nouvelle vie enfermé entre quatre murs. “Je reste à la maison presque toute la journée, dit-il. Je regarde des films, je suis sur mon téléphone… »
Le Congolais vit à Ayia Napa, dans l’est du pays, dans une maison qu’il loue avec six autres demandeurs d’asile, tous originaires de RDC et arrivés fin 2021, également tous rencontrés dans le camp de Pournara, seul centre d’accueil de l’île, étape obligatoire pour les migrants où les conditions de vie sont déplorables. Tous sont confrontés aux mêmes problèmes que Charly. « Personne ne travaille”, résume ce dernier.
Techniquement, une fois le statut de réfugié obtenu, une personne étrangère a accès aux mêmes emplois que les citoyens chypriotes. Mais il faut, en moyenne, compter trois ans pour qu’une procédure de demande d’asile aboutisse, selon Emilia Strovolidou.
Seuil de pauvreté
Cette oisiveté forcée a de lourdes conséquences sur la population migrante de l’île. “La grande majorité des demandeurs d’asile vivent dans des zones urbaines mais ils sont contraints de partager des logements inappropriés avec d’autres personnes en raison de leur problème d’accès à l’emploi et de la maigre indemnité logement dont ils bénéficient”, continue Emilia Strovolidou.
Cette indemnité s’élève à 365 euros pour une personne pour couvrir le logement, la nourriture, l’habillement et les charges. « Cette somme est en deçà du revenu minimum garanti, commente-t-elle. C’est en dessous du seuil de pauvreté, ce qui rend les demandeurs d’asile à risque d’être exploités et de se retrouver sans abri.” Résultat : le nombre de personnes à la rue est en augmentation dans le pays depuis 2017.
Charly explique toucher 260 euros par mois. Cent euros sont directement versés par l’État chypriote à son bailleur. La maison qu’il loue n’est équipée que de deux chambres exiguës. Dans chacune d’elles, dorment six personnes. “Il n’y a vraiment pas beaucoup d’espace et avec la vague de chaleur, c’est très dur pour nous.”
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Seule bouée de sauvetage à laquelle le jeune homme se raccroche : son père, exilé en France depuis près de 20 ans. Il espère le rejoindre, loin du piège chypriote, dès que sa demande d’asile aura été traitée, sans toufefois savoir comment et quand cela sera possible.
Depuis le début de l’année 2022, plus de 12 000 nouvelles demandes d’asile ont été enregistrées dans le pays, selon des chiffres du HCR. Elles s’ajoutent aux 24 915 dossiers toujours en attente et aux 6 752 autres qui sont en procédure d’appel.