Ses chansons sont reprises par des manifestants à Madagascar, au Togo ou à Lyon: logique pour l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly, ambassadeur d’un reggae qui chante « l’actualité, la réalité ».
Sous les dreadlocks de ce robuste quinquagénaire, il y a plus de trente ans de carrière et onze albums solo en studio.
Le dernier, « Braquage de pouvoir », sorti fin 2022, prolonge une œuvre qui prêche le panafricanisme et griffe les dysfonctionnements politiques du continent africain.
Son premier disque solo s’appelle « Mangercratie » (1999), sur une démocratie avalée par certains prédateurs au pouvoir. Un néologisme similaire surgit du morceau-titre « Braquage de pouvoir » avec « Le peuple dit non à la famillecratie », missile lancé sur le népotisme.
Mais son reggae est universel et résonne bien au-delà des frontières de la Côte d’Ivoire, son pays natal et une de ses bases avec le Mali et la France.
« Ma chanson +Quitte le pouvoir+ (2004), des gens ont dit que je l’avais écrite contre Laurent Gbagbo (alors au pouvoir en Côte d’Ivoire), mais elle a été aussi reprise par des manifestants au Togo », raconte Tiken Jah Fakoly, rencontré par l’AFP à Paris. Sa valise prête non loin, destination Zanzibar pour un concert.
– Méditerranée devenue cimetière –
Même schéma avec « Y’en a marre » (2000) entendue dans une manifestation à Madagascar et « Le monde est chaud » (2019) plus récemment dans la rue à Lyon.
« Depuis Bob Marley, le rôle du reggae c’est de chanter l’actualité, la réalité; mon plaisir c’est de faire passer des messages à la jeunesse, ou d’être la voix de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer, sur leurs conditions de vie, notamment », confie le chanteur.
Sur son nouvel album, la chanson « Où est-ce que tu vas ? » est là pour éclairer sur « les difficultés de la traversée » sur des bateaux de fortune vers l’eldorado européen. « Il y a les photos prises de Paris depuis les Champs-Elysées et les Grands Boulevards qui font rêver et la réalité, la Méditerranée devenue un des plus grands cimetières de la jeunesse africaine ».
Un autre morceau, « Beau continent », rebondit sur le sujet: pas forcément besoin de partir, un avenir peut se construire en Afrique. Un titre, enregistré avec Dub Inc, duo de Saint-Etienne aux racines du Bénin et d’Algérie, qui célèbre ainsi la vitalité de l’Afrique. « L’Afrique n’est pas pauvre, elle a été appauvrie, pour moi c’est le continent de l’avenir », insiste Tiken Jah Fakoly.
– « Ambassade du reggae » –
« Ca fait juste 60 ans depuis l’indépendance de certains pays, c’est jeune, quand il y aura de la stabilité, quand on sera unis, l’Afrique sera écoutée comme la Chine, les USA ou l’Europe aujourd’hui », prédit-il.
Et de paraphraser une célèbre maxime sur la Chine, « quand l’Afrique s’éveillera, le monde tremblera ». En attendant, le musicien agit à son échelle avec ce qu’il nomme « l’ambassade du reggae » à Yopougon, commune du nord d’Abidjan. Un immeuble destiné aux jeunes artistes avec studio d’enregistrement, chambres, deux salles de répétition au « standard européen ». Pour ne pas revivre le temps des pionniers, quand ses percussionnistes « répétaient en tapant sur des casseroles ».
Sans oublier, sa fierté, « la seule bibliothèque complète sur le reggae et le rastafarisme » en Afrique. Et une « radio fm pour diffuser le reggae et la musique urbaine pour aider la nouvelle génération ».
Pour ceux qui se posent encore la question, le reggae a toute sa place en Afrique. Sur la pochette de l’album de Bob Marley « Survival » (1979), on voit des drapeaux africains, comme pour en appeler à l’unité africaine, idée reflétée dans le morceau « Africa Unite ».
« On est là pour continuer le combat de Bob: personne ne viendra changer les choses à la place du peuple, on est là pour le galvaniser ». Un des derniers titres de Tiken Jah Fakoly est « Le peuple a le pouvoir ».