Jariatu Kargbo plonge une cuiller en bois longue comme le bras dans une grande gamelle de riz devant laquelle ses clients attendent d’être servis dans une rue animée de Freetown.
Cette veuve de 38 ans tient une des cantines de rue qui offrent à de nombreux Sierra-Léonais l’option la moins chère pour ce qui est souvent leur seul repas de la journée.
Ces popotes partout présentes et localement appelées « cookeries » sont une institution. Elles aussi subissent l’inflation qui pèse sur toute la Sierra Leone.
« Le prix des principales denrées, le riz, l’huile de cuisson, les oignons, le sucre et la farine, a quadruplé », se lamente Jariatu Kargbo dans les vapeurs de haricots bouillis.
Le consommateur se remplit l’estomac ici pour une fraction de ce qu’il débourserait dans un restaurant.
Les gens qui tiennent ces stands, « principalement des femmes, forment comme l’épine dorsale de la ville, ils la font manger, parce que beaucoup de monde n’a pas ce qu’il faut pour cuisiner à la maison », dit le chercheur Jamie Hitchen.
Mais la matière première, acheminée de province ou de l’étranger dans la métropole surpeuplée, revient de plus en plus cher.
En novembre, dernière statistique disponible, les prix avaient augmenté de 35% sur un an.
– Ordinaire de semaine –
« En 2021, on payait le bol de riz 1.500 leones (0,08 dollar). Maintenant, il est à 3.500 leones », maugrée Jariatu Kargbo, qui a ouvert sa petite affaire pour nourrir ses six enfants après la mort de son mari de la fièvre Ebola en 2014.
Comme beaucoup, elle énonce les prix suivant l’ancienne dénomination du leone, que le gouvernement a divisée par mille en juillet.
Malgré un sous-sol regorgeant de diamants, la Sierra Leone est un des pays les moins développés du monde. Elle est très vulnérable aux chocs extérieurs.
L’ancienne colonie britannique et ses 7,5 millions d’habitants se remettaient de la guerre civile de 1991 à 2002 et de l’épidémie d’Ebola de 2014-2016 quand ils ont été frappés par la pandémie de Covid-19 puis par les conséquences de la guerre en Ukraine.
La cherté de la vie a contribué en août à des affrontements qui ont fait officiellement 31 morts dans différentes villes et la capitale, y compris dans le quartier de Shell Old Road Junction où vit Jariatu Kargbo.
La cantine de Jariatu Kargbo sustente surtout les conducteurs de taxi-moto, les marchands ambulants et un certain nombre d’employés de bureau à coups de portions de riz agrémentées de plus ou moins de poisson ou de poulet selon la somme.
« Ma famille et moi, on dépend de la cookery pour manger le soir en semaine. Il n’y a que le week-end qu’on fait la cuisine à la maison, à cause des prix », dit Francis Koroma, un enseignant venu remplir deux bols pour les cinq membres de la famille.
Jariatu Kargbo a dû, comme les autres, augmenter ses tarifs. Un plat de riz à la feuille de pomme de terre revenait chez elle à 5.000 leones en 2021 et à 8.000 leones (0,43 dollar) aujourd’hui.
Dans le quartier plus aisé de Hill Cot Road area, Fatmata Bangura, 48 ans, assise sur un banc de bois, débite une queue de vache, ou « cow kanda », tandis que sa fille Isata et les quatre employées de la cookery font revenir au feu de bois et de charbon les oignons, la banane plantain, le chou et les haricots dans de grands récipients en métal.
– L’essence aussi –
Elles sont debout depuis 03H30, heure à laquelle Fatmata Bangura, 32 ans, va s’approvisionner au marché.
Avant 06H00, elle commence à cuisiner les feuilles de manioc, les haricots et le ragoût « tola » pour le petit-déjeuner et le plat du déjeuner, communément du « crain crain », à base de gombo.
Sans péricliter, les affaires ont pris un coup.
« Le riz, avant, on l’achetait 280.000, maintenant, il est à 550.000 », constate Isata Bangura.
Piochant dans une assiette de ragoût devant le stand où il mange au moins une fois par jour, Hassan Mohamed Vamboi, conducteur de taxi-moto de 29 ans, donne un aperçu des raisons pour lesquelles les patrons de cookery ne peuvent répercuter l’intégralité des hausses sur leurs clients.
Il doit lui-même composer avec l’augmentation du prix de l’essence. Il travaille non plus 12, mais 16 heures par jour.
Il a déménagé sa femme et leurs deux enfants dans son village parce que ses « moyens ne (lui) permettent pas de les garder » à Freetown.
« C’est très difficile en ce moment dans le pays », dit-il.
Pour le moment, il continue de manger chez Isata Bangura et elle de cuisiner pour les clients comme lui.
« Si les gens viennent manger chez moi et disent: +vous faites bien la cuisine+, ça me motive », dit-elle.