Lundi, les juges de la Haute Cour de Londres ont estimé que le plan de relocalisation de demandeurs d’asile vers le Rwanda, défendu par le gouvernement conservateur malgré les controverses, était bel et bien légal. Ce jugement ouvre la voie à une application concrète des expulsions. Mais la bataille judiciaire promet de durer encore.
C’est un verdict de la première importance pour le gouvernement conservateur du Royaume-Uni. Lundi 19 décembre, les deux juges de la Haute Cour de Londres ont déclaré que le plan de relocalisation des demandeurs d’asile vers le Rwanda, fer de lance de la politique actuellement menée par le ministère de l’Intérieur britannique, était bel et bien conforme à la loi.
« Le tribunal a conclu qu’il est légal pour le gouvernement de prendre des dispositions pour relocaliser les demandeurs d’asile au Rwanda et pour que leurs demandes d’asile soient examinées au Rwanda plutôt qu’au Royaume-Uni », a déclaré le juge Clive Lewis à la presse britannique.
L’audience aura duré cinq jours. Désormais, les exilés arrivés sur le territoire britannique de manière irrégulière pourraient être envoyés vers cette nation d’Afrique de l’Est. C’est là, à plus de 6000 kilomètres de Londres, que leurs demandes d’asile seraient étudiées.
« Il s’agit d’une étape positive dans notre quête pour apporter des solutions innovantes et de long terme à la crise migratoire mondiale » a réagi la porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo.
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Le gouvernement britannique avait déjà tenté d’expulser vers le Rwanda des demandeurs d’asile au printemps, dans la foulée de l’accord signé en avril. Mais la Cour européenne des droits de l’homme avait empêché in extremis le décollage du premier vol à destination de Kigali, le 14 juin, estimant que la justice britannique devait en examiner la légalité dans le détail.
La ministre de l’Intérieur de l’époque, Suella Braverman, avait alors appelé à « reprendre le contrôle » face à ce qu’elle estimait être « un tribunal étranger qui met en danger notre souveraineté ». Lors du congrès du Parti conservateur en octobre, elle avait affirmé que « voir un avion rempli de demandeurs d’asile en partance pour le Rwanda » était son « rêve ».
Situations individuelles à examiner
Cette décision judiciaire lui est donc très favorable. Cependant, les juges de la Haute Cour ont tout de même ordonné aux autorités d’étudier la situation particulière de chaque demandeur d’asile avant de l’envoyer au Rwanda.
Et ce, afin de vérifier qu’il n’y a pas de « circonstances particulières » qui feraient que « sa demande d’asile doit être examinée au Royaume-Uni », ni « d’autres raisons pour lesquelles il ne devrait pas être relocalisé au Rwanda ».
S’agissant par exemple de la précédente tentative du gouvernement de faire décoller un avion vers Kigali, « le ministre de l’Intérieur n’a pas correctement examiné la situation des huit demandeurs individuels dont nous avons examiné les cas », a déclaré l’un des juges. Leurs dossiers seront rééxaminés par le système d’asile britannique.
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Cette nuance dans la décision des juges de la Haute Cour ouvre de nouveaux leviers pour des recours juridiques, du côté des ONG.
Une bataille judiciaire qui va se poursuivre
Les juges ont d’ores et déjà demandé aux parties prenantes de revenir le 16 janvier, pour poursuivre certaines auditions et déterminer d’éventuelles procédures d’appel. « Il est quasiment certain que les parties perdantes, à savoir les ONG et les associations caritatives, souhaiteront faire appel », a souligné le reporter de la BBC en charge de ce dossier.
« Traiter les personnes en quête de sécurité comme une cargaison humaine et les expédier vers un autre pays est une politique cruelle qui causera de grandes souffrances humaines « , a réagi Ever Solomon, responsable de l’organisation caritative Refugee Council, auprès d’Al Jazeera. Fortes de ce constat, les ONG comptent aller le plus loin possible dans la bataille judiciaire.
Si des recours sont lancés, il faudra attendre plusieurs mois avant le jugement définitif de la Cour d’appel. Ensuite, si cette affaire se poursuit jusqu’au bout, elle passera devant la Cour Suprême. Auquel cas ce bras-de-fer judiciaire sera encore rallongé de plusieurs mois. Il est également possible que des ONG saisissent, une nouvelle fois, la Cour européenne des droits de l’Homme basée à Strasbourg.
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D’ici là, la décision tombée ce lundi pourrait conforter d’autres pays européens d’avancer dans la même direction. Depuis plusieurs mois déjà, le Danemark et le Rwanda ont posé les premières pierres d’un futur accord sur le transfert de demandeurs d’asile. Les deux pays ont signé, début septembre, une déclaration de coopération bilatérale dans laquelle ils disent « envisager l’établissement d’un programme par lequel les demandeurs d’asile arrivant au Danemark pourraient être transférés au Rwanda pour l’étude de leur dossier d’asile », avait indiqué le ministère danois des Affaires étrangères.
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