Maryam et ses cinq enfants sont sans hébergement depuis le mois de novembre. Chaque soir, ils doivent trouver une nouvelle solution pour éviter de passer la nuit dehors et se reposer quelques heures avant que les enfants retournent en classe le lendemain. InfoMigrants a suivi la famille au cours d’une soirée d’errance.
La cour de l’école primaire est joyeuse et bruyante. Il est 18h30. Ce sont les derniers élèves qui quittent l’établissement. Ceux qui restent à l’étude le soir. Alors quand les parents arrivent, on s’embrasse rapidement, on soulage l’écolier du poids de son cartable et l’on se presse de rentrer à la maison.
Dans la petite foule de cette cour d’école, certains élèves ont l’air plus fatigués que d’autres. Ibrahim, 9 ans, Abdullah, 7 ans, Maryam, 6 ans, et Bilal, 3 ans, sont scolarisés dans cet établissement qui comprend une maternelle et une école primaire. Mais, chaque soir depuis deux mois ils dorment à la rue avec leur frère aîné Mohamed, 11 ans, et leur mère Maryam.
Depuis fin novembre, à l’heure du bain et de la préparation du dîner, ils se mettent en route vers le parvis de l’Hôtel de ville de Paris. Là, avec d’autres familles, ils attendent que l’association Utopia 56 leur trouve une place d’hébergement pour la nuit. Mais les bénévoles sont dépassés par le nombre de demandes et doivent héberger en priorité les personnes plus vulnérables, notamment les familles avec des enfants de moins d’un an, les femmes enceintes proches du terme, etc.
Protéger sa fille de l’excision
Maryam a quitté la Côte d’Ivoire en 2019 pour éviter que sa fille soit excisée alors que sa belle-famille la pressait de plus en plus de pratiquer cette mutilation sur la fillette. « J’ai moi-même subi cela et ça me cause beaucoup de problèmes de santé. Je ne voulais pas que ma fille endure la même chose », explique la mère de famille. À son arrivée, elle a demandé l’asile en France mais sa requête a été rejetée par l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) puis par la CNDA (Cour nationale du droit d’asile). « Parce que je n’avais pas de preuves et que je ne m’exprimais pas assez bien », croit savoir la jeune femme, parka vert kaki sur le dos et bonnet marron sur les cheveux.
Pendant l’examen de sa demande, Maryam était hébergée avec ses enfants à Chatillon-sur-Seine. Ses cinq enfants étaient scolarisés, de la petite section de maternelle à la 6e, dans cette ville du département de Côte d’or, dans l’est de la France. Mais, une fois déboutée, Maryam a voulu revenir à Paris où elle espérait trouver de l’aide.
Rapidement, ses enfants ont pu être rescolarisés dans la capitale, sauf Mohamed, l’aîné, qui attend de savoir où il pourra poursuivre son année de 6e. Mais, la famille vie à la rue. Elle n’est pas considérée comme prioritaire aux yeux du 115, dont les services sont débordés d’appels de familles sans hébergement.
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À l’Hôtel de Ville, l’attente
Ce soir-là, la mère de famille repart de l’école avec plusieurs gros sacs de dons que la directrice de la maternelle lui a remis. Il y a là des vêtements, quelques jouets et de quoi grignoter. Chaque enfant a son cartable sur le dos et presque tous prennent un sac à la main. Mohamed, l’aîné, tient Bilal par la main, direction le centre de Paris.

Dans le métro bondé, le petit garçon, épuisé par sa journée, s’agite et réclame de s’asseoir. Abdullah et Maryam, qui ont pu trouver des strapontins libres, dévorent un paquet de chips donné par l’école. Dans la ligne 1, le métro se vide enfin. Les enfants et Maryam peuvent tous s’asseoir. En quelques secondes, les plus jeunes sombrent dans un sommeil profond. À bout de force, Abdullah laisse tomber sur le sol le paquet de bonbons au chocolat en forme de sucre d’orge qu’il tenait dans les mains depuis le début du trajet.
Devant l’Hôtel de Ville, des bénévoles d’Utopia 56 enregistrent les familles qui ont besoin d’un hébergement. Il faut attendre plusieurs heures avant de savoir si une place est disponible ou non. « C’est toujours un moment très dur, confie Maryam. Les enfants ont faim et froid. Ils tremblent, ils pleurent. » Certaines familles sont hébergées chez des particuliers, d’autres dans un hangar dans le nord de Paris. Malgré cela, tous les soirs, des familles restent sur le carreau.
Malgré ses cinq enfants, Maryam a souvent passé la nuit dehors ces dernières semaines. « Parfois, on va dans les gares, parfois dans le bus. L’autre soir, Bilal était malade donc je suis allée à l’hôpital et on a dormi là-bas ».
« Il nous restait deux heures à attendre avant d’aller à l’école »
La famille a dû quitter l’hôpital à l’aube et s’est réfugiée dans le métro. « Il nous restait deux heures à attendre avant d’aller à l’école », se souvient Maryam, les larmes aux yeux. Cet épisode reste dans son esprit comme l’un des pires souvenirs de sa vie à la rue. « Un homme nous tournait autour et me posait des questions étranges. J’ai eu très peur qu’il nous agresse. »
Après quelques heures de sommeil à peine, sur les chaises de la salle d’attente de l’hôpital Necker, puis du métro, les enfants sont allés à l’école. Le ventre vide, comme la plupart du temps. Malgré toutes ces difficultés, Maryam se dit « soulagée » que ses enfants aillent à l’école. « Comme ça, je suis sûre qu’ils mangeront le midi. »
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Après les avoir déposés, elle et son fils aîné, prennent la direction du centre d’accueil de jour pour les familles d’Emmaüs solidarité, dans le 15e arrondissement de Paris. Là, ils peuvent laver leur linge, prendre un petit-déjeuner et se reposer un peu.
Dans cet espace chaleureux aux murs jaunes couverts de photos, de plus en plus de familles étrangères, bien souvent en situation irrégulière, viennent chercher un peu de confort après une nuit à la rue ou en hôtel. En 2022, le centre a accueilli 9 785 familles.

« Beaucoup de personnes viennent à Paris après avoir été déboutées de l’asile en province. On leur dit sans cesse qu’elles auraient plus de chances d’être hébergées dans la ville où elles se trouvaient mais le message a du mal à passer », reconnaît Valérie Corbin, cheffe de service au centre Emmaüs solidarité.
Ce soir-là, à l’Hôtel de Ville, Maryam et ses enfants n’ont pas pu être hébergés par Utopia 56. La famille s’est installée sur les espaces en ciment qui longe le parvis. Les enfants se sont serrés les uns contre les autres sous une grande couverture jaune, pour tenter de se tenir chaud. Dans sa tête, Maryam se préparait à passer une nouvelle nuit à la rue. Mais vers deux heures du matin, des bénévoles en chasubles bleues de la « nuit de la solidarité » sont passés par là. Peu après, la famille de Maryam et d’autres ont été hébergées dans un gymnase du 12e arrondissement. Ils ont pu y recevoir un dîner et dormir quelques heures.
Le lendemain, en sortant de l’école, à l’heure du bain et de la préparation du dîner, la petite famille a repris le métro, direction gare de Lyon cette fois-ci, pour une nouvelle nuit au gymnase. « Est-ce qu’on peut dormir ? », a demandé Bilal en approchant du bâtiment.
Avec infomigrants