À Chypre depuis trois mois seulement, Chazel, un demandeur d’asile congolais de 24 ans, attend avec angoisse son expulsion du pays, depuis un centre de détention de Nicosie où il est enfermé. Les autorités l’accusent d’avoir pris part aux heurts qui ont éclaté dans le camp de Pournara en octobre. Témoignage.
Chazel*, un demandeur d’asile congolais de 24 ans, a contacté InfoMigrants pour alerter sur sa situation. Depuis le 13 décembre, il est enfermé dans un centre de détention dans la ville de Nicosie, à Chypre. Il est accusé, aux côtés de 23 autres migrants, d’avoir provoqué, le 28 octobre, des débordements dans le centre d’enregistrement de Pournara. Dans ce lieu, vivaient alors 2 000 migrants pour une capacité maximale de 800 places. Ce jour-là, des heurts opposant différentes communautés ont éclaté. Ces violences avaient provoqué un incendie qui a ravagé une partie du camp.
Le jeune homme, arrivé fin septembre à Chypre, explique figurer sur une liste de dizaines de personnes identifiées comme responsables par les autorités, « sans qu’une enquête ait été menée ». Tous risquent l’expulsion.
Voici son témoignage.
« Depuis une semaine, je dors dans une cellule, les toilettes se trouvent à un mètre de mon lit. La nuit, entre 22h et 8h, on me confisque mon téléphone. Je n’ai pas d’avocat et je vais être renvoyé au Congo [République démocratique du Congo, ndlr].
J’ai été arrêté par la police dans le centre de Pournara. Je vivais là depuis le 29 septembre, dans des conditions déplorables. Le jour de mon arrestation, le 13 décembre, un groupe de migrants et moi avons été appelés : on a été reçus par des militaires et des policiers armés.
Ils nous ont annoncé que nos demandes d’asile étaient rejetées, sans nous en expliquer les raisons. Puis on nous a dit qu’on était accusés d’avoir créé du désordre au centre de Pournara. Soi disant, nos visages sont apparus sur les caméras de surveillance. Nos noms figurent sur une liste de 70 personnes accusées de violences. Il n’y a pas d’enquête pour prouver notre culpabilité.
Le 28 octobre dernier, des heurts ont éclaté lorsque deux groupes d’exilés de nationalités différentes se sont jetés des pierres et d’autres objets à l’intérieur du camp. Selon la presse locale, ces affrontements ont opposé des Congolais et des Nigérians, les deux principaux contingents de demandeurs d’asile sur l’île méditerranéenne. Plusieurs tentes ont été brûlées dans le sillage de ces affrontements.
Maintenant, je suis enfermé dans un centre de détention à Nicosie. On est 24 en tout, dont 12 Congolais. Il y a aussi des Nigérians, des Camerounais et un Syrien. On demande des avocats, on appelle des ONG, mais la seule personne qui vient ici pour nous parler, c’est un agent de l’immigration. Tous les jours, il nous pousse à signer un accord de retour volontaire. Il nous dit : ‘Soit vous signez, soit on va vous expulser de force’. Il a aussi dit : ‘Ce pays [Chypre, ndlr] est tout petit, alors que les vôtres sont grands.’ Mais, nous, on est venus ici pour demander de l’aide, on se sent menacés chez nous. Et voilà qu’ils nous chassent.
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Beaucoup d’entre nous ont déjà cédé et ils ont fini par signer l’accord de retour volontaire. Plusieurs ont déjà été renvoyés dans leur pays.
« Je ne veux pas rentrer dans mon pays avec des menottes »
Il y a quelques jours, j’ai à mon tour signé ce document de retour volontaire sous la contrainte. Maintenant, j’attends. Le monsieur m’a dit que la procédure allait commencer, et que, dans un premier temps, j’allais être transféré dans un camp de Chypre depuis lequel je vais préparer mon retour. J’ai peur. J’ai signé car, dans tous les cas, j’aurais été expulsé apparemment. J’ai préféré le ‘retour volontaire’ à l’expulsion. Je ne veux pas rentrer dans mon pays avec des menottes, car ça risquerait d’attirer l’attention sur moi. Je préfère rentrer discrètement et me cacher.
Je viens de la province de Mai-Ndombe, en République démocratique du Congo. Je suis parti car un conflit ethnique oppose la famille de mon père à celle de ma mère.
Le Mai-Ndombe est secoué par des violences communautaires qui opposent les ethnies Teke et Yaka. Le 9 décembre, l’ONU indiquait que ces violences avaient entraîné le déplacement de plus de 50 000 personnes, principalement des femmes et des enfants. Certaines personnes, comme la sœur de Chazel, ont traversé le fleuve Congo pour se mettre en sécurité au Congo-Brazzaville.
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Ma sœur est cachée au Congo Brazzaville. Ma mère aussi, mais elle ne nous dit pas où. Tous les membres de ma famille ont fui. Depuis, on a du mal à communiquer entre nous.
Moi, je suis allé à Chypre car mon passeur m’a dit que c’était un accès facile et sécurisé pour l’Europe [Comme beaucoup de migrants, Chazel a rejoint Chypre par avion en passant par la Turquie, ndlr]. Mais on vit mal ici, très mal. Et maintenant ils vont m’expulser. Dans quelle situation je vais me retrouver au Congo ? Je ne dors pas bien la nuit. »
*L’intéressé a souhaité utiliser un nom d’emprunt pour préserver son anonymat.
Avec Infomigrants