Chaque année, des milliers de mineurs non accompagnés atteignent l’Espagne via les enclaves de Ceuta et Melilla, ou après avoir traversé la mer. Si pour certains le pays n’est qu’une étape de leur parcours d’exil, pour ceux qui souhaitent s’y installer, reste à se familiariser avec une procédure d’accueil « complexe ». InfoMigrants vous aide à y voir plus clair.
Proche du continent africain, l’Espagne est parmi les pays européens qui accueille le plus de mineurs non accompagnés (MNA). Chaque année, des milliers d’entre eux gagnent son territoire via les enclaves de Ceuta et Melilla – seules frontières terrestres de l’Union européenne avec le continent africain – ou les îles Canaries et l’Andalousie, après de périlleuses traversées en mer.
Si pour beaucoup, l’Espagne reste un pays de transit de leur parcours d’exil, en 2020, 10 000 jeunes ont été pris en charge dans les centres d’accueil du pays. D’après les données du gouvernement, la plupart de ces mineurs sont originaires du Maroc (42,1%), du Mali, d’Algérie, du Sénégal, de Guinée et de la Gambie.
À leur arrivée, ces jeunes exilés doivent faire face à « une procédure complexe », reconnaît la représentante du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) en Espagne, Sophie Muller, dans un article de Europa Press. « Plusieurs couches administratives » rendent difficiles l’accès à une information précise pour ces mineurs, qui pourtant « portent déjà sur leur dos une charge [mentale] conséquente », déplore dans le même média Isabel Lázaro, chercheuse à l’Université pontificale de Comillas.
En octobre 2021, la réglementation dédiée à leur accueil a été réformée. Si vous êtes arrivé seul dans le pays et que vous avez moins de 18 ans, voici ce que vous devez faire pour être pris en charge.
Première étape : examen des documents d’identité
Si vous êtes en possession de votre passeport ou d’un document de voyage authentique, les autorités espagnoles vous signaleront directement aux agents de la protection des mineurs. Attention, les photocopies ne sont pas acceptées.
Dans le cas où vous arrivez sans papiers, ou que l’administration espagnole émet de sérieux doutes quant à votre minorité, une évaluation médicale est engagée afin de déterminer votre âge. Ces tests sont réalisés par des médecins spécialistes travaillant dans les services de santé publique de chaque région, appelées aussi « communautés autonomes ». Le premier consiste en « un examen général, un entretien et un examen morphologique afin de recueillir des données d’identification, d’état de santé, des pathologies et le degré de maturation sexuelle externe (poils faciaux, axillaires, pubiens et organes génitaux externes) », précise le Sénat français dans une étude comparée des pratiques de plusieurs pays européens.
Le second test est identique à celui réalisé en France : communément appelé « test osseux », il consiste à faire une radio de l’os carpien gauche, situé dans la main et le poignet. Un examen dentaire ainsi qu’une radio de la clavicule seront aussi effectués.
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S’il juge les preuves de minorité insuffisantes, le parquet espagnol peut ordonner des examens complémentaires. Dans le cas contraire, le procureur établit un arrêté qui mentionne votre âge officiel, et vous inscrit au registre national des mineurs étrangers non accompagnés.
D’après Marina Perez Ortega, chercheuse en droit international, la reconnaissance de minorité peut dans les faits prendre « plusieurs mois », voire « un an », assure-t-elle à InfoMigrants. De nombreux jeunes atteignent même la majorité sans jamais avoir été reconnu mineur ».
Deuxième étape : la prise en charge
Une fois votre minorité reconnue, que vous demandiez l’asile ou non, vous bénéficiez d’une autorisation administrative de séjour, et êtes conduit à l’un des services de protection des mineurs dépendant des gouvernements de chaque région.
Votre demande de titre de séjour doit ensuite être déposée par le responsable de votre centre d’hébergement auprès de l’Office des étrangers. La nouvelle loi fixe à trois mois le délai maximum de traitement de votre demande (contre neuf auparavant). Si « ces trois mois sont dépassés, les services de l’immigration remettent un titre de séjour à ces personnes », précise le ministère des Migrations.
Depuis octobre 2021, ce titre de séjour est valable deux ans.
Par ailleurs, sachez que vous n’avez plus à présenter un certificat notarié au consulat de votre pays pour votre identification. Un simple rapport des services de protection de l’enfance est désormais nécessaire.
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Les centres de protection régionaux se chargent de l’accueil d’urgence ou de l’accueil pérenne, et hébergent des mineurs étrangers comme espagnols. L’Andalousie possède par exemple davantage de centres d’hébergement d’urgence, où sont pris en charges uniquement les jeunes étrangers. À Madrid, en revanche, il est possible que vous soyez hébergé dans un centre d’accueil pérenne, aux côtés de mineurs espagnols.
« Des situations de surpeuplement de certains centres ont pu être observées par des ONG et le Défenseur du peuple – en particulier dans les trois centres des villes autonomes de Ceuta et Melilla », écrivait, fin 2021, le Sénat dans une étude. Ce qui peut expliquer les nombreux cas de disparition ou de fugue des centres de protection espagnols : en 2017, 1 293 mineurs étrangers non accompagnés étaient recensés comme étant ‘en fugue’ par le procureur général de l’État ». Selon le Défenseur du peuple, « des milliers de mineurs étrangers non accompagnés abandonnent chaque année le système de protection, sans que les causes de cet abandon soient établies ou que l’on sache ce qu’ils deviennent ».
Vos droits
Être reconnu mineur vous donne accès à l’éducation de base, gratuite, ainsi qu’aux études supérieures. Vous pouvez aussi bénéficier du système public de bourses et d’aides dans les mêmes conditions que les Espagnols. La scolarisation se fait en règle générale dans les écoles du système public et il n’existe pas de programme éducatif spécifique aux MNA au niveau national.
Certains centres de protection des mineurs disposent de classes spécifiques pour les mineurs étrangers, adaptées à leur niveau linguistique.
Tous les mineurs étrangers bénéficient également d’un accès intégral au système de santé national. Des accords avec des centres de santé vous permettent d’obtenir une carte d’assurance maladie, « tarjeta sanitaria », qui couvrira vos frais médicaux.
Enfin, depuis la réforme, vous pouvez travailler si vous avez plus de 16 ans, à condition que l’emploi soit conforme à « l’itinéraire d’insertion » prévu par les communautés autonomes. Pour cela, il faut vous renseigner auprès de votre centre.
Un an après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le taux de jeunes migrants ayant un emploi est passé de 28 à 51%, selon le ministère des Migrations. Les secteurs les plus prisés sont ceux de l’agriculture et de l’hôtellerie.
Le passage à la majorité
Divers programmes de transition vers l’âge adulte sont financés par les communautés autonomes. En Andalousie, le « programme +18 » a vocation à accompagner les jeunes sous tutelle de la protection de l’enfance avant leur majorité et jusqu’à leur vingtième année si nécessaire, grâce à des actions de formation professionnelle, d’insertion ou d’accès au logement. En « haute intensité », le programme met par exemple à disposition de jeunes des appartements en colocation.
Mais « la disponibilité de ces programmes sur le terrain est cependant inégale, compte tenu de l’afflux de mineurs isolés », indique le Sénat. Il faut savoir que certains centres ne disposent pas de ce type d’initiative et « n’ont aucun mécanisme de suivi des adolescents dont ils sont responsables une fois qu’ils atteignent la majorité ».
D’après Marina Perez Ortega, pour beaucoup de mineurs isolés, ce passage à la majorité est compliqué. « À l’expiration de leur titre de séjour, les jeunes exilés doivent quitter le centre d’hébergement. Alors que certains n’ont pas eu le temps de trouver un travail, nécessaire à l’obtention d’un logement et du futur permis de résidence. De manière générale, il y a un grand manque de préparation de la part des institutions. »
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À vos 18 ans, si votre titre de séjour obtenu quand vous étiez mineur court encore, vous pouvez le conserver. Exemple : si vous avez obtenu votre titre à 17 ans, celui-ci étant valable deux ans, il reste valable jusqu’à vos 19 ans.
Pour le renouveler, en revanche, vous devrez justifier du salaire minimum, s’élevant à 490 euros, aides sociales comprises. Des « rapports sur l’effort d’intégration, la continuité des études ou de la formation » seront également pris en compte, indique le ministère des Migrations.
Si vous avez obtenu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, vous conservez ce statut à votre majorité.
Une fois reconnu comme résident étranger, vous pouvez bénéficier des prestations sociales de base, dans les mêmes conditions que les Espagnols.