Entre 300 et 400 migrants, majoritairement afghans, vivent dans un camp, sous un métro aérien, entre les stations La Chapelle et Stalingrad, dans le 18e arrondissement de Paris. Dans l’attente de pouvoir déposer leur demande d’asile, ils n’ont d’autres choix que de dormir là, par des températures parfois négatives. lls y bravent le froid autour de feux de camp faits à partir d’objets trouvés dans la rue.
Quand il est arrivé Gare du Nord, à Paris, début décembre, Islamuddin* a demandé autour de lui où il pouvait trouver refuge. Il a expliqué rapidement sa situation : Afghan, migrant, pas encore officiellement demandeur d’asile. « On m’a dit d’aller vers le métro La Chapelle, c’était la seule option », explique, mercredi 14 décembre, cet homme de 28 ans qui en fait 20 de plus. Il s’est retrouvé sur un terre-plein en bord de boulevard parisien, où une marée de tentes côtoie des constructions approximatives faites de planches de bois et de toile, le genre de cabanes que l’on voit dans des bidonvilles.
Ces deux semaines dans la rue ont eu un impact sur l’hygiène d’Islamuddin. Les sécrétions que produisent ses yeux durant ses rares heures de sommeil s’accumulent et ses cheveux lui collent au front. « Je travaillais dans le bâtiment en Afghanistan », raconte-t-il, une miche de pain calée sous son bras. « J’ai une femme et des enfants. En Afghanistan, depuis l’arrivée des Taliban, le travail est devenu compliqué et mon frère a reçu des menaces car il faisait partie de l’armée afghane. Lui, il a fui en Iran. Moi, j’ai opté pour la France car j’ai un proche qui vit ici. » Mais Islamuddin est dubliné en Autriche : son dossier dépend de ce pays. Pour pouvoir déposer une demande d’asile en France, il va devoir attendre 18 mois, durée durant laquelle il n’aura pas d’autres options que de rester à la rue.
Entre 300 et 400 migrants sont actuellement dans la même situation qu’Islamuddin, dans ce camp qui a surgi ces dernières semaines entre les stations de métro La Chapelle et Stalingrad, dans le 18e arrondissement. Malgré les démantèlements, dont le dernier en date, le 17 novembre, ce camp se reforme inlassablement. Les hommes qui y vivent sont des primo-arrivants à qui, comme Islamuddin, on a fait savoir que « La Chapelle » était une étape obligée à leur arrivée à Paris.
« J’ai passé la nuit à trembler »
Le 18e arrondissement de Paris, où avait été installée jusqu’en 2018 « la bulle », structure d’accueil de migrants financée par la mairie, est connu comme étant un point de chute pour les exilés. Pourtant, rien ne semble plus justifier le fait que cet emplacement soit privilégié plutôt qu’un autre par les migrants sans-abri, si ce n’est l’habitude et la certitude, pour les Afghans du moins, de trouver là des membres de leur communauté.
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« Le fait qu’il n’y ait pas de système de premier accueil oblige ceux qui demandent l’asile à passer par la rue », déplore Clara Agnello, coordinatrice d’Utopia 56 à Paris, parlant d’une « situation inhumaine » et « insoutenable ». « On a l’impression qu’on leur demande d’accepter tout ça sans rien dire. Et, de notre côté, on manque de matériel, comme de tentes et de couvertures, car le camp grossit. »
Nombreux sont d’ailleurs ceux qui dorment à même des cartons, faute de tente, par des températures négatives. Durant sa première nuit passée boulevard de La Chapelle, entre mardi et mercredi, Abdul Wahed Sediqi, 33 ans, a pu voir la neige tomber. Il n’avait ni tente ni couverture pour se protéger, juste son anorak jaune qui ne le quitte pas. « Je n’ai rien, j’ai passé la nuit à trembler », dit-il. Le sentiment d’injustice n’a pas tardé à s’installer. « En France, nous, les Afghans, les Africains, les Arabes, on ne nous considère pas comme des êtres humains. On dort dehors alors que les Ukrainiens ont des appartements et dorment au chaud. »
Abdul Wahed Sediqi avait précédemment voulu refaire sa vie en Allemagne, mais, dubliné en Bulgarie, il y risquait l’expulsion. « En Allemagne, je n’ai jamais été à la rue, on était dans des centres. »
« Tous les migrants sont devenus fous »
Atioula Tarakhil, un autre Afghan, âgé de 34 ans, dort lui aussi à l’air libre, depuis le mois de novembre. Il dit craindre la promiscuité à l’intérieur des tentes où il pourrait côtoyer des gens contaminés. « Je ne sais pas si une personne est malade ou non », dit-il, sans préciser la maladie qui le préoccupe. À côté de lui, plusieurs hommes portent des masques anti-Covid. Dans le camp, la gale est courante et certains se grattent frénétiquement cuisses et bras pour se soulager des démangeaisons qu’elle provoque. Atioula Tarakhil l’a lui aussi attrapée.
Sous sa seule couverture, en proie au froid et à même le sol, il est une cible facile des microbes. Il est aussi, dit-il, à la merci des voleurs. La journée, il range sa couverture dans une tente. Son sac à dos, en revanche, il ne s’en sépare jamais. « Je le porte toujours, même pendant les prières ». À l’intérieur du précieux bien : un sachet hermétique contenant une brosse à dents et un tube de dentifrice, plusieurs pommes ainsi qu’un jean propre.
« Tous les migrants sont devenus fous », lance-t-il. Il semble blâmer le manque de sommeil pour cela : « Je ne dors même pas trois heures la nuit. »
D’autres ne tentent même pas de trouver le sommeil, obsédés par l’idée de se réchauffer. Les feux de camp jonchent ça et là le campement, créant des attroupements. « Un habitant du quartier nous donne du bois », précise Abdullah Hakim, penché au-dessus des flammes. « Il y a quelques nuits, il nous a apporté du charbon. » Le reste du temps, tout y passe : des cagettes, des planches, des morceaux de cartons et de papiers, et toutes sortes de déchets glânés dans la rue. Le but : que le fleu reste constamment alimenté. Dans cette odeur de brûlé, le camp de La Chapelle rappelle les « jungles » de Calais. Les flammes sont toutefois régulièrement éteintes par la police. « Ils viennent, avec leurs extincteurs, ils ne disent rien, ils éteignent », dit Hemat Khan, 37 ans, les yeux rouges de fatigue.
« C’est à cause de la proximité du métro, commente Clara Agnello. La police dit avoir peur d’un incendie. »
La veille, plusieurs migrants, révoltés de leur situation, ont bloqué le boulevard de la Chapelle à l’aide notamment de poubelles, pour alerter l’opinion publique sur leur sort, avant d’être dispersés par la police. Vestige de cette action, un matelas tagué de la phrase « We need help » (« On a besoin d’aide ») est positionné face à la route, dans l’espoir que les passants le voient.
C’est peut-être ça qui a attiré le regard d’Ajab Khan, un réfugié afghan bien installé dans sa vie parisienne depuis une décennie. Il passe régulièrement à proximité du camp au volant de sa voiture, mais, ce jour-là, il a décidé de se garer. « J’avais envie de venir les voir », justifie-t-il, triste de constater que certaines choses ne changent pas. « Je sais ce qu’ils vivent. Je suis arrivé en 2010 à Paris et j’ai passé 18 mois à la rue. À l’époque, c’était à Gare de l’Est. Maintenant c’est ici. »
*Son nom de famille n’a pas été communiqué.
Infos pratiques :
Aux alentours de ce camp, situé au niveau du 16-18 boulevard La Chapelle, à Paris, des distributions de nourritures sont organisées.
-À partir de 20h, plusieurs associations, dont Solidarité migrants Wilson, font des distributions de thé et de repas chauds sur le campement.
-Vers 16h30, du lundi au samedi, des repas chauds sont servis par l’association La Chorba pour tous au 135 boulevard de la Villette, 75010 Paris, à la sortie du métro Jaurès.
-Des petits-déjeuners solidaires sont distribués tous les matins entre 8h et 10h environ au Jardin d’Eole, situé 56 rue d’Aubervilliers, 75018 Paris.
Avec Infomigrants