Les rassemblements anti-migrants se sont multipliés, depuis le début de l’année, à Dublin et dans de petites villes de l’île d’Émeraude. Dans le même temps, le gouvernement irlandais a annoncé que les structures d’accueil pour demandeurs d’asile étaient saturées et que le pays, qui traverse actuellement une grave crise du logement, ne pourrait plus héberger les nouveaux arrivants.
Ce sont des hashtags qui prennent de l’ampleur sur les réseaux sociaux : #irishlivesmatter (les vies irlandaises comptent) ou #Irelandisfull (l’Irlande est pleine à craquer). Depuis le début de l’année, l’hostilité envers les réfugiés gagne du terrain à Dublin comme dans de nombreuses autres villes d’Irlande.
Dernier événement en date : le blocage, le 24 mars, d’un bus, à l’entrée du centre d’accueil de Columb Barracks – une ancienne caserne fermée depuis 2012 – à Mullingar (à 80 km de Dublin), où le ministère de l’Intégration avait annoncé que 120 demandeurs d’asile seraient hébergés. « Sortez de notre ville », « Vous n’entrerez pas », furent quelques uns des slogans criés pendant le rassemblement.
Une vidéo montrant un des demandeurs d’asile bloqué dans le bus et menaçant d’égorger les manifestants anti-migrants a été abondamment partagée sur Twitter et a participé à dégrader la situation. Quelques heures après le rassemblement, le bus transportant les exilés a finalement réussi à entrer sur le site. Malgré tout, le soir même, à Columb Barracks, la police a dû intervenir pour escorter les camions livrant les repas.
L’événement n’est pas isolé. Deux jours plus tard, un groupe de militants anti-migrants a également bloqué l’accès à l’aéroport de Dublin, munis de pancartes. « Pas de passeports, pas d’entrée en Irlande », « Nous sommes la majorité silencieuse », pouvait-on lire sur leurs cartons.
Selon Courrier International, les manifestations de ce genre, jusque là rares, se multiplient en Irlande. Déjà plus de 60 rassemblements ont eu lieu depuis début 2023. Pour ne rien arranger, des rumeurs de violences et de sévices sexuels commis par des réfugiés sur des Irlandais ont participé à mettre le feu aux poudres. Le 7 février, à Dublin, plus de 2 000 personnes sont descendues dans la rue sous le slogan : « L’Irlande est pleine à craquer ».
Hausse des demandes d’asile et crise du logement
En 2022, une partie de la population irlandaise avait pourtant largement ouvert ses portes aux réfugiés, notamment ukrainiens. L’élan de solidarité fut même énorme : plus de 70 000 Ukrainiens trouvèrent refuge sur l’île irlandaise, un chiffre non négligeable pour un pays de 5 millions d’habitants. De nombreuses familles proposèrent une chambre d’ami voire des logements entiers pour les aider.
En 2022, le pays a reçu au total un peu plus de 13 000 demandes d’asile en plus des 70 000 réfugiés ukrainiens – contre 2 700 dossiers au total en 2021. « Il y a eu une hausse du nombre de demandeurs d’asile non ukrainiens qui ont profité de la vague de sympathie envers les Ukrainiens pour entrer dans le pays », écrit Courrier international. Et à l’heure où le pays traverse une grave crise du logement, avec des loyers qui ne cessent de grimper, cette hausse des arrivées de migrants passe mal auprès d’une partie de la population.
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L’été dernier, des parlementaires s’inquiétaient déjà des conséquences de cette crise de l’habitat sur les réfugiés. « Le constat est que la capacité de l’Irlande à fournir ne serait-ce que le strict minimum en termes d’hébergement d’urgence à ses propres citoyens et à ceux qui fuient la guerre est gravement compromise », avait déclaré Carol Nolan, une députée indépendante.
Au mois de janvier, le gouvernement irlandais a annoncé que les structures d’accueil du pays étaient arrivées à saturation. Et que les nouveaux demandeurs d’asile seraient logés… à la rue.
« J’ai peur de mourir de froid »
« Je n’ai nulle part où aller, je suis fatigué et j’ai peur de mourir de froid », a déclaré au Irish Time un demandeur d’asile afghan, arrivé en Irlande le 26 janvier et informé par l’Office de la protection internationale* (IPO) qu’il n’y avait pas de logement disponible pour lui.
Le Citywest Transit Hub, l’un des principaux sas d’accueil des migrants en Irlande, a en effet fermé ses portes aux nouveaux arrivants au mois de janvier 2023. « En raison de la pénurie nationale de logements disponibles […] en particulier [pour] les hommes célibataires, […] il n’est plus possible de fournir un abri d’urgence aux adultes car le centre de transit a maintenant atteint sa capacité », a expliqué un communiqué du gouvernement. À l’heure actuelle, le Citywest Transit Hub accueille 52 800 Ukrainiens et 19 000 demandeurs d’asile d’autres nationalités. La construction de 200 modules préfabriqués est en cours pour agrandir le centre. Mais ceux-ci ne seront prêts qu’au printemps. Initialement prévue pour novembre, leur livraison a pris du retard.
Une situation inédite, s’inquiète le Conseil irlandais pour les réfugiés. « Il s’agit d’une situation extrêmement alarmante et sans précédent qui entraînera probablement une crise humanitaire », a déclaré récemment l’ONG auprès du Conseil européen pour les exilés (CERE).
Ne pas « prendre pour argent comptant les arguments de l’extrême-droite »
Pour autant, le pays ne plonge pas dans une xénophobie générale, souligne la journaliste irlandaise Naomi O’Leary dans un article du Irish Times. Ces rassemblements anti-migrants émanent d’“un sentiment d’urgence et de crise”, alimenté par “une minorité bruyante qui emprunte les tactiques d’agitation éprouvées ailleurs sur le continent [européen]”. Le piège, poursuit la journaliste dublinoise, “serait de prendre pour argent comptant l’argument de l’extrême droite selon lequel leurs opinions seraient partagées par une majorité silencieuse. Même en période de tension majeure autour de la migration en Europe, des enquêtes […] ont montré que de fortes majorités de gens étaient en faveur de l’accueil de réfugiés fuyant la guerre et la violence ».
À Dublin, entre 20 000 et 50 000 personnes ont d’ailleurs défilé contre le racisme et en faveur d’une “Irlande pour tous”, samedi 18 février – soit 10 fois plus que pour la manifestation anti-réfugiés du 7 février. « Les immigrés sont une partie essentielle du talent qui nous sert », peut-on lire dans un autre article du Irish Times. « Dans un pays qui vieillit plus vite qu’il ne procrée, chaque immigré en âge de travailler est un précieux créateur de richesse ».
La cheffe du bureau irlandais pour le HCR, Enda O’Neill, rappelle de son côté que l’île a les capacités de mener une politique d’accueil. Elle aussi partage l’analyse de Naomi O’Leary. « Je pense que le danger réside dans la couverture médiatique de ces derniers mois et dernières semaines. Elle donne l’impression au grand public que nous vivons quelque chose d’inhabituel que d’autres pays ne connaissent pas, et que nous ne pouvons pas gérer ». Pourtant, « il n’y a aucune raison pour laquelle nous ne pouvons pas gérer [cette crise du logement]. Nous avons suffisamment de ressources, nous avons suffisamment de terres. C’est donc vraiment une question de mise en œuvre, de planification et de coordination appropriées ».
*Il existe en Irlande 2 institutions chargées d’examiner les demandes d’asile :
• L’Office de protection internationale (IPO) : ce bureau examine la demande d’asile en première instance. Pour obtenir davantage d’informations, veuillez consulter : www.ipo.gov.ie
• La Cour d’appel de la Protection Internationale (IPAT) : si l’IPO refuse de vous octroyer la protection internationale, il est possible de faire appel de cette décision auprès de ce tribunal. Pour obtenir davantage d’informations, veuillez consulter : www.protectionappeals.ie