Les rêves de ballon rond et d’évolution dans les plus grands stades d’Europe sont dans les têtes de millions de jeunes à travers le monde, et certains sont déterminés coûte que coûte à atteindre cet objectif pour avoir une meilleure vie. À seulement 19 ans, Moustapha Cissé n’a qu’une chose en tête : le football et les buts. Après un parcours migratoire difficile qui l’a mené de sa Guinée natale aux terrains de jeu en Italie, le très jeune footballeur vit pleinement sa nouvelle vie, tout en gardant en tête qu’il est un exemple pour bon nombre de jeunes qui ont traversé les mêmes épreuves que lui. Portrait.
20 Mars 2022. Stade Dall’Ara de Bologne. Alors que le club local et l’Atalanta Bergame se tiennent en échec avec toujours aucun but au compteur, l’entraîneur des visiteurs Giampiero Gasperini se dirige vers son banc et demande à son jeune poulain, Moustapha Cissé, d’entrer alors qu’il ne reste que 18 minutes de jeu.
Le jeune Guinéen, numéro 99 floqué sur son maillot, a le regard fermé, concentré, pour son baptême de feu chez les professionnels. Sept minutes plus tard, sur un ballon venu de la droite, il claque une puissante frappe du pied gauche qui passe sous le bras du gardien adverse. Le banc exulte. Au coup de sifflet final, Cissé est porté en triomphe après avoir donné les trois points de la victoire aux siens.
Avant ces sourires, ces célébrations et l’attention médiatique, Moustapha Cissé a traversé bien des vents contraires, et a su, à force d’abnégation et de travail, réaliser son rêve d’enfant.
Né à Conakry en 2003, Moustapha Cissé grandit avec son père et l’un de ses frères, après la séparation de ses parents peu de temps après sa naissance. Dans le quartier de Matam, son quotidien se résume à l’école, à la vente de petits objets dans la rue pour essayer d’aider la famille qui vit dans une situation très précaire… Et au ballon rond, dont il tombe amoureux dès son plus jeune âge. « Le football, c’est mon second cœur, c’est ma vie et j’ai très vite rêvé de mes idoles et de vouloir faire comme eux lorsque j’ai regardé mes premiers matches à la télévision « , sourit Moustapha, joint par Infomigrants. « J’ai tapé dans un ballon dès mes 4 ans, et la fièvre du football ne m’a plus jamais quittée ! Je vivais football, je dormais football. À l’école, je ne pensais qu’à la récréation et à la fin de la journée pour aller jouer avec mes amis « , se remémore-t-il.
Moustapha ne mange pas à sa faim tous les jours, et alors qu’il a 11 ans et demi, il commence à évoluer dans une équipe du quartier avec d’autres jeunes qui ont…4 à 5 ans de plus que lui ! Le petit phénomène régale, avec ses crampons défoncés, durant les tournois inter-quartiers. Il attire les foules par ses dribbles et son sens du but, ce qui lui permet aussi de remporter des cadeaux et quelques billets pour mettre un peu de beurre dans les épinards à la maison.
Pour chercher une vie meilleure, la famille a des rêve de Vieux Continent et espère aussi amener le jeune talent aux yeux des recruteurs. « On voulait venir en Europe, mais on a eu affaire à des passeurs, et à des gens peu fiables qui voulaient beaucoup d’argent et qui avaient des intentions peu claires, donc on est finalement resté en Guinée », précise Moustapha.
En 2018, le destin porte un coup dur à la famille Cissé. Adiama, son père, décède, et laisse ses deux fils seuls, livrés quasiment à eux-mêmes. Moustapha a alors 15 ans. Avec de l’aide des voisins il quitte Conakry l’année suivante, direction l’Italie. Des cousins éloignés l’aident ensuite à venir illégalement dans la région de Lecce. « C’était ma seule option, je ne pouvais pas rester au pays. Je partais bille en tête avec l’idée d’avoir un avenir meilleur et de tout donner pour atteindre mon rêve de devenir footballeur. Dès que je suis arrivé dans La Botte, je savais qu’une porte s’ouvrait pour moi. J’ai foncé sans réfléchir, déterminé et affamé comme jamais », souligne-t-il.
Un rêve qui sert d’exemple pour la jeunesse Africaine
Dans les Pouilles, Cissé prend peu à peu ses marques, et trouve une structure qui l’aide rapidement à tisser un lien avec d’autres personnes, l’association Rinascita Salento Refugees (Renaissance réfugiés de Salento en français) et l’entraineur de son équipe de football, Hassan Niang Mbaye, réfugié venu du Sénégal. Cette ONG aide les migrants dans cette partie de l’Italie, en mettant en place des projets liés à l’éducation et au sport. « Lorsque Moustapha est arrivé, on a tout de suite vu que le football, c’était toute sa vie, ce qui le fait respirer, ce qui le fait vibrer, et il a rapidement eu ce projet de travailler dur pour devenir professionnel », souligne Mbaye. « Il avait déjà un talent particulier, il sentait le jeu comme personne, et il fallait juste qu’il continue de travailler pour attirer l’attention de clubs professionnels », ajoute-t-il.
L’équipe de l’association évolue en neuvième division, lors de l’arrivée de Cissé, qui, weekend après weekend, claque but sur but et permet à sa formation de monter de deux divisions sur deux années consécutives. Il déclenche une vague de curiosité dans la région, et quelques recruteurs de divisions supérieures commencent à le suivre d’un peu plus près, au fil des apparitions de son nom sur la ligne « buteur » dans les gazettes sportives locales du lundi matin. « Il y a beaucoup de joueurs dans les divisions inférieures en Italie, et beaucoup de talent, donc il n’est pas toujours facile de tirer son épingle du jeu vu que la concurrence est très rude. Mais Moustapha y a toujours cru, même lors des moments où son pays lui manquait, où il était en difficulté avec l’administration italienne, il n’a jamais lâché son rêve », précise Giancarlo Stratti, son agent.
Le tournant se produit après une rencontre amicale face à Lecce, l’équipe phare de la région qui évolue en Serie B (deuxième division italienne). Cissé réalise un match plein, et en met plein la vue face à des joueurs professionnels confirmés. Ni une ni deux, le téléphone de Stratti sonne et plusieurs équipes veulent le recruter afin qu’il intègre un centre de formation tente de faire son trou chez les professionnels. « On a eu des dizaines d’offres, et on a pris le temps de décider. On voulait un projet solide dans une équipe qui donne des opportunités aux jeunes, ce qui n’est pas toujours le cas chez les pros, car le résultat prime souvent sur le fait de lancer des jeunes pousses dans le grand bain », explique Stratti. Le choix se porte sur l’Atalanta Bergame, l’un des meilleurs clubs du pays, et le jeune Cissé y signe un contrat de formation qui se transforme automatiquement en contrat professionnel au bout d’une saison au club.
Le jeune numéro 99 veut saisir l’opportunité à fond. Il commence son aventure à Bergame avec l’équipe des moins de 23 ans dès son arrivée en octobre 2021, puis après 6 buts en 9 matches, il est appelé à s’entrainer avec l’équipe première, qui évolue en première division italienne et dispute la coupe d’Europe.
Jusqu’à ce soir de mars 2022, où pour sa première chez les professionnels à Bologne, il entre dans l’histoire et marque son premier but. « Je pense que tout s’est passé très rapidement, mais il a toujours gardé la tête sur les épaules. C’est quelqu’un qui sait d’où il vient, mais qui sait aussi où il veut aller, et compte vivre sa passion pour de longues années« précise son meilleur ami au club, Allasane Sidibé.
Prêté depuis cet hiver en deuxième division au FC Südtirol pour avoir du temps de jeu, Cissé n’oublie jamais l’exemplarité qui est liée à son aventure personnelle. « Je sais que je suis l’un des rares choisis pour devenir professionnel, et que beaucoup de jeunes sur le continent africain voit mon exemple comme leur rêve. Je sais que je suis suivi et je me dois de me battre pour vivre mon rêve à fond, et donner de l’espoir aux jeunes du continent. Leur montrer qu’il faut croire en son étoile, qu’il faut tout donner pour dessiner son propre destin », conclut-il.
Avec infomigrants