Dans un rapport rendu public le 31 octobre, trois ONG détaillent les conséquences du port du bracelet électronique sur la santé mentale des exilés, un dispositif déployé depuis juin par les autorités britanniques. Les migrants témoignent d’un sentiment de stigmatisation, les poussant à s’isoler de toute forme d’activité extérieure et relationnelle. Les professionnels de santé, de leur côté, s’inquiètent de la résurgence chez ces personnes de traumatismes passés.
« Détresse, impuissance et honte » : tels sont les sentiments qui animent les migrants porteurs de bracelets électroniques au Royaume-Uni, selon un rapport rendu public en début de semaine.
Trois ONG sont à l’origine de ce travail : BID (Bail for Immigration Detainees), spécialisée sur la détention des exilés, Medical Justice, spécialisée sur l’accompagnement médical dans les centres pour migrants, et Public Law Project, qui regroupe des avocats et chercheurs analysant les politiques publiques britanniques.
Des évaluations cliniques et des témoignages d’exilés fondent la base de ce rapport. Les migrants y décrivent une expérience « de punition, de déshumanisation, d’exclusion et d’isolement », et cela nourrit en eux des ressentis de « menace, agitation et colère », concluent les observateurs. De quoi aggraver les fragilités mentales déjà présentes chez de nombreuses personnes.
Pour rappel, en juin dernier, le ministère britannique de l’Intérieur a commencé à faire porter des bracelets électroniques dotés de GPS à certains demandeurs d’asile, afin de pouvoir les géolocaliser en attendant le traitement de leur dossier. Ces bracelets, habituellement utilisés dans le système judiciaire et milieu carcéral, enregistrent à tout moment le moindre mouvement des ceux qui les portent.
« Je ne me sens pas comme un être humain »
Le rapport détaille en particulier un sentiment de stigmatisation sociale, menant à des phénomènes « d’isolement et d’évitement des espaces et activités publics » chez les demandeurs d’asile concernés.
« Je ne peux pas sortir avec mes amis parce que je sais que j’ai cette balise. Je sais qu’à n’importe quel moment, ça pourrait se voir : alors je m’isole », raconte K.H., un migrant reçu par les cliniciens de Medical Justice. Ce dernier craint avant tout les regards et les questions d’autrui.
D’autres abandonnent leurs loisirs et leurs activités sportives habituelles. « 100% du temps, je porte un pantalon long. Avec la chaleur, c’est dur. Je ne vais pas mentir : j’adore nager. Mais je ne vais jamais nager, ni à la piscine ni à la mer », témoigne de son côté H.N.
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Les ONG reviennent sur les nombreux défauts techniques des bracelets, dénoncés depuis le début de leur déploiement. Ils entraînent des complications loin d’être anodines pour les exilés : ces derniers doivent régulièrement rentrer en urgence pour recharger leurs bracelets. Le chargeur portable qui leur est donné dysfonctionne, ou ne recharge que pour une heure ou deux, constatent les ONG.
Or, ces équipements produisent des alertes sonores lorsqu’ils sont déchargés. Dans ces moments-là, « je ne me sens pas comme un être humain », glisse L.R. « Je me sens comme une voiture ou quelque chose comme ça. Je ne peux pas fonctionner, comme une voiture sans essence. »
« Insérer des frontières dans les foyers »
De cette manière, les balises GPS affectent « tous les aspects de la vie quotidienne et de la routine des gens, y compris la capacité de faire de l’exercice, de dormir, de travailler, d’avoir des relations et de s’occuper de leurs enfants », expose le rapport.
De fait, des parents équipés du bracelet s’inquiète d’une relation dégradée avec leur enfant. « Ils trouvent difficilement les mots pour expliquer cet équipement à leurs enfants, ou tentent de le leur dissimuler », indique le rapport. Or, ce modèle de bracelet GPS n’est pas facile à cacher. « C’est gros, et avec les vêtements c’est dérangeant lorsque vous faites un mouvement », déplore H.N.
« La balise GPS (…) cherche à insérer des frontières et des contrôles d’immigration dans les foyers, les familles et les communautés à travers le Royaume-Uni », analyse Annie Viswanathan, directrice de l’ONG BID.
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Ce dispositif restreint également les possibilités de trouver un travail et de s’insérer dans la société. « Il y a quelques semaines, j’ai essayé de faire du bénévolat dans une structure, le responsable a juste regardé ma cheville et demandé : ‘Qu’est-ce que c’est ?’. Dans son esprit, il m’avait déjà rayé de la liste », témoigne A.L. Ce dernier indique avoir eu une expérience similaire alors qu’il postulait à un job salarié. « Évidemment, je suis un homme noir avec un bracelet GPS à la cheville : le stéréotype leur saute aux yeux », résume-t-il.
Raviver les traumatismes
« Des personnes ont été équipées alors que le Home Office était au courant d’une mauvaise santé mentale ou de troubles psychiatriques », regrettent les trois ONG. Or, l’équipement électronique peut raviver les traumatismes d’exilés ayant été détenus au cours de leur route migratoire ou dans leur pays d’origine, par exemple.
Quelques personnes ont également témoigné être réveillées la nuit par les vibrations de l’appareil. Cela décuple « la peur et l’anxiété » chez certaines, déjà sujettes à des troubles du sommeil en raison de syndromes de stress post-traumatiques.
Les cliniciens s’inquiètent ainsi que les bracelets « exacerbent les maladies psychologiques et entravent la guérison ». En ce, en « accroissant l’aliénation, en réduisant les contacts sociaux avec les autres et en réduisant la participation à des activités bénéfiques pour le traitement de la maladie mentale, comme le sport ».
La santé mentale n’est pas la seule affectée. Des dommages physiques sont également constatés. Les cliniciens déplorent des « restrictions de mouvement en raison de la nécessité de recharger l’appareil exacerbant la douleur et la raideur ». Mais aussi des blessures à la peau sous l’appareil, à cause des frottements et d’une circulation sanguine entravée. Les bracelets sont généralement très serrés autour de la cheville, notent les cliniciens – et impossibles à retirer temporairement.
« Je refuse de me sentir comme un prisonnier dans ma propre maison »
Le port de ces bracelets fait partie d’un projet-pilote d’une durée d’un an, pouvant être appliqué aux migrants visés par des procédures d’expulsion et, plus largement, aux demandeurs d’asile qui arrivent via la Manche ou d’autres routes.
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Ces appareils permettent de garder un œil sur leurs allées et venues, pour éviter qu’ils ne disparaissent de la circulation. Or, seulement 1,3% des migrants libérés de leur rétention se sont enfuis au cours des six premiers mois de 2022, selon les propres chiffres du Home Office. L’ONG Privacy International dénonçait déjà, cet été, une « mesure disproportionnée et draconienne compte tenu du fait qu’en 2020, seulement 1% des personnes libérées de centres de détention pour migrants ont tenté de s’enfuir ». Les chiffres n’évoluent donc pas, ou peu, ces dernières années.
« Sans justification claire de cette pratique, nous appelons le Home Office à cesser d’utiliser la géolocalisation électronique », conclut aujourd’hui Jo Hynes, chercheur au Public Law Project.
En attendant, les personnes concernées déploient toute une palette de stratégies pour contourner la stigmatisation. Certaines la combattent en assumant leur bracelet GPS. C’est le cas d’A.K : avant, celui-ci cherchait sans arrêt à le cacher. Mais désormais, « je veux mener autant que possible une vie normale. J’en ai marre de me sentir honteux ou coupable », affirme-t-il. « Si les gens me questionnent, je suis ouvert à la discussion, sans me cacher. Je refuse de me sentir comme un prisonnier dans ma propre maison. »