À l’occasion de la sortie, jeudi, du recueil de nouvelles inédites « SOS Méditerranée, Les écrivains s’engagent », RFI s’est entretenu avec l’écrivain Jean-Marie Laclavetine, coordinateur du projet.
Marie Ndiaye, Wifried N’Sondé, Leila Slimani ou encore Marie Darrieusecq… Dix-sept auteurs publient ce jeudi, aux éditions Folio, le recueil de nouvelles inédites « SOS Méditerranée, Les écrivains s’engagent ». Un livre caritatif dans lequel chacun, avec ses mots, s’exprime sur ces traversées dans des embarcations de fortune souvent meurtrières. Entretien avec Jean-Marie Laclavetine, auteur plusieurs fois récompensé du Prix Goncourt des lycéens et éditeur chez Gallimard.
RFI : Vous et les 17 auteurs de cet ouvrage avez décidé de vous engager en faveur de l’ONG SOS Méditerranée, une organisation qui intervient quotidiennement pour venir en aide aux personnes qui tentent la traversée de la mer Méditerranée. Pourquoi ?
Jean-Marie Laclavetine : « L’idée, c’était de faire connaître davantage l’action de SOS Méditerranée et de le faire par le biais de l’écriture de textes par des écrivains reconnus qui se sont déjà engagés publiquement sur cette question de la migration, car c’est un sujet qui me paraît crucial, essentiel pour nos démocraties. Il interroge : ‘Jusqu’où est-on prêt à défendre nos valeurs démocratiques ?’.
Actuellement, la Méditerranée est en train de devenir un cimetière. Nous acceptons cela, nous, pays européens, notamment en bafouant quotidiennement les règles immémoriales du droit maritime. Quand une personne est en danger en mer, on a le devoir de la sauver et de la ramener dans un lieu sûr. C’est écrit dans toutes les conventions internationales et nous ne les respectons pas. Nous laissons mourir des gens pour éviter qu’ils entrent chez nous.
Il faut vraiment soutenir cette association, SOS Méditerranée, parce qu’elle sauve non seulement des migrants, mais elle sauve notre honneur aussi.
Dans l’ouvrage, on peut notamment lire que ces récits, « nous invitent à changer de regard sur le monde ». Dans quel sens ?
Il faut que nous acceptions de voir que la planète est en train de changer. Que les gens circulent, c’est un droit. La planète est à tout le monde et nous, nous nous considérons comme propriétaires de notre petit territoire. Mais en réalité, il va bien falloir s’adapter aux changements énormes qui sont en train de se produire, notamment à cause des changements climatiques. Les gens ne pourront pas rester chez eux dans certains pays et il faut accepter ces mouvements et tenter de les gérer de façon humaine.
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Pensez-vous qu’il soit important d’écrire sur ce sujet ? Qu’est-ce que la littérature peut apporter à ce débat ?
Il ne s’agit pas d’écrire des textes militants. D’ailleurs, il n’y a pas de texte théorique dans ce recueil. Il y a des témoignages, comme Leïla Slimani qui a rencontré un réfugié. D’autres ont rencontré des sauveteurs de SOS Méditerranée et racontent leur action. D’autres encore ont écrit des fictions, simplement parce que c’est ce que les écrivains savent faire, raconter des histoires. Et les histoires ne connaissent pas les frontières, elles circulent. Et c’est ce que peut faire la littérature : offrir à tout le monde un territoire libéré des pressions égocentriques et libéré des frontières.
Il y a dans ce recueil des textes vraiment magnifiques. Celui de Marie Ndiaye, par exemple, est tout à fait extraordinaire. Il ne raconte pas une histoire militante ; elle parle simplement d’elle, de son père, et c’est d’une grande beauté. Et cette beauté-là, les écrivains peuvent la faire partager à tous.
La publication de cet ouvrage arrive au moment où Gérald Darmanin, le Premier ministre français, promet « le texte le plus ferme sur l’immigration présenté par un gouvernement ». Le récent gouvernement au Royaume-Uni entend, lui, renforcer sa politique migratoire. Et une dirigeante d’extrême droite, anti-immigration, est arrivée au pouvoir en Italie. Quel regard portez-vous sur cette direction que prend l’Europe ?
Un regard très inquiet parce qu’on voit bien que les populismes et les régimes proches de l’extrême droite sont en train de s’installer un peu partout pour mener une politique inhumaine. Par exemple, la façon dont nous utilisons les pays périphériques pour gérer notre problème est vraiment honteux. Quand on sait ce qu’il se passe en Libye, où les migrants sont soumis à des conditions de vie atroces, de l’esclavage, où le viol et la torture sont quotidiens. Nous utilisons ce pays, la Libye parmi d’autres, pour contenir cette vague migratoire qui nous fait peur de façon très irrationnelle. Il y a un cynisme absolu des pouvoirs politiques sur cette question.
Je trouve la politique migratoire européenne actuelle, à la fois frileuse et même lâche, voire criminelle. Parce que ce sont des milliers de gens qui meurent en Méditerranée et nous le savons. Autrefois, il y avait un mur qui était le mur de Berlin et qui représentait la honte absolue. Or, ce mur, il a vu mourir moins de 100 personnes qui ont tenté de le franchir. En Méditerranée, ce sont des milliers de gens qui meurent [selon l’OIM, depuis 2014, plus de 25 000 personnes sont mortes ou ont disparu en Méditerranée, NDLR]. Des femmes, des enfants… Des gens qui n’ont commis aucun crime, qui ont simplement l’espoir d’avoir une vie meilleure et qui fuient la misère. Et cette politique de la forteresse européenne, les générations futures la condamneront et la jugeront très, très sévèrement, comme elle le mérite. »
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