Souleymane a fui l’Ukraine l’an dernier au moment de l’invasion russe. Le jeune papa ivoirien de 33 ans est arrivé peu de temps après en France. Très vite, les autorités françaises lui délivrent une « protection temporaire ». Mais ce statut administratif, précaire, ne rassure pas les entreprises où il postule. Sans emploi, il craint aujourd’hui un renvoi dans son pays d’origine. Témoignage.
En 2014, Souleymane* quitte la Côte d’Ivoire avec un visa étudiant. En Ukraine, à Kharkiv, il poursuit ses études. En 2019, il obtient un emploi au sein d’une entreprise allemande d’automobiles et exerce dans la gestion de clientèle. Le jeune homme s’installe à Odessa. En parallèle, il préside une association de la diaspora africaine. Bien intégré dans le pays, il n’imaginait pas un seul instant devoir fuir l’Ukraine. Mais le déclenchement de la guerre le 24 février 2022 a changé ses plans.
« Quand la guerre a éclaté, mon association a aidé les Africains à quitter l’Ukraine en leur donnant des conseils, et en leur indiquant les itinéraires à emprunter, les trains dans lesquels monter, etc. On avait un groupe WhatsApp qui réunissait une grande partie des Ivoiriens installés dans le pays.
Le 28 février, j’ai à mon tour pris la route vers la Pologne avec mon fils, à l’époque âgé de six mois. Je suis finalement arrivé en France le 17 mars. C’était plus simple pour moi de venir ici car je parlais la langue. Je me sentais un peu comme chez moi.
« On ne savait pas où aller »
À Paris, la Croix-Rouge m’a logé quelques jours dans un hôtel et a soigné mon fils qui avait une conjonctivite. Heureusement que les équipes étaient là car nous étions complètement perdus. On ne connaissait personne, on ne savait pas où aller. La première nuit, je n’ai pas fermé l’œil. Un ami m’avait parlé d’une association à Bordeaux qui pouvait peut-être nous aider, alors j’ai fait des recherches toute la nuit.
Je suis allé à Bordeaux et cette association m’a mis en contact avec une famille d’accueil, dans le Médoc [dans le département de la Gironde, à proximité de Bordeaux, ndlr]. J’y suis resté un certain temps. La dame qui nous a accueillis était adorable. Elle m’a aidé dans mes démarches administratives, je ne l’oublierai jamais. Aujourd’hui, je vis dans un hôtel social à Bordeaux mais je continue de l’appeler régulièrement.
Très vite, j’ai obtenu la protection temporaire, comme les Ukrainiens.
Au moment de l’invasion russe en Ukraine, l’Union européenne a délivré une « protection temporaire », valable six mois et renouvelable, aux Ukrainiens fuyant la guerre, ainsi qu’aux ressortissants étrangers qui résidaient dans le pays avant le 24 février 2022. Mais, à la différence de Souleymane, beaucoup d’étrangers qui vivaient en Ukraine, étudiants africains notamment, n’ont pas eu accès à ce titre de séjour.
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Grâce à ce statut, j’ai décroché une formation de gestionnaire de sinistre automobile. Après mon apprentissage, l’entreprise qui me formait m’a proposé un CDI. Mais ma protection temporaire prenait fin. La préfecture l’a renouvelée mais mes anciens employeurs ne voulaient pas me reprendre. Je pense que mon statut précaire leur a fait peur.
« Je n’ai plus rien »
Pendant cinq mois, j’ai cherché du travail. J’ai passé une dizaine d’entretiens. À chaque fois, cela se passait bien mais quand ils se rendaient compte de mon statut administratif, ils ne donnaient pas suite.
J’ai fini par trouver un travail dans une mutuelle comme conseiller clientèle. Et là encore, j’ai signé un CDI. Mais à la fin de ma période d’essai, l’entreprise a mis fin à mon contrat. Ils se sont aperçus que j’avais la protection temporaire et que, du jour au lendemain, je pouvais être sans-papiers.
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Cet emploi a pris fin le 16 mars, et mon titre de séjour provisoire a expiré le 21 mars. La préfecture étudie mon dossier et j’espère que la protection me sera à nouveau accordée.
Tout ce que je demande, c’est travailler, obtenir un titre de séjour travail valable 10 ans. Mais pour avoir ce statut, je dois signer un CDI. Or les employeurs refusent.
Je veux rester ici : je veux cotiser, payer mes impôts, reconstruire ma vie en France.
Émotionnellement, c’est très dur. Je ne vais pas bien du tout. Je suis stressé. J’ai peur que les autorités me délivrent une OQTF [obligation de quitter le territoire français, ndlr] et qu’ils m’expulsent du pays. J’ai quitté la Côte d’Ivoire il y a presque 10 ans : je n’ai plus rien là-bas.
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Je ne sais pas ce qu’il va se passer. Je suis atteint moralement. Je suis dans le pétrin.
Et mon fils, que va-t-il devenir ? Il est né en Ukraine, il ne connait pas la Côte d’Ivoire. Qu’est-ce qu’on ferait là-bas ?
Beaucoup d’Africains sont dans la même situation que moi. Pourquoi ne sommes-nous pas traités comme les Ukrainiens ? On avait construit nos vies là-bas ! La guerre a tout chamboulé, du jour au lendemain. Je n’ai plus rien alors que j’avais une bonne situation en Ukraine. C’est très dur à vivre. »
*Le prénom a été modifié.