La morgue de Sfax, en Tunisie, est totalement dépassée par le nombre de corps de migrants récupérés après des naufrages dans la Méditerranée. Avec la période estivale qui approche et la crise économique, les ONG s’inquiètent de voir la situation empirer.
Depuis le début du mois de mars, plusieurs dizaines de migrants sont décédés lors de tentatives de traversée de la Méditerranée. Les garde-côtes tunisiens ont annoncé, dimanche 26 mars, la découverte de 29 corps en mer après trois naufrages distincts. Plusieurs dizaines de migrants avaient déjà trouvé la mort la semaine dernière dans des situations similaires au large de la Tunisie.
Conséquence de ces naufrages successifs, la morgue de Sfax, ville portuaire tunisienne d’où les départs sont très fréquents, est saturée. Selon Hatem Cherif, directeur régional de la santé à Sfax, cité par l’agence TAP, « la semaine dernière, la morgue a compté 70 corps » pour seulement 35 places.
Une situation qui n’est pas nouvelle, comme le racontait déjà InfoMigrants en mai dernier. Toutefois, elle est inédite « au niveau de la fréquence et du nombre de victimes disparues », selon Romdhane Ben Amor, chargé des questions migratoires au Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).
Depuis le discours haineux contre les migrants du président [Kaïs Saïed, ndlr], les migrants ont des difficultés considérables pour travailler ou trouver un logement, ils n’ont pas d’autres solutions que de franchir les frontières maritimes », ajoute-t-il.
Selon les données de l’ONU, les départs de la Tunisie ont explosé. Au moins 12 000 migrants ayant atteint l’Italie cette année ont pris la mer depuis la Tunisie, contre 1 300 au cours de la même période en 2022.
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« Les moyens du bord »
Pour répondre à l’urgence, le directeur régional de la santé, selon TAP, a lancé un appel « aux organisations de migration, en particulier l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), pour soutenir les efforts du système de santé local en fournissant des conteneurs réfrigérés et un camion réfrigéré pour transporter les corps à l’hôpital ». Mais, contactée par InfoMigrants, l’OIM Tunisie précise ne pas avoir reçu de demandes pour ce type d’installations « récemment ».
Dans le pays, après les morgues, ce sont aussi les cimetières qui saturent. Les corps des migrants décédés en mer et récupérés sur les côtes tunisiennes sont tellement nombreux que tous ne peuvent pas bénéficier d’une inhumation décente. Depuis des mois, des associations s’inquiètent de la gestion inhumaine des cadavres de migrants. « Ce qui se passe aujourd’hui prouve que les autorités tunisiennes sont incapables, avec les moyens du bord, de gérer ce drame humanitaire », tance Romdhane Ben Amor, estimant que la politique actuelle ne se cantonne qu’à « la surveillance et l’interception, sans effort logistique dédié aux sauvetages ».
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« La situation va s’amplifier »
Et les associations sont d’autant plus inquiètes pour les semaines et mois à venir. « C’est sûr que la situation va s’amplifier », prédit Romdhane Ben Amor. « Les conditions climatiques seront meilleures pour les traversées avec l’été. Et il y a aussi la crise économique et politique. Qu’il y ait un accord, ou pas, avec le FMI, la crise aura énormément de répercussions sur les envies de quitter le pays des personnes, qu’elles soient subsahariennes ou tunisiennes », ajoute-t-il.
La Méditerranée centrale est la route migratoire la plus meurtrière au monde. Depuis le début de l’année, au moins 500 exilés ont péri dans ces eaux. Parmi eux, près de 450 se sont noyés après avoir quitté la Libye ou la Tunisie. Selon l’ONU, environ 26 000 migrants ont disparu ou sont morts lors d’une tentative de traversée de la Méditerranée.
Avec infomigrants