À seulement 27 ans, Yolanda a connu un passé de femme de jhadiste au Cameroun puis d’esclave sexuelle en Libye. Après avoir fui ces deux situations, elle est arrivée le 12 septembre en Italie, au prix d’une traversée de la Méditerranée. À des milliers de kilomètres de son fils, qu’elle a caché chez des proches. Pour InfoMigrants, elle revient sur son parcours infernal.
Yolanda, une Camerounaise de 27 ans, a fui en 2019 son Cameroun natal, menacée par son mari, jihadiste au sein de l’organisation Boko Haram. Avant son départ, elle a mis son enfant de quatre ans en sécurité à Yaoundé, caché chez un proche. Puis elle est partie en Libye, où elle était en contact avec un homme prêt à l’embaucher comme femme de ménage. Mais sa vie là-bas a tourné au cauchemar. Séquestrée par son employeur, Yolanda dit, du bout des lèvres, avoir été « visitée » chaque nuit par cet homme et ses fils. Voici la seconde partie de son témoignage.
>> À (re)lire : « Mon mari faisait partie de Boko Haram, j’ai voulu m’enfuir » : l’histoire de Yolanda, du Cameroun à la Libye (1/2)
« Durant les premiers mois en Libye, tout allait bien. Je vivais dans la famille de Monsieur Samir, dans une ville dont je ne connais pas le nom. Il vivait avec sa femme et leurs trois fils, âgés de 20, 18 et 15 ans. Je m’occupais du ménage, de la lessive, du repassage. Monsieur Samir était le seul de la famille qui parlait français.
J’étais censée toucher 100 000 francs CFA par mois [environ 153 euros, ndlr]. Le premier mois, j’ai été payée, mais pas les autres. L’argent était censé aller directement à ma famille au Cameroun, pour subvenir aux besoins de mon fils. Au début, je ne m’inquiétais pas.
Monsieur Samir et ses fils
Au bout de trois mois, j’ai commencé à recevoir de la visite la nuit. (Elle pleure pendant un long moment, ndlr.) Je ne sais pas pourquoi ça a commencé. Une nuit, ils sont venus. Monsieur Samir et ses trois fils m’ont violée à tour de rôle.
C’est devenu régulier. Chaque nuit pendant quatre mois, ils sont venus tous les quatre. Ils me forçaient, ils m’obligeaient. Quand je me débattais, ils me frappaient.
>> À (re)lire : Sarah, violée « tous les soirs » en Libye, jusqu’à son accouchement en prison
La journée, je ne les voyais pas. Le monsieur sortait, les fils partaient à l’école. Quand ils rentraient le soir, je restais dans la cuisine. Quand je finissais mes tâches, j’allais dans ma chambre, je restais dans mon coin.
La nuit, ils n’échangeaient pas avec moi, ils me donnaient simplement des ordres. Une fois, le monsieur a pris un couteau pour m’empêcher de me débattre. Il m’a entaillé la cuisse et dans le dos. J’ai des cicatrices maintenant.
Je n’étais jamais seule avec les fils, le père était toujours là. Sauf une fois. Je me suis retrouvée à la maison avec les fils de 20 ans et de 18 ans. L’un a mis le feu à un morceau de plastique et m’a brûlé le pied avec pendant que l’autre me maintenait. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça, je pense qu’ils voulaient s’amuser. Ils rigolaient tous les deux. Mon pied est devenu noir après ça. C’est la seule fois que ça s’est produit. Ils se sont fait disputé par leur père pour avoir fait ça.
La femme du monsieur
Au début, je me disais que la femme du monsieur ne se rendait pas compte de ce qui se passait la nuit. Elle travaillait dans un centre d’appels et elle rentrait parfois tard, à 22h ou 23h. Mais j’ai fini par comprendre qu’elle savait forcément. Je n’étais plus normale, j’étais triste tout le temps, j’étais pâle. Elle n’a jamais essayé de communiquer avec moi. On ne parlait pas la même langue, elle parlait arabe et moi français, mais elle n’avait pas l’air de se préoccuper de moi.
Du jour au lendemain, quand les violences ont commencé, on m’a interdit de sortir. Avant, je pouvais aller au marché, mais c’est devenu impossible. Le monsieur me disait : ‘Pourquoi tu veux sortir ? Tu connais qui ? Tu ne connais personne. Fais le ménage.’ Je ne touchais toujours pas mon argent. La journée quand il n’était pas là, c’était sa femme qui m’empêchait de sortir.
>> À (re)lire : Libye : des corps calcinés de migrants découverts dans un bateau le long de la côte
Au bout de plusieurs mois, un jour, j’ai réussi à l’accompagner au marché à nouveau. Cela faisait quelques temps que je tachais de me comporter ‘normalement’, je faisais bonne figure, je ne protestais pas. Alors, la femme a accepté que je l’accompagne. Dans la rue, il y avait foule. Je marchais derrière la femme et j’ai soudain fait demi-tour. Je me suis faufilée entre les gens et je suis partie en marchant, sans attirer l’attention. Je lui ai échappé comme ça.
J’ai erré trois jours dans la ville. Puis j’ai croisé des femmes noires, comme moi, qui venaient au marché. Elles étaient de Sierra Leone, de Guinée et de Côte d’Ivoire. Je leur ai tout raconté. Elles m’ont gardé chez elles et m’ont aidée à rassembler de l’argent. Elles m’ont conseillé de prendre la Méditerranée et de faire ma vie en Europe. Mais j’étais terrifiée, j’ai dit que je préférais rentrer dans mon pays. J’ai pu contacter le même passeur que j’avais pris pour l’aller et je suis repartie vers le Cameroun, en sens inverse.
Séverin
Au Cameroun j’ai passé tout mon temps avec mon fils, cachée chez mon amie. Je savais que j’allais devoir repartir. La situation au Cameroun n’avait pas changé pour moi. Un autre de mes frères, Séverin, (voir l’épisode un dans lequel Yolanda parle de son frère Bertrand, ndlr) m’a aidée à faire mon passeport pour pouvoir partir en Tunisie car une de nos tantes y vivait.
Toute la famille a cotisé pour moi, mais il n’y avait pas assez d’argent pour payer un billet d’avion pour mon fils. Je suis partie seule pour Tunis en février 2020.
Je suis allée vivre chez ma tante. Au début, j’étais traumatisée, perdue, j’étais souvent malade. Moralement, j’étais très fragile.
Au bout de quelques mois, j’ai commencé à travailler dans un restaurant. Je faisais la plonge. Ça se passait bien. La Tunisie, c’est un bon pays, on respecte les droits de l’Homme là-bas. Je me sentais bien, j’avais une carte de séjour, j’étais en règle. J’ai postulé pour une formation en gestion comptabilité. Mais, un jour, mon mari m’a contactée.
Il m’avait trouvée sur Facebook. Il a écrit : ‘Je sais que tu es en Tunisie, je sais où tu es, si tu ne me rends pas l’enfant, tu vas voir ce qui t’arrivera’. J’ai supprimé le compte Facebook. Puis, Séverin a disparu.
Avec ma famille, on l’a cherché comme on a pu pendant des jours. J’ai réactivé mon compte Facebook et j’ai posté des messages avec sa photo sur les réseaux sociaux pour demander de l’aide. Un de mes abonnés m’a informée qu’un homme ressemblant à mon frère avait été déposé à la morgue à Yaoundé. J’ai immédiatement prévenu ma famille qui sont allés voir. Ils ont confirmé que c’était lui. Séverin avait le crâne ouvert (elle pleure, ndlr).
« Tout ça, c’est à cause de moi »
Samira, Bertrand, Séverin… À cause de moi, trois personnes sont parties. Tout ça, c’est à cause de moi. Je me sens si coupable. À ce moment-là, j’ai voulu me donner la mort. Au Cameroun, ma famille a dû déménager. Mon père a vendu la maison et ils ont changé de quartier.
Moi aussi, j’ai déménagé. Je suis partie de chez ma tante, j’ai pris un studio toute seule. Je vivais dans la peur, je ne sortais plus de chez moi. J’ai coupé les ponts avec la communauté africaine, je me méfiais de tout le monde. Je me disais : ‘Si mon mari sait que je suis en Tunisie, c’est que quelqu’un que je connais ici a dû lui parler.’
Puis, j’ai pensé à mon fils. Je me suis dit que je devais être forte pour lui. J’ai repris courage. J’ai rencontré de nouvelles personnes qui m’ont consolée. J’ai fait la connaissance d’un Camerounais qui avait pour projet de traverser la Méditerranée jusqu’en Italie. Il m’a proposé de venir avec lui. Je me suis dit que c’était une bonne idée.
De ma vie, jamais je n’avais imaginé traverser la Méditerranée. Au Cameroun, quand j’entendais parler des migrants qui faisaient ça, je me disais : ‘Pourquoi ces gens traversent sur l’eau ?’ Faire ça, c’est comme mettre sa vie en gage. Soit ça passe, soit ça casse. C’est comme ça. Moi, grâce à Dieu, je suis passée. Je n’avais prévenu personne de ma traversée. C’est une fois arrivée en Italie que j’ai appelé ma famille. Ils étaient très contents pour moi. Ils ont dit que maintenant, j’allais être protégée. Ça va être différent, maintenant. »