Excédés d’attendre, au Niger, la mise en œuvre de leurs retours volontaires par l’Organisation internationale des migrations (OIM), une centaine de Sénégalais ont lancé une marche de protestation le 19 septembre. Dans la foulée, l’OIM a pu organiser un rapatriement de la majorité d’entre eux. Mais d’autres restent toujours coincés dans ce pays de transit. Et ce, parfois, sans possibilité d’accéder aux centres pourtant prévus à cet effet, comme en témoigne l’un d’eux interrogé par Infomigrants.
Un nouveau mouvement de protestation contre la gestion des retours volontaires par l’Organisation internationale des migrations (OIM) a agité la ville d’Agadez, au Niger. Le 26 septembre, « un convoi de bus a amené 320 personnes, parmi lesquelles des Guinéens, Tchadiens, Soudanais, et des Sénégalais », jusqu’à la capitale du pays, Niamey, raconte Moctar Hamado, responsable d’Alarme Phone Sahara, à Infomigrants. Quelques jours plus tôt également, le 22 septembre, un avion a embarqué 113 Sénégalais pour les rapatrier dans leur pays d’origine, dans le cadre du programme de retours volontaires organisé par l’OIM.
Ces deux avancées dans le processus de retours volontaires font suite à une importante manifestation menée par des Sénégalais, le 19 septembre. Ce jour-là, plus d’une centaine d’entre eux avaient initié une marche de protestation, depuis Agadez jusqu’à Niamey – soit près de 1 000 kilomètres – pour exiger de l’OIM qu’elle accélère les procédures de retours.
« La manifestation nous a beaucoup aidés : grâce à elle, ils ont amené ce convoi. C’est parce qu’on est motivés que l’OIM s’est engagé comme ça », veut croire Diallo*, un Sénégalais de 30 ans joint par Infomigrants.
« Ce mouvement fait suite à de nombreuses déprogrammations »
Cette manifestation était née d’une exaspération générale : les migrants témoignent d’une attente de plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour certains, dans ce territoire de transit qu’est le Niger. À la télévision nigérienne Canal 3, l’un d’eux assure que l’OIM leur a promis des départs vers le Sénégal depuis début juillet. Sans que cela ne se concrétise. « Il y a des promesses que nous, on ne comprend plus », résume-t-il face caméra.
« Ce mouvement fait suite à de nombreuses déprogrammations », confirme Moctar Hamado. Plusieurs dates de départs auraient ainsi été repoussées. L’OIM a promis aux Sénégalais un départ « le 4 septembre, puis le 13, puis le 19, puis le 22 », liste le responsable d’Alarme Phone Sahara.
Contactée, l’OIM explique que ces délais sont dus à des facteurs externes, dans la mesure où le feu vert des pays d’origine est requis avant chaque vol. « Parfois, il y a des raisons pour lesquelles les retours ne peuvent pas avoir lieu dans un court délai et les migrants restent plus longtemps dans nos centres de transit au Niger. Les raisons peuvent inclure la situation politique dans le pays d’origine, les délais pour obtenir les documents de voyage pour ceux qui n’en ont pas, la logistique liée à l’organisation des vols, la COVID-19 et/ou autres crises sanitaires ».
« On passe nos nuits dehors »
Cent-treize Sénégalais ont donc finalement pu embarquer à bord d’un avion parti d’Agadez suite à la manifestation. Une trentaine d’autres ont été amenés, aux côtés de migrants d’autres nationalités, dans le convoi de bus allant vers Niamey. « Le deuxième groupe devrait rentrer cette semaine », nous assure l’OIM.
Mais certains restent, en attendant, sur le banc de touche. C’est le cas de Diallo lui-même. Le jeune homme est parti du Sénégal il y a 8 mois. Après deux mois d’exil, il a atteint la Libye, où lui et ses compagnons de route se sont retrouvés enfermés, dans les conditions violentes maintes fois décrites par des exilés et ONG – Infomigrants a encore récemment documenté un cas de torture. Diallo explique avoir réussi à s’enfuir avec d’autres, et « pris une voiture qui nous a amenés à Agadez, devant le centre de l’OIM ».
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À ce moment-là, le jeune homme avait pris sa décision : entrer dans le programme de retour volontaire vers son pays, proposé par l’OIM. « Aujourd’hui, on voudrait retourner au Sénégal le plus vite possible », explique-t-il, en parlant toujours au pluriel comme pour témoigner aussi au nom de ses compatriotes. « Parce que beaucoup de nos amis ont perdu la vie sur la route. C’est trop dur. On a envie de rentrer ».
Mais voilà : depuis deux mois, l’attente se prolonge. Diallo est coincé devant le centre de transit d’Agadez géré par l’OIM, pourtant spécialement dédié aux migrants volontaires pour des rapatriements. La raison est simple : le centre est surpeuplé. « On nous a dit d’attendre que de nouveaux convois partent, jusqu’à ce qu’on puisse entrer dans le centre et y être officiellement enregistrés », déroule-t-il. Avec lui, des centaines de personnes patientent à l’extérieur, sans hébergement, dont « près de cent Sénégalais ».
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La seule possibilité qui s’offre à eux est d’aller chercher de la nourriture lors des distributions organisées par le centre. « La sécurité nous empêche d’accéder à tout le reste ». Pour les soins, le repos, les habits, rien n’est prévu, assure-t-il. C’est la survie dans la rue. « On passe nos nuits dehors. C’est difficile avec les moustiques, avec la pluie : tous les habits sont mouillés et on a pas d’habits secs ».
Diallo assure qu’autour de lui, il y a des « mineurs qui restent à dormir dehors, et même des femmes avec leurs bébés ».
Des conditions difficiles aussi dans les camps de transit
Les conditions de vie à l’intérieur des centres de transit, pour ceux qui parviennent à y entrer, ne sont pas toujours favorables non plus. « Ce que nous disent les migrants, c’est qu’ils dorment mal, qu’ils mangent mal. S’ils sont malades, on leur donne juste du paracétamol, ils n’ont pas de traitement médical à la hauteur », relaie Moctar Hamado d’Alarme Phone Sahara. « Même les toilettes ne fonctionnent pas toujours. Dernièrement il y a eu des tensions à cause des toilettes, il a fallu faire appel à la police, qui a fait usage de gaz lacrymogènes », précise-t-il.
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L’OIM compte aujourd’hui sept centres de transit au Niger : trois dans la région de Niamey et quatre dans la région d’Agadez. Fin août, un nouveau camp de transit avait été ouvert à Yaware, non loin de Niamey, avec la capacité d’accueillir également des victimes locales d’intempéries.
« Tout est plein, à Arlit, à Assamaka, à Agadez… Et cela fait un moment qu’il n’y a pas eu de départ. Donc psychologiquement, tout ça joue sur l’état des migrants », déplore Moctar Hamado.
L’OIM reconnaît sans hésitation les problèmes de surpopulation. Les centres « dépassent parfois leur capacité d’accueil en raison des flux migratoires pas toujours prévisibles », répond l’organisation à Infomigrants. Pour celui d’Agadez par exemple, dédié aux exilés les plus vulnérables, l’OIM confirme les descriptions de Diallo. « Nous accueillons actuellement plus de 1 700 migrants vulnérables et bloqués, pour une capacité de 1 000 personnes. Cela a évidemment un impact sur l’assistance fournie aux migrants, qui se ressent à travers la lenteur des procédures ou des services fournis », atteste l’organisation.
En revanche, s’agissant des conditions de vie à l’intérieur des centres, l’OIM assure que « tous les migrants » y ont « accès aux soins médicaux, psychosociaux et à l’aide alimentaire, malgré ces défis ».
Un pays de transit qui « joue un rôle clé dans la politique d’externalisation des frontières » de l’UE
Ce n’est pas la première fois que des exilés protestent contre les conditions d’attente à l’intérieur et à l’extérieur des centres de transit gérés par l’OIM. Fin août, des manifestations avaient eu lieu à Agadez et à Arlit, principalement menées par des ressortissants maliens.
« L’OIM est loin d‘installer des capacités suffisantes pour répondre aux besoins les plus essentiels de ces personnes pour lesquelles elle s’est donnée le mandat de prise en charge », conclut Alarme Phone Sahara dans un communiqué paru cet été.
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Mais avant tout, l’ONG rappelle la responsabilité de l’Union européenne, qui finance ce programme de retours volontaires de l’OIM. Un programme qui « joue un rôle clé dans la politique d’externalisation des frontières sur le sol africain par le biais des États de l’Union européenne ».
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé