En France, la scolarisation des enfants est obligatoire quelque que soit leur situation administrative et celle de leurs parents. Des centaines d’enfants exilés sont ainsi scolarisés chaque année. Mais certains d’entre eux viennent en classe après avoir passé la nuit dehors, faute d’hébergement pour leur famille. Pour ces élèves, la scolarité est alors un parcours semé d’embûches autant qu’un îlot de stabilité. Avec la fin de la trêve hivernale, leur nombre pourrait augmenter.
La scolarité de Linda* a parfois pris des airs de course d’obstacles. Ces derniers mois, pour aller à l’école, la jeune fille a dû surmonter des difficultés aussi nombreuses qu’anormales dans la vie d’une adolescente. Arrivés d’Angola en France en 2019, Linda, 13 ans, sa sœur de 3 ans, son frère d’un an et demi et ses parents ont vécu à la rue. Aujourd’hui logée dans un foyer des Yvelines, la famille a connu les nuits sous tente ou dans des parkings, la peur d’être agressés, la faim, le manque d’hygiène.
Pour la jeune fille de 13 ans, à cette liste des horreurs du sans-abrisme se sont ajoutés les départs au collège le ventre vide, la fatigue qui empêche de suivre les cours, les moqueries des camarades et l’impossibilité de faire ses devoirs correctement dans une chambre d’hôtel sans connexion internet à plus d’une heure de transport du collège.
Pourtant Linda s’accroche. Pour cette jeune fille souriante aux cheveux coiffés en fines tresses, la scolarité est une priorité. Ce lundi après-midi de la mi-mars, attablée devant un Coca Cola après la fin de ses cours, elle se désespère que sa moyenne ait chuté à 9. « Je n’arrive pas à réviser, je n’ai pas le temps, je suis trop fatiguée », souffle-t-elle, avant de rappeler fièrement qu’il y a quelques années, elle avait atteint « 15 de moyenne ».
C’était au début du collège, quand Linda et sa famille vivaient encore dans un CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile) de Bordeaux, dans une relative stabilité, en attendant la réponse à leur demande d’asile. Quand la protection leur a été refusée, la famille a dû quitté le centre. Après quelques mois dans des squats, ils ont posé leurs valises à Paris, pensant qu’il y serait plus simple de trouver un hébergement.
Mais à leur arrivée, en septembre dernier, Linda et sa famille se sont retrouvés confrontés à un système totalement saturé. La famille appelle chaque jour le 115, en vain, et passe plus de trois mois à la rue. « On allait parfois dormir à l’hôtel pour deux ou trois nuits », raconte Linda. L’adolescente souffre d’un petit problème d’élocution. Quand les émotions l’envahissent, elle se met à bégayer. Comme essoufflée, elle fait lentement le récit de cette période infernale. « Le matin, après avoir dormi sous tente, on se réveillait, j’avais super froid. J’attrapais n’importe quel vêtement, je me brossais les dents et on partait à l’école ».
Plus de 1 600 enfants sans-abri
Linda fait partie des quelque 1 658 enfants et adolescents sans domicile fixe en France, selon le dernier baromètre établi par l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Ce chiffre correspond au nombre d’enfants dont les familles ont appelé le 115 dans la nuit du 22 au 23 août 2022 sans obtenir de solution d’hébergement.
« Ces données ne sont pas exhaustives car nombreuses sont les familles sans-abri qui ne recourent pas au 115. De plus, elles ne permettent pas de mettre en lumière la situation spécifique des mineurs non accompagnés en situation de rue. Elles sont cependant révélatrices de l’ampleur d’une crise du logement et de l’hébergement qui perdure et dont les enfants sont des victimes collatérales », soulignait alors l’Unicef dans son communiqué.
Parmi ces enfants sans logement fixe, beaucoup sont des exilés dont les familles viennent d’arriver en France, ont été déboutées de l’asile ou bien encore sont sans-papiers. Quelle que soit leur situation, « nous avons l’obligation de scolariser ces enfants le plus vite possible après leur arrivée », rappelle Emmanuel Deschamps, responsable du Centre académique de scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (CASNAV) à l’académie de Paris.
Ses équipes ont noté ces derniers mois une hausse du nombre d’inscription dans les écoles parisiennes des élèves exilés. Une augmentation que le responsable met en lien avec l’augmentation des demandes d’asile en France (en hausse de 31% en 2022 par rapport à 2021). La moitié de ces demandes étant déposées en Ile-de-France. En outre, les familles migrantes ont souvent des adresses de domiciliation (pour recevoir les courriers administratifs principalement) qui ne correspondent pas à leur lieu de vie – leur logement provisoire peut varier selon les hébergements mis à disposition par le 115.
« À Paris, il y a quasiment 100 000 places de domiciliation. C’est dans les 18e et 19e arrondissements que les adresses sont majoritaires », explique Emmanuel Deschamps, précisant qu’une réflexion est en cours pour « privilégier des solutions permettant de rapprocher les familles des écoles ». « On ne peut pas accueillir [dans les écoles parisiennes] toutes les familles en errance d’Ile-de-France », ajoute le responsable.
« Arrondir les angles »
Pour ces élèves sans-abri, comment gérer une scolarité dans un tel contexte ? La plupart sont soutenus par les équipes éducatives de leurs établissements qui tentent, au cas par cas, de leur faciliter les choses.
« La principale de mon collège et son adjointe me donnait des gâteaux le matin quand j’avais super faim en attendant le déjeuner. Elles m’avaient aussi donné du savon pour que je puisse me laver au collège pendant la première heure de cours », se souvient Linda.
Dans une école du 15e arrondissement de Paris où sont scolarisés quatre enfants qui ont vécu à la rue, des appels aux dons ont été lancés par la direction pour collecter des vêtements, des jouets et de la nourriture. Interrogée par InfoMigrants sur la manière dont son équipe gère au quotidien la situation de ces élèves, la directrice ne souhaite pas s’exprimer, invoquant « un sujet très sensible ». « Nous n’avions jamais vu une famille dans une telle difficulté », glisse-t-elle tout de même.
Dans sa classe de CE2 d’une école du 18e arrondissement de Paris, Marc R. fait de son mieux pour que ses élèves sans-abri aient la scolarité la plus normale possible.
À l’automne, deux nouvelles élèves sont arrivées. « La première dormait essentiellement dans un regroupement de tentes au niveau du métro La Chapelle et ça a changé plusieurs fois […], explique l’enseignant. La deuxième élève est arrivée début novembre du Cameroun. Son père était français donc elle est française aussi. La famille se préparait à venir vivre en France mais son père est mort de maladie quelques semaines avant le départ […] Quand la fillette et sa mère sont arrivées, elles ont dormi pendant un an et demi à la gare du Nord », poursuit-il.
Pour cette enfant, les premières semaine d’école sont très difficiles. D’autant plus que la petite fille de 8 ans est en plein deuil de son père. « Elle dormait dans endroit lumineux, et sa mère faisait des rondes autour d’elle pour la protéger des camés. Elle était épuisée, elle s’est endormie plusieurs fois sur sa table », se souvient Marc R.
Pour ces deux élèves, l’instituteur. a « arrondi les angles pour qu’elles n’aient pas de difficultés supplémentaires ». « Avec l’enseignant avec qui je partage ma classe, on ne donne pas de devoir à la maison, juste des choses à relire. On prépare tout pour qu’elles aient des fournitures et des affaires de piscine. On choisit des groupes de travail pour favoriser des amitiés avec des enfants de bonne composition », détaille-t-il. « Mais on les considère malgré tout comme des élèves parmi d’autres ».
Pour ces deux élèves, l’école est « un endroit où elles peuvent vivre leur vie de petites filles », se réjouit l’enseignant.
L’école protectrice
Hala Kerbage sait combien l’école est importante pour les enfants migrants. Cette pédopsychiatre qui exerce au centre hospitalier universitaire de Montpellier reçoit régulièrement en consultation des enfants arrivés en France avec leurs parents pour demander l’asile.
« Le fait d’être scolarisé est un facteur protecteur pour les enfants migrants. Ça l’aide à avoir des repères, une structure, à être dans une communauté et à avoir des amis. Il y a parfois des problèmes de langues si les enfants ne sont pas francophones ou d’intégration s’ils ont été déracinés de leur communauté. Mais, en général, la scolarité a toujours un effet positif sur l’enfant migrant », souligne la médecin.
Et pour ceux sans logement fixe, l’école représente un élément de stabilité et de continuité, indispensable au développement de l’enfant, plaide encore le Dr Kerbage.
Reste pour ces élèves la difficulté du rapport aux autres, pas toujours facile à gérer. Un élève différent peut vite être mis de côté. Dans le 15e, la fille de Maryam, mère célibataire à la rue, est quelque fois sortie de l’école triste que les autres n’aient pas voulu jouer avec elle. Linda, elle, a subi des moqueries sur ses vêtements, « parce que ce n’est pas de la marque ». La jeune fille de 13 ans rêve de s’habiller chez Zara mais doit se contenter de ce qu’elle trouve auprès des associations de dons.
Les camarades de classe de Linda ne sont pas au courant de sa situation. L’adolescente trouve que c’est mieux ainsi mais angoisse qu’un jour ils découvrent son quotidien. « J’ai peur qu’ils me disent ‘Tu dors dehors, tu es une migrante’ ».
Entre les heures dans les transports et les déménagements à répétition, parfois l’adolescente perd le moral. « Je n’aime pas être triste donc quand ça ne va pas trop, je pense à mon avenir. Je m’imagine dans une maison avec mes deux enfants et mon travail. Je veux devenir puéricultrice », lance-t-elle en souriant. Cette semaine, elle a fait un pas vers la normalité et son avenir : ses parents l’ont autorisé à faire du baby-sitting pour les familles hébergées dans leur foyer.
*Le prénom a été modifié
Avec infomigrants