Depuis plusieurs mois, les renvois de migrants subsahariens du nord du Maroc vers l’intérieur du pays se sont considérablement accrus. Des centaines d’exilés se retrouvent bloqués à Casablanca, empêchés de remonter vers Nador ou Tétouan, près des côtes, d’où les embarcations partent pour tenter d’atteindre l’Europe.
Jeudi 16 mars, des dizaines de migrants ont été délogés par les forces de l’ordre de leur campement informel, au mont Gourougou. C’est là, dans cette forêt située au nord du Maroc, près de Nador, que les exilés se cachent en attendant de tenter le passage vers l’Espagne par la terre via l’enclave de Melilla ou en traversant la mer Méditerranée.
Depuis plusieurs mois, les opérations de ce type se multiplient. Les migrants sont interpellés sans ménagement, placés dans des bus et envoyés dans le centre du pays, le plus souvent à Beni Mellal. Le but : les éloigner des côtes pour les empêcher de rejoindre l’Europe.
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Depuis Beni Mella, les exilés rebroussent chemin et essayent de remonter vers le nord. Ils rejoignent Casablanca, à environ 200 kilomètres, comme première ville-étape. Et pour beaucoup d’entre eux, la route s’arrête ici. La ville portuaire est devenue une impasse pour des milliers de personnes originaires d’Afrique subsaharienne.
L’accès aux côtes quasi impossible
En effet, les migrants ne peuvent plus aller plus loin. On ne leur vend plus de tickets de bus pour les villes du nord, et s’ils tentent de monter dans les cars, ils sont refoulés.
Résultat : des centaines de personnes se sont installées près de la gare routière d’Ouled Ziane de Casablanca, avec l’espoir de rejoindre, d’une manière ou d’une autre, les côtes méditerranéennes.
Là, ils ont monté un camp où se côtoient des marginalisés, des mendiants, des enfants des rues, des pickpockets… « C’est un lieu malfamé, où même les Marocains évitent d’aller », précise à InfoMigrants Salaheddine Lemaizi, casablancais et rédacteur en chef du site spécialisé sur la migration, Enass.
Le campement est né fin 2015, bien avant les nouvelles mesures marocaines. Mais il n’a jamais cessé de grossir, jusqu’à sa disparition en 2019 à cause d’un incendie. Depuis, le campement se reconstitue partiellement par petits groupes. Ces derniers mois, les exilés, de plus en plus nombreux, se sont déplacés et se retrouvent désormais coincés entre deux voies rapides. Ils dorment au milieu des pots d’échappement, sans accès à des sanitaires ou des douches. La cohabitation devient de plus en plus difficile avec les riverains, lassés par leur présence.
Les migrants doivent aussi composer avec les forces de l’ordre qui démantèlent régulièrement leurs abris de fortune. Lors de ces opérations, souvent violentes, les matelas, vêtements, vaisselles et affaires personnelles sont jetés dans des bennes. Les exilés, démunis, reviennent systématiquement sur les lieux, peu de temps après.
« On ne les blâme pas, ils n’ont nulle part où aller. Le gouvernement devrait ouvrir des centres d’hébergement », estime le chercheur marocain Ali Zoubeidi, joint par InfoMigrants.
Le tournant Melilla en juin 2022
Mais la politique des autorités ne tend pas vers cette solution. « On est plutôt dans une approche sécuritaire qu’humanitaire », constate le journaliste Salaheddine Lemaizi. Avec un tournant l’an dernier, juste après le drame de Melilla, le 24 juin 2022, quand près de 2 000 personnes ont tenté de franchir les barbelés qui séparent l’enclave espagnole du territoire marocain. Une vingtaine de migrants ont péri lors des affrontements avec la police et une trentaine d’autres ont été incarcérés pour « entrée illégale ».
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Depuis cet évènement qui a choqué le monde entier, Rabat redouble d’efforts pour expulser les migrants présents dans le nord du pays. « Il y a beaucoup moins de gens vers les côtes en ce moment », assure Ali Zoubeidi. Salaheddine Lemaizi abonde également en ce sens : « Avant juin 2022, les migrants pouvaient rester dans les forêts, ils étaient plus ou moins tolérés. Aujourd’hui, ils sont très peu vers Nador et Tétouan. Même ceux qui parviennent à remonter un peu n’arrivent pas à atteindre les forêts ».
Ainsi, les autorités tentent désormais de contenir le flux migratoire au centre du Maroc, entre Rabat et Agadir. « Casablanca est la nouvelle frontière de l’Europe », continue Salaheddine Lemaizi.
Criminalisation de la migration
L’Espagne et l’Union européenne ont fait du Maroc leur partenaire privilégié dans la lutte contre l’immigration clandestine. Le royaume est inondé de financement – 500 millions d’euros ont été versés par Bruxelles l’an dernier – pour empêcher les migrants de rejoindre le Vieux continent. « Ce que l’on constate à Casablanca et dans le nord du Maroc est symptomatique de la politique de surveillance et d’externalisation des frontières ainsi que de la pression exercée sur Rabat par l’Union européenne », affirme Salaheddine Lemaizi.
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Et en février, le Maroc est allé encore un peu plus loin dans la criminalisation de la migration. Après des échauffourées avec les forces de l’ordre pendant un démantèlement du camp d’Ouled Ziane, six migrants ont écopé de deux ans de prison ferme et d’une amende de 60 000 dirhams (environ 5 000 euros) pour « insulte et agression à l’encontre de fonctionnaires, destruction de biens publics et migration illégale ». C’est la première fois que des exilés sont condamnés pour ces faits à Casablanca.
Cette stratégie permettra-t-elle d’empêcher les départs ? Rien n’est moins sûr. Interrogé par le média Enass, un jeune Africain de 23 ans ne se laisse pas décourager pour autant. « J’ai traversé tout le désert du Grand Sahara. Du Niger à l’Algérie, j’ai fait des dizaines de kilomètres à pied. J’ai survécu à des trafiquants en tout genre. Rien ne me fera reculer de mon objectif », a-t-il dit. Et ils sont, comme lui, des milliers à continuer à rêver de l’Europe.
Avec infomigrants